04/01/2024 - #Renault
Social liste
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, on croit au Père-Noël. Ou pas…
La fin de l’année marque immanquablement le début de la saison des listes.
A commencer par la lettre au Père Noël, rédigée par ceux qui croyant encore à son nordique destinataire, l’adressent sans le savoir à ceux qui n’y croyant plus depuis longtemps, n’en sont pas moins responsables de perpétuer le mythe. Suivent de près les listes de courses des réveillons, avec leurs passages obligés (ou pas) entre volaille d’Inde, saumon boucané, vins gazeux ou foie hypertrophié. L’appareil digestif à peine remis, c’est l’inventaire des cadeaux à revendre en ligne qu’il faut établir, selon une tendance ascendante puisque que c’est bon pour la planète et les placards de la chambre d’ami. Et la saison de se conclure par l’inévitable litanie de bonnes résolutions, constituée à 80% de celles restées liste morte l’année précédente.
Coïncidence ou pas, c’est précisément la période choisie cette année (dernière) par le gouvernement pour publier à l’intention de l’aspirant automobiliste zéro émissions la liste des 53 modèles de Véhicules Electriques à Batteries qui resteront éligibles au bonus écologique de 5.000 euros (possiblement ramené à 4.000 euros me souffle-t-on dans l’oreillette). Pas de pot pour les exclus pourtant eux-aussi dépourvus d’échappement, qui ont brutalement cessé d’être vus comme vertueux en raison d’une vilaine empreinte carbone affectée par un lieu de production distant.
C’est qu’il s’agit de favoriser la production locale de véhicules de nos régions, même s’il y a de fortes chances que les cellules de batteries qu’ils emmènent seront toujours livrées par conteneurs dûment idéogrammés. Mais après tout, même nos gaulois bovins mâchonnent de la galette de soja en provenance du Brésil, et cette "protection-liste" était semble-t-il devenu urgente face au péril que plus grand monde n’osera qualifier de "jaune" par les temps qui courent, incarné par le nombre croissant de véhicules électriques en provenance de l’Empire du Milieu. Voilà qui nous rappelle la fin du siècle dernier, quand se profilait la fin des quotas frappant les véhicules importés du Japon, et que les Cassandre de service nous promettaient la mort de l’industrie automobile européenne. A la différence près tout de même, qu’il n’était alors pas question de technologie de propulsion alternative imposée par décret.
Evidemment, notre tradition amoureuse de complexité administrative imposait pour réduire les gaz à effet de serre une usine à gaz à effet tarifaire. Pour rester qualifiable au "bonus écologique" en 2024, un VEB vendu en France doit toujours afficher un tarif inférieur à 47.000 euros, et contenir son embonpoint à 2.400 Kg, histoire sans doute de ne pas être confondu avec un VLB (Véhicule Blindé Léger n’en affichant pas moins 3,5 tonnes mini). Mais surtout, il lui faut désormais obtenir un minimum de 60 points sur un total théorique de 80 au "score environnemental", calculé sur la base d’une liste de critères définis par le décret n°2023-886 du 19 septembre 2023. Un texte dont j’avoue n’avoir pas compris grand-chose si ce n’est qu’il a sans doute généré une intense activité neuronale chez ses concepteurs, autant que chez les malheureux collaborateurs des constructeurs chargés de déposer les dossiers des modèles candidats. Sans oublier les responsables pricing sommés de vérifier qu’à 46.990 euros prix public, le jeu en vaut encore la bougie (mais pas d’allumage).
47.000 euros, ça représente tout de même une somme, l’équivalent de pas loin de trois fois les 16.550 euros déboursés en moyenne par l’automobilistes français en 2023 pour l’acquisition d’une voiture neuve ou d’occasion. Aussi est-ce sans doute pour éviter l’accusation de ne prêter -ou plutôt donner- qu’aux riches que le gouvernement s’est empressé d’officialiser un "leasing social" par un décret daté du 15 décembre, offre visant à permettre aux ménages "les plus modestes" de disposer sans apport d’une voiture électrique pour à peine 100 euros par mois (150 pour une "familiale"), grâce à une aide pouvant atteindre jusqu’à 13.000 euros.
Et cette fois, force est de reconnaître que la liste des critères conditionnant l’offre est parfaitement compréhensible. Il suffit en effet pour en bénéficier d’être de nationalité française, de résider dans l’hexagone à plus de 15 km de son lieu de travail, ou de justifier d’au moins 8.000 km/an de navettage (trajet domicile travail). S’y ajoute évidemment un critère de revenu, le "RFR" (ou Revenu Fiscal de Référence) ne pouvant dépasser 15.400 euros par part, soit 30.800 euros pour un couple si j’ai bien compris le langage administrativo-fiscal. Un chiffre qui ne doit évidemment rien au hasard et probablement corrélé à la définition d’un ménage modeste telle qu’établie par la Direction de la Recherche, des études, de l’évaluation et des Statistiques (DREES pour les intimes), par "un niveau de vie inférieur au quatrième décile de la distribution du niveau de vie des personnes". Soit l’équivalent de 20.790 euros annuels, 60% des Français disposant d’un niveau de vie supérieur à ce montant , si j’en crois les données les plus récentes de l’INSEE concernant l’année 2021. En rappelant tout de même que le niveau de vie correspond "au revenu disponible de chaque ménage (après paiement des impôts directs), divisé par le nombre d'unités de consommation (UC) composant le ménage", et que selon l'échelle d'équivalence de l'OCDE, une unité de consommation est attribuée au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.
Bon, pas sûr que vous m’ayez suivi, contrairement à certains constructeurs qui ont même fait dans la mieux-disance avec des offres pour le moins compétitives. En la matière, la palme revient sans aucun doute à Renault, avec 40 euros mensuels pour sa Twingo E-Tech. Evidemment, à ce tarif-là, l’heureux bénéficiaire repart avec la version d’entrée "Authentic" en blanc et dépourvue de toute option, sans compter qu’il devra surveiller attentivement son compteur kilométrique afin de ne pas dépasser les 12.000 km/an prévus au contrat de 37 mois. Et malgré les 6 mois de recharge généreusement offerts, sans doute lui faudra-t-il compter sur le réseau de charge public pour recharger ses batteries, à moins que disposant d’un logement individuel, il n’y fasse installer -à ses frais- une bonne de recharge dispensant une énergie moins coûteuse. Enfin, il lui faudra également se rappeler que lorsqu’on paye à l’usage plutôt que pour l’acquisition, mieux vaut tenir grand soin de l’auto dont on a la responsabilité, la moindre avarie visuelle se payant au prix fort au moment de la restitution. De quoi provoquer des nuits d’insomnie pour la majorité de ceux dont le véhicule "dort" dans la rue.
Ceux que les mentions de bas de page en Arial 5 n’auront pas rebutés auront toutefois intérêt à se déclarer au plus vite, et pas seulement parce que la Twingo électrique arrivera en fin de vie en mars. Quelque soit le modèle, la liste des bénéficiaires de ce généreux dispositif ne dépassera en effet pas les 20.000 lignes, numérus clausus qui fait du gouvernement le promoteur -si ce n’est l’inventeur- d’une forme de "privilège pour les pauvres", puisque les heureux élus ne représenteront guère plus d’un gros pourcent du marché des voitures neuves. Pas sûr dans ces conditions que la planète ne s’en rende vraiment compte, même en admettant que 100% des véhicules concernés remplacent une voiture à combustion interne, qu’elle soit neuve ou d’occasion.
Ceux d’entre vous qui lisent entre les lignes auront sans doute déjà perçu mon scepticisme sur cet acharnement à rendre la voiture électrique accessible au plus grand nombre, alors qu’il me parait plus raisonnable de compter sur les flottes et les "riches" pour financer le coût initial de l’électrification. Et considérant les jusqu’aux 260 millions d’euros que coûtera l’opération, j’aurais volontiers quelques idées à formuler s’agissant de donner un coup de pouce à ces ménages modestes en besoin de mobilité individuelle, surtout ceux qui chassés loin des centres-villes par des loyers hors d’atteinte, ne disposent pas d’une offre de transport en commun compétitive face à l’automobile. Ménages qui soit dit en passant, se tournent plus volontiers vers les modèles au kilométrage et à l’âge respectables permis par les quelques milliers d’Euros à peine dont ils disposent pour acheter une auto, quand ils n’ont pas le loisir de s’en passer.
Tenez, que diriez-vous par exemple de renoncer à ces zones d’exclusion que constituent les ZFE, affectant précisément les véhicules les plus anciens dont on peut parier sans grand risque qu’on les trouve particulièrement représentés dans la population des "ménages les plus modestes" ? Et à l’heure où on augmente considérablement le montant du "bonus réparation" en même temps qu’on élargit la liste des appareils qui peuvent en bénéficier, pourquoi ne pas concevoir une mesure similaire permettant de prolonger la vie d’une voiture de la même manière qu’on le fait pour un grille-pain ou un lave-linge ? Sans compter l’impact positif sur la consommation et les émissions polluantes que des bougies ou un faisceaux d’allumage neufs ne manqueraient pas de provoquer.
Je sais, j’ai sans doute le sens politique d’un mollusque aquatique, pour paraphraser un de nos ex-chefs d’Etat. Et les partisans de l’électrique pour tous (mais pas plus de 20.000) ne manqueront pas de me faire remarque que je ne suis pas assez "social liste".
Ou trop, allez savoir…