05/01/2023 - #Dodge , #Ferrari , #Lotus , #Nissan
Sujet glissant
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je pars en dérapage avec la première chronique de l’année. Et en plus, j’y prends du plaisir…
Je sais, ce n’est pas bien
Mais j’ai un peu joué les nargueurs dernièrement. Il faut dire qu’il m’a été difficile de résister, en découvrant courant décembre sur les réseaux sociaux les publications enneigées d’un certain nombre de connaissances, faisant état de températures négatives en Europe. Surtout qu’au même moment, je me la coulais douce sur les plages de Rio ou Búzios (le Saint Tropez brésilien découvert par notre BB nationale, à l’occasion du séjour qu’elle effectua en 1964 dans le pays). Dans ces conditions, quoi de plus facile que de pourrir les posts des copains transis à l’autre bout de la planète par une copie d’écran de la page météo locale, débordant de degrés Celsius ?
Surtout que je n’ai pas tout dit. Notamment que durant une bonne partie de mon séjour, la capitale carioca s’est prise pour celle du Cotentin. En bermuda, certes, mais tout de même dans le genre Cherbourg. Et puis, je n’ai pas non plus mentionné le fait qu’à l’heure où vous lirez ces lignes, j’aurai retrouvé la froidure du vieux continent, qui plus est dans une cité où le mercure fréquente volontiers les graduations négatives (on en reparlera). Enfin, et plus surprenant que cela pourra paraître, je me suis bien gardé d’avouer une certaine jalousie.
Parce que figurez-vous que j’adore conduire sur la neige.
Peut-être vous ai-je déjà raconté à l’occasion d’une précédente chronique (après 145 d’entre elles, on a tendance à oublier) ce dimanche soir de janvier d’il y a quelques années, où de retour du Brésil à l’issue de vacances d’hiver (ou plutôt d’été), j’avais retrouvé sur sa place de parking ma voiture couverte d’un épais manteau blanc. Et comme France Info me promettait qu’il gèlerait cette nuit-là, j’avais pris mon courage et le à balai à deux mains pour débarrasser de sa gangue floconneuse le véhicule qui devait m’emmener au bureau le lendemain matin. Mais c’est immédiatement après que j’en ai pris le volant, n’ayant pu résister à l’appel (et contre-appel) de la voirie versaillaise immaculée, que j’ai donc parcourue pendant une bonne demi-heure en provoquant au frein à main moults déhanchements du train arrière.
"Ça chassait" me disait volontiers ma grand-mère en évoquant la conduite hivernale de sa Simca 1000 avec ses mots à elle, un tantinet suranné. Mais je ne doute pas que celle qui n’avait probablement jamais entendu parler de survirage de toute sa vie effectuait au volant et à l’accélérateur les gestes qui allaient bien pour remettre sa petite propulsion dans le droit chemin, en regardant si nécessaire par la vitre conducteur la direction qu’elle comptait suivre. C’est qu’il fut une époque où la glisse constituait le comportement standard de toute auto normalement constituée quand le coefficient d’adhérence du tarmac frôlait le zéro, et que les conducteurs de puissantes berlines allemandes accusaient leur auto de mauvais comportement après leur avoir mis les narines chromées dans le rail suite à l’envoi de quelques Newton mètres superflus aux roues arrière.
Rien de tout cela de nos jours, puisque des puces au tempérament castrateur jouent aux nounous électroniques, interdisant tout écart de conduite. Inutile donc d’appuyer comme un sourd sur le champignon, lorsque les ADAS tempèrent les pulsions des conducteurs "badass" à coups de pinces sélectifs sur les disques, tout en gardant les excédents de couple pour des jours meilleurs, autrement dit plus secs. Ça agace un petit nombre d’entre nous, mais ça permet de sauver bien des vies comme d’éviter de froisser de la tôle et des égos avec. Quant à ceux qui expliqueront que c’était mieux avant et que la neige était plus blanche, je leur rappellerais volontiers qu’à de rares exceptions près, la grande majorité des conducteurs n’apprécie pas que leur auto se prenne pour une luge, et que ceux-ci se garderont bien d’appuyer sur le bouton déconnectant l’ESP, en admettant que celui-ci soit disponible et qu’ils en aient connaissance.
Et pourtant, il y a bien des raisons qui m’ont poussé à jouer dans la nuit avec le postérieur de mon coupé Mégane, sur circuit fermé quelque part entre la Place de la Loi à Versailles et celle de l’église Saint-Antoine de Padoue au Chesnay. Les spécialistes en psychologie de l’automobiliste qui vous l’expliqueront mieux que moi n’hésiteront sûrement pas à évoquer les pulsions de vie et de morts entre lesquelles hésitent ceux qui aiment à tutoyer les limites. Même si en conduisant dans la poudreuse, j’avais au contraire le sentiment d’éprouver à des vitesses plus que raisonnables les sensations habituellement réservées aux pilotes de rallie ou aux descendeurs alpins. Pas sûr d’ailleurs que les experts susmentionnés comprennent mieux que vous et moi pourquoi l’esthétique de la glisse réside dans le train arrière plutôt que celui de l’avant.
Quoiqu’il en soit, au commencement était la compétition. Très vite les pionniers du genre se sont aperçus qu’en mettant en glisse leurs frêles autos du début du siècle (celui d’avant), il leur était possible d’augmenter de façon conséquente leur vitesse de passage en courbe. On appelait ça un "dérapage contrôlé", jusqu’au moment où ce dernier ne l’était plus tout à fait, et que leur machine devenue folle éjectait pilote et mécanicien, avant de retomber à leurs côtés, du moins quand ils avaient de la chance. C’est donc au nom de l’efficacité et non pas du plaisir qu’on s’est mis à glisser. D’ailleurs, tout le monde sait bien qu’en faire trop au volant, c’est perdre du (bon) temps, ou plus quand le sud passe au nord.
Mais c’est aussi précisément au nom de l’efficacité que la glisse a progressivement disparu d’un certain nombre de disciplines. De nos jours, il faut toute la finesse des écrans OLED Ultra haute définition 4K pour restituer à la faveur d’un gros plan en ralenti les micro-déplacements latéraux des pneumatiques équipant les monoplaces super sophistiquées de Lewis ou Max. On est donc bien loin du dépassement d’anthologie réalisé en 1986 lors du Grand Prix de Hongrie sur la Lotus d’Ayrton Senna, par un Nelson Piquet en contrebraquage au volant de sa Williams FW11. Autres temps, autres mœurs : le pilote carioca s’est depuis -malheureusement- spécialisé dans les dérapages verbaux.
C’est peut-être parce qu’il anticipait cette tendance qu’un certain Keiichi Tsuchiya inventa le drift dans les années 70, lors de courses clandestines réalisées sur son archipel natal, avant de participer à la fin des années 80 à son officialisation sur circuit. Inspiré par le style de pilotage extraverti de Kunimitsu Takahashi (qui nous a quitté le 16 mars dernier), lequel faisait volontiers prendre plus d’angle que nécessaire aux GT-R que Nissan lui confiait dans le cadre de championnats locaux, Tsuchiya-san créa la seule discipline du sport auto dont le vainqueur est désigné pour son style par un jury, à l’image du patinage artistique.
L’ironie, c’est que la même électronique qui bride si bien les voitures de course permet désormais aux "pilotes" de modèles de série de connaître les joies de la glisse en toute sécurité, avec des correcteurs de trajectoire autorisant un certain angle de dérive, avant de répandre les choses en main. De quoi se prendre pour un héros lors de "track days" dominicaux sans devoir appeler son assureur le lundi, d’autant plus que c’est tout de même réservé à quelques privilégiés. Chez Ferrari par exemple, on appelle ça le "Side Slip Control" (rien à voir avec la fête du même nom).
Mais je connais un certain chroniqueur, envoyé permanent d’Autoactu dans le Michigan qui nous rappellera goguenardement que sa Dodge dispose d’un système équivalent pour un tarif beaucoup plus raisonnable. Ce dont se fiche probablement comme de son premier train de pneumatiques le propriétaire de la Testarossa jouant sur la neige, que j’ai visionné sur Instagram lors d’une pause d’écriture effectuée entre deux paragraphes. Ce qui semble prouver au passage que Google sait très bien ce dont je vous cause…
Sur ce, je vous souhaite une année tout schuss, avec juste ce qu’il faut de contrôle…
PS : L’actualité -malheureuse- me rattrape au moment où j’allais livrer cette chronique, puisqu’on apprend le décès de Ken Block. L’homme qui faisait danser les voitures nous quitte aux commandes d’une motoneige, une de ces machines qu’il savait pourtant contrôler comme nul autre. Chapeau l’artiste, et repose en paix. Ton talent va terriblement nous manquer…