07/05/2020 - #Renault , #Alpine , #Lotus , #Peugeot , #Toyota
Toy-Ute, McCovid et autres bizarreries
Par Jean-Philippe Thery
Un bon hamburger dans votre voiture, ça vous dit ? A moi pas tant que ça. Mais on pourrait peut-être laisser les autres faire ce qu’ils veulent, non ?
Vous en conviendrez, l’actualité est parfois un peu bizarre en ce moment.
En fait, et à bien y réfléchir, tout est bizarre dans l’actualité en ce moment. Soit parce qu’elle continue comme si de rien n’était, ce qui est tout de même bizarre, dans un moment aussi… bizarre. Soit, parce qu’il se passe des trucs bizarres, ce qui n’est peut-être pas aussi bizarre dans un moment qu’il l’est.
Bizarre, vous avez dit bizarre ?
Bon j’arrête, avant que le correcteur de Word ne s’énerve sur mes répétitions, et je passe aux exemples pratiques.
Dans la série "la vie continue", Toyota nous présente la (le ?) Yaris Cross, son SUV urbain compact empruntant la plateforme TNG-AB, sur laquelle est déjà posée la petite berline du même prénom. Virtuellement, bien sûr, puisque le constructeur français d’origine japonaise a dû renvoyer à son usine de Valenciennes les exemplaires soigneusement préparés pour le Salon de Genève, premier évènement du genre à attraper le virus.
Comme j’ai affaire à des gens avertis -puisque lecteurs d’Autoactu- les rappels en la matière se limiteront à signaler que l’objet permettra à Toy d’affronter début 2021 un segment déjà peuplé, comptant notamment les Peugeot 2008, Renault Captur et VW T-Roc pour ne citer que le tiercé dans l’ordre. Pour cela, la/le Yaris Cross peut compter sur une jolie frimousse, sa motorisation 3 cylindres hybride accouplée à une transmission CVT, et sur une transmission intégrale baptisée "AWD-i" suite à une intense séance de tempête cérébrale, avec un essieu arrière motorisé "ilectriquement".
Au rayon des bizarreries, ce qui s’est déroulé le 20 avril dernier à Moissy-Cramayel, commune de Seine-et-Marne comptant 18.000 âmes les jours de confinement, ne vous a certainement pas échappé. Ce jour-là, ce n’est ni le château médiéval ni la jolie petite église du XIIe siècle qui eurent les honneurs de la presse gauloise et internationale, mais son McDonalds. Ou plutôt l’énorme file de voitures qui s’est formée à sa réouverture, devant le drive-in du célèbre fast-food dont certains occupants auraient affronté une attente de 3 heures pour mettre la main sur un Big Mac. J’annonce le délai au conditionnel, puisque cette information -pourtant largement reprise- provient du témoignage d’un internaute dont les amis "ont dû attendre trois heures". C’est ce qu’on appelle une source irréfutable.
Mais peu importe la durée exacte de leur expectative. Ce qui compte, c’est bel et bien que les protagonistes de l’affaire ont fait la queue, et qu’ils se sont faits copieusement "clasher" sur les réseaux sociaux pour cela. A commencer par les pourfendeurs de la malbouffe et les chantres du "consommer local" qui se seraient bien vus les huer en personne avec jet de jambon-beurre et pâté-cornichons à l’appui, s’ils n’avaient été scotchés derrière le Big écran de leur Mac par cette fichue quarantaine.
Mais les vrais censeurs sont autrement plus ambitieux que les amateurs de saucissons à l’ail, à l’image de l’un d’entre eux dont le tweet largement relayé n’hésitait pas à déclarer avec une emphase toute théâtrale : "Après avoir vu ça, je n’ai plus aucun espoir pour l’humanité... On fabrique nous-mêmes ce qui nous arrive et c’est définitivement irréversible !”. Si j’ai bien compris notre jeune ami, il faut oublier la soupe de chauve-souris ou la fricassée de pangolin, ainsi que le laboratoire P4 de Wuhan. Les vrais responsables de l’épidémie sont les consommateurs de sandwich super protéiné.
Bon, avant que vous ne preniez l’histoire à la légère, je vous conseille de jeter un coup d’œil sur les réseaux sociaux ou de relire certains papiers publiés durant les dernières semaines. Parce que ce "courant de pensée" est loin d’être anecdotique ! Comme je l’ai déjà évoqué dans une précédente chronique (Crash-test Covid), la pandémie semble avoir généré chez certains l’espoir d’un "monde d’après".
Les adeptes de cette espèce de "reboot" vous expliquent doctement qu’il est inutile de vouloir revenir à la normale, puis c’est précisément la normale qui constituait le problème. Exit donc l’ancien monde et vive le nettoyage à grand coup de gel hydroalcoolique ! D’après un certain nombre de sauveurs auto-proclamés de l’humanité, le virus constituerait à la fois une espèce de courriel aux accents animistes envoyé par une planète semi-déifiée et une injonction à tout reprendre à zéro. Selon les factions, Il est ainsi question de consommer local en mettant fin à la mondialisation, d’interdire les voyages intempestifs (principalement aériens), de mettre fin à la surconsommation et au diktat de la finance, ou encore d’organiser la décroissance.
A ce stade de la réflexion, vous vous demandez probablement quel est le rapport avec les mangeurs de Nuggets de la très lointaine banlieue parisienne, le Sport-Ute de Toyota, et ce que ces deux sujets ont à voir entre eux. Et bien, avouez que les SUV autant que les Hamburgers produits à la chaine constituent des cibles de choix pour ces moralistes d’un nouveau genre. Mais aussi qu’ils font partie des trucs qu’on adore détester, tout en les consommant avidement.
D’ailleurs, et suite à l’épisode moisséen, le service de com de McDo France n’a pas oublié de faire circuler aussi discrètement qu’efficacement quelques chiffres bien choisis, rappelant notamment que le pays de la gastronomie constitue le deuxième marché du géant américain après les Etats-Unis, avec 1,8 million de repas servis quotidiennement dans les 1.490 établissements de l’Hexagone (j’avoue ma réticence à les qualifier de restaurant). Quant aux SUV, est-il nécessaire de vous rappeler qu’ils constituent désormais plus du tiers des volumes VN hors confinement ?
Par ailleurs, autant McDo que Toy ont beau jeu de jouer sur la fibre Béret-baguette-sous-le-bras, en rappelant pour le premier que 75% des produits vendus dans ses resta..blissements sont d’origine France et approvisionnés auprès de 34.000 agriculteurs bien de chez nous. De son côté, le constructeur de Valenciennes insiste sur le fait qu’on verra la part locale de ses ventes monter bien au-delà des 37% actuellement assurés par la Yaris grâce à son nouveau SUV. Certains modèles au nom bien franchouillard dont je tairai pudiquement le nom, ne peuvent pas en dire autant.
Autant dire que les adeptes du nouveau monde et du "consommer local" ont du pain sur la planche pour fourbir leurs arguments. Mais n’étant pas là pour assurer la promotion de qui que ce soit, j’ai plutôt choisi de revêtir le temps de quelques lignes la robe d’avocat du diable, pour assurer la défense de notre amateur de fast-bouffe roulant en SUV. Notez bien qu’il s’agit d’un job volontaire non-rémunéré et plutôt contre-nature, puisque mes goûts personnels me porteraient plutôt vers la Lotus Elise ou l’Alpine A110 sur la routes, et vers la cochonaille lyonnaise ou les quenelles sauce Nantua côté table. Mais je me demande si on ne marche pas un peu sur la tête.
D’abord pour une question de principe. Face à la grandiloquence de notre ami de Tweeter, je m’autorise des accents pseudo-voltairiens pour rappeler la citation apocryphe du célèbre philosophe qui n’a donc pas dit : "Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire" (c’est tout de même pour résumer sa pensée dans la biographie qu’elle lui a consacré que l’anglaise Evelyn Beatrice Hall l’a rédigée). De façon plus prosaïque, si vous souhaitez ingurgiter certaines nourritures, je ne vois donc pas de quel droit je chercherais à vous en empêcher ni même à vous conspuer. Je vous remercie juste de prévoir un autre lieu le jour où vous m’inviterez à déjeuner.
Quant aux SUV, je trouve les critiques qui leur sont adressées particulièrement intéressantes, parce qu’ils sont pris en étau entre ceux qui détestent l’automobile et ceux qui l’adorent, avec des arguments qui me paraissent aussi irrecevables pour les uns que pour les autres.
D’ailleurs, qu’est-ce qu’un SUV aujourd’hui, du moins en Europe ? En deux mots, un Scénic avec un univers associé. Or personne n’a jamais songé à critiquer le petit monospace de Renault en raison de ses dimensions ni de la consommation ou des émissions réputées supérieures de ses mécaniques (par rapport à quoi, d’ailleurs ?). J’en déduis que ce sont probablement les morceaux de plastique autour des ailes ou les appellations aventureuses qui dérangent. Fort bien. Personne n’est obligée d’adopter l’histoire qui les accompagne ! En rappelant tout de même que nous passons notre vie dans l’achat d’univers associés, que ce soit sur Netflix, au supermarché du coin et lorsque nous apposons notre signature sur un registre de mariage.
Tiens, pour donner l’exemple, le camarade Thery va même effectuer son auto-critique (c’est le cas de le dire). J’adore les coupés. Et pourtant, qu’y a-t-il de plus c… qu’un coupé ? C’est plus cher, moins habitable que la berline correspondante, dont il reprend souvent les éléments mécaniques et une bonne partie de l’intérieur. Sans compter des portières longues comme un jour sans apéro virtuel avec les copains, qui obligent à des contorsions peu compatible avec la colonne vertébrale des seniors qui en constituent généralement le cœur de cible. De plus, et parce que j’apprécie les voitures "différenciantes", j’ai justement intérêt à ce qu’elles le restent, différenciantes ! Si tous les acheteurs de SUV passaient au coupé du jour au lendemain, je crains la perte de désir immédiate pour les autos ratiboisées.
Mais revenons à la file du McDo et aux voitures hautes sur pattes (pas tant que ça d’ailleurs). A lire leur commentaires sur les deux sujets, on se dit que pour un certain nombre de nos concitoyens, l’enfer c’est décidément les autres, et que les choix différents des leurs sont forcément erronés. Pourtant, un drive-in constitue-t-il une solution aussi idiote qu’ils le prétendent, alors qu’il permet de se procurer un repas à l’extérieur du domicile après plusieurs semaines de confinement, dans l’atmosphère confinée et sécurisée de son automobile ?
Et si on remplaçait le Hamburger-frites par un bon film, le Cinéparc subirait-il les mêmes critiques de la part de nos censeurs de service ? Dans la même lignée et s’agissant des SUV, faut-il rappeler les avantages d’une architecture haute, favorisant l’habitabilité et l’accessibilité, et qui contribue -contrairement à une idée reçue- au raccourcissement des voitures ? (- 2cm l’année dernière en France). Comme la plupart de ses concurrents, la/le Yaris Cross qui appartient au segment B sera sûrement choisi dans bien des cas en lieu d’une berline du segment C. Tiens, il se pourrait même que "les gens" fassent aussi des choix réfléchis.
Enfin, je trouve paradoxal qu’au moment même où l’alternative entre sécurité et liberté individuelle n’a jamais été aussi prégnante, les mêmes qui crient parfois au scandale face à la mise en place de mesures qu’ils jugent trop restrictives s’inventent leur propres critères de censure.
Alors, Double-Cheese et SUV, même combat ? Peut-être bien. Même si vous me verrez plus facilement au volant du second qu’à ingurgiter le premier.
Ça s’appelle le libre-arbitre
Bon appétit et bonnes balades (dans le périmètre autorisé, évidemment)