11/05/2023 - #Bugatti , #Ferrari , #Pininfarina , #Porsche
Steak de cheval saignant, sauce poivre
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’une Ferrari apocryphe. Mais qui n’en fut pas moins conçue avec la bénédiction de la maison-mère…
L’une des plus belles Ferrari que je connaisse possède quatre portes et un hayon, et j’en détiens un exemplaire.
En zamac, au quarante-troisième et en pièces dans une petite boite, puisqu’il s’agit d’une maquette à monter. Mais au moins ai-je eu la chance d’admirer à l’échelle 1 (et d’un seul tenant) l’une des sept unités de la 456 GT "Venice" réalisées pour le Sultan de Brunei, le plus ancien dirigeant en place au monde ayant pour habitude d’effectuer ses achats automobiles en gros. Il faut dire qu’en prenant pour base l’une des plus élégantes GT que l’usine modénaise a produite (de 1992 à 2004), il aurait sans doute été difficile de rater l’exercice, même s’il est toujours possible de faire du moche avec du beau.
Quoiqu’il en soit, certains -dont je suis- ne sont pas loin de penser que le break de chasse dont il est ici question est encore plus réussi que le coupé dont il est issu. Un "shooting brake" comme disent les Brexitons, catégorie conçue pour transporter des chiens qui courent à courre, ou tout simplement faire de jolies autos feignant de se rendre utilitaires. Et comme celle-ci est issue non pas d’une sombre officine jouant scélératement de la scie sauteuse mais des ateliers de Pininfarina, ça équivaut évidemment à un estampillage de la maison au petit cheval qui se cabre.
Moins "officielle" fut la 400i Sedan commise en 1978 par Robert Jankel, un habitué de réalisations couvrant tout un spectre allant du bizarre au franchement extravagant. Et comme celle-ci, baptisée "Le Marquise" arbore un toit vinyle blanc coiffant une carrosserie vert d’eau, on est effectivement en droit de montrer quelque inquiétude quant au résultat. Mais cette réalisation au prime abord étrange si l’on s’en tient à cette description me paraît d’autant plus intéressante qu’elle parvient précisément à faire oublier les drôles de caractéristiques qui sont les sienne. Au passage, si vous vous sentez l’âme d’un sauveur d’étrangeté mécanique en voie de disparition, il se dit que l’engin croupit quelque part au Moyen-Orient dans l’attente d’une improbable restauration.
Pour qui préfère suivre la ligne, celles de la 400i se prêtant particulièrement bien à l’allongement, Pininfarina délivra deux ans plus tard sa propre interprétation du modèle en quatre portières, qu’il baptisa du nom de la carrozzeria foncée cinquante ans auparavant par son père.
Et il pouvait être d’autant plus fier d’en assumer ostensiblement la paternité que la Ferrari Pinin était tout simplement magnifique, faisant d’autant plus regretter que le concept-car présenté au Salon de Torino 1980 n’ait pas été réalisé en série. Il se dit pourtant qu’Enzo lui-même donna dans un premier temps sa bénédiction pour en étudier la production, avant de se rétracter.
Si vous me demandez si j’écris ces trucs-là ça pour énerver les puristes, je ne répondrai pas même en présence de mon avocat. Parce que ces gars-là ne manqueraient pas de me rappeler qu’une "vraie" Ferrari, ça possède deux portes donnant accès à autant de places positionnées derrière un V12 atmosphérique en position centrale avant, accouplé à une boite manuelle envoyant les chevaux de course aux roues arrière, le tout étant élégamment habillée d’une carrosserie acier ou -mieux encore- en aluminium, recouverte de l’inévitable "Rosso Corsa".
Si ce n’est que chez le constructeur maranellesi, on s’est mis au V8 dès 1975 avec la 308, dont la version aujourd’hui la plus recherchée "vetroresina" possédait une carrosserie en fibre de verre, et que la 400i précédemment mentionnée offrait non seulement quatre vraies places en série, mais aussi une boite automatique en option, annonçant dès 1972 un futur -aujourd’hui avéré- sans le célèbre levier coiffé d’une boule métallique. Ajoutons encore que dès 1987, deux turbocompresseurs japonais soufflaient dans les bronches du moteur de la F40, et que depuis 2011 avec la FF puis la GT4C Lusso qui lui a succédé, il existe une Ferrari qui emmène volontiers ses quatre occupants vers les sommets où l’on skie, grâce à une transmission intégrale. Quant au teintier maison, il offre une palette de couleurs à rendre jalouses les voitures de bien des constructeurs -y compris haut de gamme- qui doivent se contenter de cinquante nuances de gris bien peu excitantes.
Mais rien à faire puisqu’à la simple évocation du Purosangue, certains voient rouge sang…
Il faut dire qu’en plus de posséder pour la première fois sur une Ferrari produite en (vraie) série quatre ouvrants pour autant de passagers, le Purosangue appartient également à une catégorie désignée par un acronyme bien embêtant, que j’hésite d’ailleurs à tapoter sur mon clavier, au cas où un responsable de la marque lirait ces lignes. Une appellation que ces derniers évitent soigneusement de mentionner dans la littérature maison, qu’il s’agisse du site Web ou du communiqué de presse publié en septembre dernier au moment de son lancement. Un document dont le titre en forme de slogan indique que le nouveau venu est "à nul autre pareil", avant de préciser un peu plus loin que "Le Purosangue a créé un nouveau segment de marché dans lequel le Cheval Cabré ouvre de nouvelles frontières totalement inédites".
Saluons au passage le travail admirable du rédacteur qui a dû se livrer à cette version Corporate du "mot interdit", jeu auquel les journalistes en ayant repris les informations se sont en revanche refusés à participer. Il faut dire que les indices ne manquent pas pour nous rappeler que le Purosangue est bien un. .. enfin vous savez. Par exemple quand le papier en question fait allusion au "moteur le plus puissant du segment", ou qu’il indique que les différentes options disponibles "font du Purosangue le modèle à quatre portes et quatre places le plus complet du segment". Avouons qu’à moins de s’en tenir à la définition d’une catégorie dont le modèle serait le seul représentant pour l’avoir récemment créé, le "segment" en question doit bien comporter quelques concurrents. Allez savoir lesquels…
Sans compter qu’en choisissant de baptiser son dernier né "Pur-sang", -appellation qui a dû faire grincer quelques incisives chez Bugatti- Ferrari a voulu peut-être un peu trop ostensiblement couper court par avance à tout soupçon d’illégitimité par un nom en forme d’aveu implicite, même si clamer lors des dîners en ville qu’on roule en "Ferrari Purosangue" avec l’accent qui va bien, ça a tout de même une sacrée gueule. Sans oublier sa traduction opérée dans certain langages "genrés", ayant trahi la version originale italienne faisant originellement allusion à "la" Ferrari Purosangue par une masculinisation aussi machiste que révélatrice de la catégorie auquel elle (il) appartient vraiment.
Mais revenons à l’univers concurrentiel supposé du Purosangue, à propos duquel certains ne manqueront pas d’établir une comparaison - blasphématrice- avec certain modèle haut sur pattes d’un constructeur de sportives germanique. Si vous êtes assez ancien pour cela, vous vous rappellerez sans doute 2002, et le véritable scandale que représenta alors la "camionnette" qui fit irruption dans le portfolio de Porsche. A l’époque, le Cayenne paraissait ainsi nommé en raison des éternuements qu’il ne manqua pas de provoquer chez les défenseurs autoproclamés du véritable esprit de la marque stuttgartoise, lesquels sont aujourd’hui réduits à constater avec certaine amertume que l’année dernière, les deux SUV de la gamme ont représenté pas loin de 60% des presque 310.000 ventes réalisées dans le monde. Sans doute les plus résignés se consoleront-ils en se disant que le cash ainsi engrangé permet de développer les multiples déclinaisons de la 911.
Alors, l’histoire se répèterait-elle ? A-t-on repris en Emilie-Romagne la recette développée il y a vingt ans dans le Bade-Wurtemberg ? Pas tout à fait. Et je trouve dommage que Ferrari n’assume pas la SUVitude du Purosangue, même s’il est évidemment plus flatteur de prétendre avoir créé un segment plutôt de se réclamer d’une catégorie existante. Et pas seulement parce que je le trouve magnifique, mais aussi parce que de mon point de vue, il contribue à renouveler le genre avec ses propres codes. Parce que le Purosangue, c’est un peu le "shooting brake" des SUV, sacrifiant volontiers un peu d U(tilitaire) au profit du S(port) et du S(tyle). Un "Stylish Sport Utility Vehicle" en quelque sorte. On constatera d’ailleurs avec amusement qu’avec sa hauteur réduite de 1.589 mm diminuant d’autant la surface frontale, le Purosangue montre volontiers la voie aux modèles de la catégorie comptabilisant leur consommation énergétique en kW, même si c’est probablement le cadet des soucis du V12.
Quoiqu’il en soit, j’avoue sans crainte que si j’étais "dans le marché" pour un SUV sportif de (très) grand luxe, c’est incontestablement le Purosangue qui sortirait en tête de mon "shopping basket" personnel. Mais comme les conditions requises pour que je signe le chèque étant très loin d’être réunies, je ferais sans doute mieux de monter une certaine miniature si je prétends posséder une Ferrari à quatre portes en une seule pièce…