15/07/2021 - #Volkswagen Vp , #Bmw
Signaux de fumée
Par Jean-Philippe Thery
C’est à un sujet pour le moins opaque auquel je fais allusion aujourd’hui, dont les vraies victimes ne sont pas forcément ceux qui ont jeté un rideau de fumée sur l’industrie automobile.
Le Lapsang Souchong est de loin mon thé préféré.
Et côté whisky, c’est un Laphroaig ou un Talisker que je sirote le plus volontiers. Les connaisseurs auront évidemment repéré que j’apprécie les notes fumées, que la boisson soit diurétique ou enivrante. Mais conscient de ce que mon introduction pourrait contenir d’apparente pédanterie, je tiens à signaler sans délai que ne je ne me considère nullement expert en infusions chinoises, pas plus qu’en distillats de céréales, et que mes découvertes en la matière ont été totalement fortuites.
Dans le même genre, j’apprécie également les nourritures boucanées, qu’elles proviennent de terre ou de mer, et l’odeur d’un bon feu de bois exerce à mon encontre une puissante influence évocatrice, comme probablement pour beaucoup d’entre vous. Rien que d’y penser me reviennent d’ailleurs en mémoire quelques belles soirées devant une cheminée, à buvoter un bon… whisky.
Pourtant, l’étymologie de fumée est pour le moins nauséabonde, puisqu’elle trouve son origine dans le substantif latin fimus, autrement dit le fumier. De plus, la définition qu’en donne le Littré n’est guère plus odorante, faisant allusion à une "espèce de nuage grisâtre ou noir, qui s'élève des foyers de combustion, et qui est un mélange de vapeur d'eau, d'acide carbonique, de charbon très divisé, d'huiles empyreumatiques et de parties non brûlées".
Et puisqu’il est question de parties imbrûlées, vous n’êtes sans doute pas sans savoir que les feux de bois sont beaucoup plus émetteurs de particules fines que nos chers véhicules. Entre 2002 et 2008, la combustion du bois issue du secteur résidentiel au Québec y représentait 42,7% des émissions atmosphériques de particules fines contre 15,6% pour les transports (j’sais ben qu’mon exemple va vous surprendre, mais j’le trouve pas plus niaiseux qu’un autre).
Voilà qui explique peut-être que je ne sois guère amateur de fumées d’origine automobile (en dehors bien sûr des moteurs deux temps qu’on pardonnera de fumiger, puisque c’est dans leur nature, et qu’ils ont de toutes façons quasiment disparu). Me voilà donc une fois de plus aux prises avec de sérieuses dissonances cognitives, puisque tout fan inconditionnel de la combustion interne que je sois, je ne goûte ses manifestations externes qu’avec modération. Si c’était moi, ce qui se passe dans les cylindres resterait dans les cylindres, et bien que sachant pertinemment le fait impossible, je n’en préfère pas moins les sorties d’échappement bien propres sur elles avec un embout chromé qui le reste, et des Diesels dûment filtrés.
De fait, rien ne m’ennuie plus qu’une motorisation mal réglée, crachotant dans l’atmosphère le reliquat d’une carburation imparfaite, à part peut-être une mécanique rincée expectorant son huile de ricin. Il y a jusqu’aux pneumatiques dont je ne goûte guère les émanations, particulièrement quand elles sont le produit d’un burn-out aussi inutile qu’exhibitionniste. Et je n´évoquerai même pas les volutes émanant d’un tableau de bord, prémisses au pétage de plomb d’un circuit électrique, capable de vous fondre une auto de l’intérieur avant que le sapeur le plus proche n’ait eu le temps de dégoupiller un extincteur à poudre. Bref, vous l’aurez compris, je donne dans une espèce d'hygiénisme automobile qui me vaudra sûrement des accusations de connivence avec le lobby de la voiture électrique.
Mais tout ça, c’est de la gnognote comparé à la dernière fumisterie en date en provenance de l’industrie automobile, et dont Autoactu.com s’est fait l’écho pas plus tard que la semaine dernière. Jeudi dernier, la Commission Européenne a en effet annoncé avoir infligé des amendes de 502 millions d’euros au groupe Volkswagen, et de 373 millions de la même monnaie à BMW, pour avoir "enfreint les règles de l'UE relatives aux pratiques anticoncurrentielles en se concertant sur le développement technique dans le domaine de l'épuration des émissions d'oxyde d'azote". Daimler, qui était pourtant aussi de la partie, échappe néanmoins à une sanction de 727 millions d’euros, pour avoir dénoncé ses petits camarades aux autorités concernées.
Voilà qui n’est d’ailleurs sans doute pas le moins choquant de cette affaire, puisqu’en jouant les Judas, l’entreprise stuttgartoise s’en tire sans le moindre dommage pécuniaire, les instances de l’Union Européenne n’appliquant pas même le principe bien connu selon lequel "faute avouée est à moitié pardonnée", qui leur aurait pourtant permis de faire rentrer 363, 5 millions d’euros supplémentaires dans les caisses. Il nous faudra donc nous consoler en songeant qu’après un tel croc-en-jambe, les ex- comparses ne sont doute pas disposés à renouveler de sitôt ce genre de collaboration.
Mais venons-en plutôt au cœur de l’affaire, dont je dois bien avouer qu’elle m’a pris par surprise, même si quelques secondes de Google m’ont suffi pour découvrir qu’elle a en fait été révélée il y a bientôt quatre ans par "der Spiegel". En effet, le célèbre hebdo hambourgeois en a fait la couv de son édition du 22 juillet 2017, avec pour titre "das Kartell", dont j’imagine qu’il se passe de traduction, même pour les moins germanophiles d’entre vous.
Il y était question d’une soixantaine de groupes de travail secrets, réunissant pas moins de 200 collaborateurs des entreprises concernées ayant participé à un bon millier de meetings depuis le début des années 90. Les sujets abordés y étaient de toute nature, du prix des pièces en après-vente, au choix de certains fournisseurs en passant par des thèmes aussi pittoresques que la durée nécessaire à la fermeture d’un toit en toile sur un cabriolet.
Pour autant, le sujet sur lequel a statué la Commission européenne apparaît particulièrement sérieux, puisque portant sur la réduction des émissions d’oxyde d’azote (NOx) provenant de motorisations Diesel, sur lequel les parties concernées se sont entendues pour ne pas dépasser le strict respect des normes légales sur la période allant de 2009 à 2014, alors qu’elles disposaient des ressources qui leur auraient permis de faire mieux. L’accord scélérat consistait semble-t-il à limiter la taille du réservoir d’Adblue, une solution composée pour un tier d’urée et pour deux tiers d’eaux déminéralisée, permettant de décomposer le NOx en diazote et vapeur d’eau inoffensifs pour notre atmosphère, entente qui avait pour effet d’en diminuer le coût, mais aussi évidemment l’efficacité.
En découvrant cette histoire, mon premier réflexe fut de m’interroger quant à savoir qui était le plus naïf dans cette affaire, de ceux qui au plus haut niveau des organisations concernées s’imaginaient que leur stratagème ne serait jamais révélé, ou du chroniqueur de service, qui après 27 ans passés dans l’industrie automobile croit encore que les entreprises la composant puissent opérer dans le cadre strict de la légalité. Mais peu importe la réponse, puisque le principal problème réside précisément dans l’existence de la question. Nul doute que pour le citoyen lambda, qui nourrit souvent une méfiance systématique à l’égard des multinationales en général, et plus encore de certains secteurs en particulier, ce genre d’affaire ne peut vraisemblablement que représenter la partie émergée d’un iceberg pas joli-joli.
Et puis, je me suis aussi demandé qui étaient les vrais punis de l’histoire. D’abord parce que lorsqu’un constructeur comme l’un de ceux mentionnés est contraint de verser des sommes de plusieurs centaines de millions d’euros (représentant en l’espèce l’équivalent d’un projet véhicule à un projet et demi), c’est sa capacité d’investir, de rétribuer ses actionnaires ou ses collaborateurs qui est affectée, quand bien même ceux-ci dans leur immense majorité, n’approuvent vraisemblablement pas les agissements incriminés. Mais comme nous le rappelle volontiers l’affaire du Dieselgate –aux conséquences certes beaucoup plus lourdes, puisque se chiffrant à plusieurs dizaines de milliards d’euros pour le seul groupe Volkswagen- le châtiment frappe bien au-delà des vrais contrevenants, même s’il est vrai que des peines de prison ont été prononcées au pénal et le seront vraisemblablement encore à l’égard d’un certain nombre de décisionnaires.
De fait, le Dieselgate a eu pour principale conséquence non pas la perte significative de part de marchés pour les constructeurs impliqués -qui se sont de ce point de vue très vite récupérés- mais ce qui constitue probablement le bouleversement le plus important que connaît l’industrie automobile depuis sa création. Toutes les décisions qui nous mènent aujourd’hui sur le chemin de l’électrification forcée, dont l’Union européenne se veut être la pionnière, l’ont été sans la participation réelle de constructeurs qui ont perdu toute crédibilité auprès des instances politiques depuis que l’un d’entre eux a triché à très grande échelle.
Carlos Tavares, quand il était encore PDG de PSA ne disait pas autre chose lorsqu’il déclarait dans le cadre d’une interview en marge de l’édition 2017 du Salon de Francfort : "Malheureusement, parce que je suis un constructeur automobile, je ne suis pas crédible. Mon avis est inaudible", même s’il faisait alors allusion à ses relations avec le gouvernement français.
Une fois encore, l’affaire révélée la semaine dernière est de l’urée de chat par rapport a l’énorme scandale que constitue le Dieselgate, mais elle contribue à alimenter l’image négative qui affecte depuis lors les constructeurs automobiles. Et devinez ce qu’on voit immanquablement ressurgir à la une des magazine ou dans les réseaux sociaux à l’occasion de ce type d’épisode ? Le cliché -dans tous les sens du terme- d’un pot d’échappement en gros plan crachant une épaisse fumée noire, quant bien même ce genre de scène ne correspond plus depuis longtemps à la réalité des voitures à moteur thermique sortant d’usine, même lorsque celles-ci font appel à un soft trafiqué.
Dans ces conditions, il paraît à la fois juste et dérisoire de signaler que BMW autant que VW contestent les arguments de Margrethe Vestager, Commissaire à la concurrence, laquelle a déclaré que les groupes impliqués "possédaient la technologie nécessaire pour réduire les émissions nocives au-delà de ce qui était légalement exigé par les normes d'émission de l'UE. Mais ils ont évité de se faire concurrence en n'utilisant pas tout le potentiel de cette technologie pour aller plus loin que le niveau d'épuration légalement prescrit". Volkswagen a notamment fait savoir par un communiqué que "le contenu des pourparlers n'a jamais été mis en œuvre et les clients n'ont donc jamais été lésés", faisant référence aux fameuses discussions entre les trois constructeurs.
Quoiqu’il en soit, ceux-ci, ou plutôt ceux qui parmi eux ont pris cette initiative pour le moins malheureuse ont fait parvenir à tous de bien mauvais signaux de fumée, qu’il s’agisse de leurs employés, des fonctionnaires européens, ou du grand public.
Et moi qui ne suis pourtant pas le dernier à brandir l’étendard de l’automobile et de son industrie, j’ai soudainement trouvé à l’évocation de cette fumeuse histoire que mon Lapsang Souchong avait un goût bien âcre.