27/01/2022 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Bmw , #Dodge , #Maserati , #Nissan , #Stellantis
A contre-courant ?
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, c’est de résistance dont il est question. Et ça fera plaisir aux piquousés de la belle mécanique…
Mon permis n’avait pas 6 mois quand j’ai conduit mon premier six en ligne.
Avec un poids dépassant à peine les 1.200 kg, une architecture associant moteur longitudinal et transmission aux roues arrière ainsi qu’un pont autobloquant, la BMW 325i de la génération E30 dont on m’avait confié les commandes cochait toutes les cases qui vont bien. Mais c’est principalement de son magnifique 6 cylindres développant 171 chevaux dont je garde le souvenir.
Cent-soixante-et-onze chevaux, ça ne paraît pas grand-chose de nos jours quand une 340i coiffant la gamme de la Série 3 actuelle comme le faisait en son temps la 325i (hors M3), en revendique deux-cents de plus. Mais rares étaient les berlines compactes d’alors qui disposaient d’une telle cavalerie, lorsque les portières étaient épaisses comme du papier à cigarette, et que les autos accusaient deux à trois cents kilos de moins. Et pour qui n’avait guère connu que les émois procurés par la Fiesta de son auto-école, dont le 1.753 cm³ diesel crachait besogneusement 60 chevaux aux particules non filtrées, solliciter d’un seul coup 226 Nm de "Drehmoment" s’apparentait à enclencher la post combustion (celle d’un avion de chasse, pas d’un pot catalytique).
Ce jour-là, j’ai découvert qu’il pouvait véritablement se passer quelque chose quand on plante la pédale de droite sur la moquette. Rien à voir donc avec les éconoboîtes que j’avais jusqu’alors conduites, à bord desquelles l’accélérateur se bornait à solliciter un ordre à la salle des machines, dont l’exécution n’intervenant qu’après un délai de réflexion se traduisait par une lente montée en régime, opérée à regret par un quatre pattes aux manières rugueuses. Rien de tout cela avec la "trois-vingt-cinq-i" dont la mécanique libérée, non contente de réagir sur le champs à la moindre sollicitation pédieuse, manifestait sa joie par un élégant feulement, sans les éructations par lesquelles certains échappements d’aujourd’hui se sentent obligés de signaler leurs prétentions sportives.
Les vocalises éduquées du M20B25 -son petit nom de code- traduisaient le caractère naturellement "crémeux" propre aux six cylindres en ligne. Les spécialistes dont je ne suis pas vous expliqueront volontiers que cette noble configuration mécanique présente un équilibre primaire et secondaire frisant la perfection. D’abord parce que ses pistons se déplacent par paires (1-6, 2-5 et 3-4) mais en décalage, puisqu’opérant à des phases différente du beau (de Rochas) cycle à quatre temps, mais aussi en raison de la conception d’un vilebrequin présentant six courses de manivelle disposées dans trois plans décalés à 120°. Ne m’en demandez pas plus : tout ce que je sais, c’est que ça évite plein de vibrations et le recours à un vulgaire arbre d’équilibrage.
En plus, tout me parut à l’avenant sur la petite béhème, qu’il s’agisse de la commande de boîte dont la manipulation procurait un plaisir -lui aussi- très mécanique (bien qu’exigeant de bien décomposer les mouvements), des liaisons au sol que je me gardais bien de solliciter au-delà de mon seuil de compétence, ou de la direction dont la démultiplication déplaisait pourtant aux moniteurs de l’école de pilotage que mon job me faisait alors fréquenter. Il faut dire que j’étais bien incapable d’analyser quoi que ce soit (et sans doute ne le suis-je guère plus aujourd’hui), même si les sensations inexpérimentées qui furent alors les miennes, pour impossible qu’il me fût de les verbaliser, ne m’en permirent pas moins d’éprouver physiquement ce que d’autant qualifieront de "toucher BMW".
Ils sont vraiment forts chez Béhème. Non seulement pour faire des voitures, mais aussi pour les vendre. Parce que si la plupart de ses clients actuels se fichent du "toucher" de leur voiture comme de leur premier train de pneus, celui-ci n’en n’a pas moins contribué à construire le prestige dont jouit la marque, et qui les a justement attirés à elle. En d’autres termes, BM a su réaliser dans l’automobile ce que tout homme politique rêve d’accomplir auprès de son électorat potentiel, en ratissant large sans compromettre son image auprès de sa base de fidèles. Une gymnastique dont Alfa Roméo -avec laquelle la marque allemande rivalisa jusque dans les années 60- aurait bien aimé percer les secrets, afin de conserver ses clients en plus de sa réputation.
Bon, c’est bien gentil tout ça, mais ça relève tout de même du discours de boomer nostalgique. De toutes façons, l’avenir est électrique, et l’aberration que constitue l’assemblage complexe d’une pléthore de pièces mécaniques qui se frottent entre elles, ainsi que la multiplication aussi statutaire qu’inutile de cylindres, soupapes ou turbocompresseurs, est d’ores et déjà condamnée. Pour soyeux que soit son fonctionnement, le plus équilibré des six en ligne fait montre d’une efficacité très inférieure à celle d’un moteur électrique dont le rendement dépasse volontiers les 90% là où les meilleurs thermiques atteignent péniblement 36% pour les essence et 42% pour les diesel. Tous les constructeurs l’ont d’ailleurs bien compris, qui se sont ralliés à la cause des voitures sans pot, les seules qui seront autorisées à la vente en Europe dans moins d’une quinzaine d’années.
Tous, sauf un.
Parce que si elle annonce une réduction massive de ses émission de CO2 à l’horizon 2030, la Bayerische Motoren Werke n’envisage de vendre à cette date que la moitié de ses volumes en électrique, qui reposeront à partir de 2025 sur la plateforme "Neue Klasse". Mais pour le reste, la combustion interne aura encore droit de cité dans la capitale bavaroise, puisque l’ingénierie maison travaille au développement d’une nouvelle génération de moteurs à 6 et 8 cylindres. Une information révélée dans les pages du très sérieux magazine Auto Motor und Sport par le non moins sérieux Franck Weber, directeur du développement de la marque.
Alors, Béhème… à "contre-courant" ?
Rien n’est moins sûr. Car si parmi les groupes automobiles présents en Europe, c’est à qui brandira la feuille de route la plus ambitieuse en matière d’électrification, n’imaginez pas pour autant que ceux-ci auront tout à fait renoncé au thermique quand l’an 2035 sera venu. A moins bien sûr qu’ils n’abandonnent les régions du monde où l’électrique n’aura pas été imposé par une décision de nature éminemment politique, ce qui paraît tout de même peu probable. Les services de Com font donc leur boulot en communiquant les ambitions zéro carbone des marques qu’ils représentent, et les Directions Générales le leur en gardant la carte thermique dans leur manche, si par hasard le calendrier de l’électrification n’était pas tout à fait celui prévu. Ce n’est d’ailleurs pas le moindre des paradoxes que la décision (trop ?) volontariste de l’UE puisse se traduire par la nécessité de prolonger encore quelques années des moteurs à combustion interne qui auront été privés de développement, y compris en matière d’émissions.
Les raisons ne manquent pas pour l’avènement d’un tel scénario, qu’il s’agisse de la pénurie attendue de certains matériaux indispensables à la fabrication des batteries, de la mise en œuvre laborieuse des stations de recharge, de l’autonomie réelle -c’est-à-dire limitée- des VE sur autoroute, ou de l’énorme surcoût qu’ils représentent pour le consommateur, sans oublier des conséquences sociales lourdes pour l’industrie automobile européenne. De quoi créer un scepticisme certain chez nombre de professionnels du secteur, dont il est difficile de savoir s’il relève de la clairvoyance ou du déni de la part de ceux qui ont pour beaucoup du mal à se passer de l’idée de la combustion interne.
Les raisons ne manquent pas, et certains signaux plus ou moins faibles non plus. A commencer par la déclaration de Volker Wissing, ministre allemand des transports, incluant soudainement les hybrides dans le total de 15 millions de voitures en circulation que le pays s’est fixé comme objectif pour 2030. Une arithmétique en totale contradiction avec la position adoptée par le gouvernement fédéral en novembre dernier, mais qui fait écho à la décision de certains pays -dont la France, l’Allemagne, les Etats-Unis et le Japon- de ne pas signer l’accord de sortie du thermique lors de la COP26, précisément parce qu’ils souhaitaient voir les hybrides intégrer la catégorie zéro émissions. Un document que n’ont pas non plus paraphé un certain nombre de groupes automobiles, y compris Renault-Nissan et Volkswagen pourtant très engagés en faveur de l’électrification. Et puis il y a eu cette nouvelle déclaration de Carlos Tavares, qui n’en finit pas de rappeler que c’est à son corps défendant qu’il signe les chèques des investissements que doit consentir Stellantis pour se plier aux exigences de l’UE. Sans doute ce dernier rêve-t-il d’entrer en résistance comme le font les dirigeants de BMW, lui qui doit sans doute ravaler se frustration de ne pouvoir utiliser les mécaniques Dodge ou Maserati que la formation de Stellantis lui apportait pourtant sur un plateau.
En continuant à développer ses mécaniques "sales" , BMW pourrait bien s’assurer un bel avantage compétitif vis-à-vis de ses concurrents dans les pays où celles-ci seront encore utilisées, voire en Europe si le passage au tout électrique devait être retardé. C’est tout le mal qu’ont peut souhaiter à la firme bavaroise, au regard des investissements qu’il lui faudra consentir en double pour ses motorisations.
D’ailleurs, toutes les nouvelles provenant de Munich sur le sujet ne sont pas forcément bonnes, puisqu’on y a annoncé récemment la fin du superbe V12 apparu en 1987 avec la deuxième génération de la Série 7 (E32), lequel tire sa révérence, avec une ultime série limitée à 12 exemplaires de la 760i, réservée au marché américain. Voilà qui me rappelle que mon permis n’avait pas douze mois quand j’ai conduit mon premier douze cylindres en V, installé dans le compartiment moteur d’un superbe coupé 850i
Mais ça, c’est une autre histoire.