02/09/2021 - #Renault , #Ferrari , #Lamborghini , #Porsche , #Rolls-Royce
Some guys have all the luck [1]
Par Jean-Philippe Thery
C’est entre le Beaujolais et la Capitale des Gaules que démarre la chronique d’aujourd’hui, avant de se poursuivre sur une pelouse californienne taillée aux ciseaux, non sans être passée par le mur de mes #tbt d’ado, à défaut de ceux de ma chambre.
34,9 km.
C’est selon Google Maps la distance reliant Villefranche-sur-Saône à ma belle ville de Lyon, en passant par l’A6 et le tunnel de Fourvière. Et même si l’application n’existait pas à la fin des années 80, j’imagine qu’on peut lui accorder une confiance rétroactive. Ce sont donc 35 km d’un intense bonheur que j’ai vécu il y a une trentaine d’années sur ce même parcours, dans le baquet passager d’une Lamborghini Countach. Avec tout de même un arrêt rapide pour "faire de l’essence", qui valut rien que pour l’air ahuri de l’employé de la station-service, pas tant à cause de l’Ovni blanc intérieur cuir blanc qui avait atterri devant les pompes, que pour le billet de 50 balles qu’il reçut en échange d’une quantité d’essence minimale.
Il faut dire que le conducteur occasionnel de la belle Italienne donnant ainsi l’apparence de vivre des fins de mois difficiles, n’avait aucune envie de prendre à sa charge la facture des quelques 110 litres de carburant que le réservoir était capable d’engloutir, puisqu’il n’en était pas le propriétaire. En fait, il se contentait précisément de rapporter l’auto à celui qui avait eu la gentillesse de la prêter pour je ne sais quelle exposition organisée dans la capitale beaujolaise. Un homme heureux dont l’identité ne me fut pas révélée, mais dont je déduis qu’il était un véritable amoureux de la chose mécanique lorsque j’appris qu’en sus de prestigieuses GT, il possédait également une Renault 4 CV. Qu’un amateur de coûteuses sportives réserve une place dans son garage à une modeste populaire me parut en effet constituer la preuve irréfutable d’une passion authentique, et me fit paraître l’inconnu d’autant plus sympathique.
Toujours est-il que je garde de ce -trop- court trajet le souvenir des envolées musicales du puissant V12, accompagnant des accélérations d’une violence que je n’avais jusqu’ici jamais ressentie, de l’instrumentation aux multiples compteurs luminant l’habitacle dans la nuit, et de passages de rapports dûment décomposés par l’intermédiaire d’un court levier circulant dans une grille métallique, la boîte n’ayant visiblement aucune envie d’être brusquée. Je me rappelle aussi notre fou-rire nerveux à l’arrivée, à constater que les plaques d’immatriculation étaient encore couvertes des caches que nous avions oublié d’enlever, que la maréchaussée n’aurait probablement guère appréciés si nous l’avions croisée.
Avez-vous remarqué que 90% des articles dédiés à la Lamborghini Countach débutent inévitablement par le poncif de la "poster supercar", censée le disputer par quadrichromie interposée à sa grande rivale d’alors -j’ai nommé la Ferrari Testarossa- elle aussi placardée sur un mur de la chambre des ados s’intéressant à l’auto dans les années 80 ? Mouais, en ce qui me concerne, je ne suis pourtant pas sûr que mes parents m’auraient laissé scotcher des trucs sur le papier peint de l’appartement. De toutes façons, les photos de bagnole sur fond noir avec lettrage imitation néon comme on les faisait à l’époque n’ont jamais été ma tasse de thé. En revanche, je conservais déjà dans ma modeste bibliothèque spécialisée le bouquin consacré au modèle phare de Lambo, publié par Jean-François Marchet et Peter Coltrin chez E.P.A, lequel avait dû me coûter plusieurs heures d’un boulot étudiant rébarbatif.
Parce que depuis que je suis en âge de reconnaître une Lambo, j’adore la Countach. Le puriste en moi vous affirmera péremptoirement que rien ne rivalise avec le coup de crayon originel de Marcello Gandini, sur la version initiale LP400, lancée en 1974 (Eh oui, l’ex-star des Eighties est en fait née durant la décennie antérieure). Mais il me faut bien admettre que les LP400S et 500S qui suivirent me provoquent à peu près les mêmes émois, et que je vendrais tout autant mon âme au Diablo pour rouler en LP5000 QV, identique à celle à bord de laquelle j’ai connu le moment d’extase précédemment évoqué. Peut-être parce qu’avec ses élargisseurs d’ailes suggestifs, ses pneumatiques à la largeur frisant l’indécence et son ostensible aileron totalement inutile, elle est supposée représenter ce que certains considèrent comme les excès d’une époque provoquant des bouffées de nostalgie aux gars de ma génération.
D’ailleurs, vous savez quoi ? Mon anniversaire approchant (je répète : mon anniversaire approchant), j’accepterais également avec plaisir un exemplaire de l’ultime Edition "25e anniversario" (ça tombe bien), dont les ailettes du meilleur style "râpe à fromage" ornant le capot moteur, les bas de caisse et extracteurs d’air latéraux s’inspirent sans vergogne de la Ferrari Testarossa. Bref, comme vous l’avez compris, j’aime les Countach, toutes les Countach, et mon garage idéal planqué dans les sous-sols d’une somptueuse villa quelque part dans les montagnes suisses ou sur la Riviera, comporte au moins un exemplaire de chaque itération.
Autant vous dire que j’ai donc été particulièrement émoustillé lorsque j’ai su que Stephen Winkelmann, CEO de Lambo 2 (il a déjà occupé le poste entre 2005 et 2015) révèlerait une nouvelle mouture du modèle mythique lors de l’édition 2021 du "Quail", évènement prestigieux traditionnellement organisé en août dans le cadre de la "Monterey Car Week" en Californie, auquel seuls 3.000 chanceux sont autorisés à s’inscrire. Dévoilée 50 ans après que le prototype du modèle original a été présenté au Salon de Genève 1971, la Countach LPI 800-4 -c’est son nom- sera produite en à peine 112 exemplaires. Coté boulons et rondelles, c’est l’Aventador qui prête sa plateforme ainsi que le V12 de 780 chevaux de la version Ultimae, alors que la Sian -autre série limitée- fournit le dispositif d’hybridation "mild" qui permet de porter le tout à 814 chevaux. Notez au passage que celui-ci équipera justement la remplaçante de l’Aventador prévue pour 2022.
Aussitôt les photos diffusées, les foules connectées se sont évidemment empressées de donner leur opinion sur cette interprétation moderne de la supercar transalpine, entre panégyrique, moue dédaigneuse et conseils avisés de designers méconnus expliquant doctement comment l’améliorer. Eh bien sûr, vous attendez avec impatience que je vous fasse part de ma propre analyse.
Et bien disons que la Countach LPI 800-4 m’a immédiatement fait penser à la Ferrari SP12 EC de 2012. Inutile de rechercher d’éventuelles similitudes de style, puisque c’est de concept dont il est ici question, la SP12 EC constituant elle aussi l’évocation esthétique d’un modèle plus ancien -la fameuse 512 BB- réalisée sur une base moderne, en l’occurrence une 458 Italia. Et puisque vous vous apprêtez à me poser la question, sachez encore que les lettres EC révèlent que c’est Eric Clapton qui a commandé cet exemplaire unique en hommage aux exemplaires de la belle Berlineta Boxer qu’il a possédés, un modèle dont il est particulièrement fan. Pour l’ajouter à sa collection, notre fan de BB (pas que King) n’avait alors pas hésité à signer un chèque de 4,7 millions de dollars à l’ordre du Centro Stile de la marque italienne, soit plus de vingt fois le tarif de base d’une 458, alors fixé à 229.825 dollars.
Du coup, je me suis dit que pour rester dans la même veine, c’est Rod Stewart qui aurait dû passer commande de la Countach LPI 800-4. En 1971, l’année où sa chanson Maggie may se classe nº1 des charts dans son pays d’origine et aux Etats-Unis, l’ex-beatnik qui avait été arrêté pour vagabondage en France et en Espagne change radicalement de style de vie en s’offrant sa première Miura, blanche intérieur noir. Il la remplacera dès l’année suivante par une SV jaune, particulièrement rare puisqu’elle fut l’une des seulement sept unités produites en conduite à droite.
En 1977, Roderick David Stewart -qui n’était alors pas encore Sir- se fit livrer une Countach LP400 "Períscopio" en Australie où il était en tournée, qu’il fit immédiatement rentrer à l’intérieur du studio où il enregistrait les démos de Blondes have more fun, album qui allait sortir l’année suivante. D’autres suivront -des albums et des Countach- et si l’homme aux cheveux savamment ébouriffés jeta aussi son dévolu sur des modèles de chez Ferrari, Marcos, Porsche ou plus récemment Rolls-Royce, c’est de la marque de Sant’Agata Bolognese qu’il reste indissociable.
Mais s’il me lisait, Rod me ferait sans doute remarquer que je n’ai toujours pas répondu à la question "Da Ya Think I’m Sexy ?" [2], que nous pose à tous la Nuova Countach. La réponse ne peut évidemment qu’être positive pour un modèle qui reprend le dessin de sa fabuleuse devancière. Mais elle est aussi forcément nuancée s’agissant d’une auto qui reprend précisément le dessin de sa fabuleuse devancière, à laquelle elle est donc forcément comparée. Et je dois à l’honnêteté d’avouer qu’à l’observer attentivement, je ne puis m’empêcher de voir aussi dans la nouvelle venue une Aventador pastichant sa glorieuse ainée.
Certes, les designers me feront justement remarquer que c’est inévitable, puisque l’architecture du modèle d’origine dicte forcément à la Countach 2 un certain nombre de passages obligés. Mais ce que je pardonnerais volontiers à un objet unique, me paraît quelque peu ennuyeux sur un modèle de série -quand bien même limitée- à vocation commémorative. De fait on aurait pu s’attendre à plus de hardiesse de la part d’une marque comme Lambo qui n’hésite pourtant pas à nous bousculer quand elle le veut bien, mais qui donne avec cette Countach du XXIe siècle le sentiment d’avoir cédé à la facilité d’un design néo-rétro générateur de cash.
D’ailleurs, même si son prix n’a pas officiellement été révélé, on imagine volontiers que ses acquéreurs devront se défaire d’un bon million d’euros, voire du double virgule quelque chose pour rapporter leur exemplaire à la maison. Et je me dis qu’à ce prix-là, j’aimerais autant retrouver les qualités d’une Aventador à bord d’une Aventador pour employer le généreux solde à l’acquisition d’une ou plusieurs "vraies" Countach.
Oui mais. Je raisonne précisément comme un gars qui ne dispose ni d’un billet d’un million de dollars à mettre dans une auto, ni du quart des 400.000 euros affichés sur le pare-brise d’une Aventador neuve un tant soit peu optionnée. La preuve, ce sont les 112 clients qui ont déjà signé leur bon de commande sans l’ombre d’une hésitation, puisqu’on annonce chez le constructeur d’Emilie-Romagne que tous les exemplaires prévus ont déjà trouvé preneur.
Comme dirait Rod, dont je ne serais pas surpris qu’il figure sur la liste des 112 heureux acquéreurs de la LPI 800-4, "some guys have all the luck".
[1] Certains gars monopolisent la chance.
[2] “Tu me trouves sexy”?