15/07/2021
Green Deal : la Commission européenne publie 12 propositions de règlements et directives
Par Florence Lagarde
Directrice de la rédaction et Directrice de la publication
L’accord politique du 21 avril qui a défini un objectif de réduction d’au moins -55% pour les émissions de CO2 de l'Union européenne d’ici 2030 (par rapport à 1990) se traduit par un "paquet législatif", appelé "Fit for 55", considérable de 12 textes structurants pour toutes les activités économiques. Revue de détail.
La Commission a dévoilé hier les 12 textes qui doivent traduire dans les faits cette ambition en imposant de nouvelles normes, interdictions et obligations dans tous les secteurs économiques. L’industrie et les transports figurent en bonne place dans les secteurs concernés par ces réformes compte tenu de leur forte consommation énergétique.
L’objectif est de réduire de 55% pour les émissions de CO2 d’ici 2030 (par rapport à 1990). Il est ambitieux puisque l’Europe n’a réduit ses émissions que de 23% entre 1990 et 2018 (dans le même temps, les émissions ont augmenté de 67% à l’échelle mondiale).
"Ces propositions sont toutes liées et complémentaires. Nous avons besoin de ce paquet équilibré, et des recettes qu'il génère, pour assurer une transition qui rende l'Europe équitable, verte et compétitive, en répartissant équitablement les responsabilités entre les différents secteurs et États membres, et en apportant un soutien supplémentaire le cas échéant", écrit la Commission européenne dans un communiqué.
Il y a donc dans ce paquet :
• Une réforme du système d'échange de quotas d'émission de l'UE (ETS, Emissions trading system) qui limite les émissions d'environ 10.000 installations du secteur de l'électricité et de l'industrie manufacturière entre les pays de l'UE (plus Islande, Liechtenstein et Norvège), ainsi que des compagnies aériennes opérant entre ces pays. Ce système couvre environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre de l'UE.
• Une réforme de la directive sur les échanges de quotas d’émission dans l’aviation avec la fin des quotas gratuits sur le secteur aérien. La France soutient cette disposition qui était une des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.
• Une sévérisation de la trajectoire de réduction des émissions de CO2 pour chaque pays dans le cadre du partage de l’effort de la règlementation (ESR, Effort Sharing Regulation). Cette règlementation donne des trajectoires de réductions annuelles des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 pour respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris. Adopté en 2018, cette règlementation fixait une baisse de 30% en 2030 (comparé à 2005 ou encore -40% par rapport à 1990). L’objectif est désormais -55% pour 2030 par rapport à 1990 (soit -40% par rapport à 2005). Selon les Etats membres, l’objectif est de -10% à -50% par rapport aux niveaux de 2005. Par exemple, le nouvel objectif de la France est -47% (au lieu de -37%), de l’Allemagne -50% (au lieu de -38%), l’Espagne -37% (au lieu de -26%), l’Italie -43% (au lieu de -33%).
• Une révision des objectifs dans les secteurs de l'utilisation des terres, de la sylviculture et de l'agriculture avec un objectif global de l'UE pour l'élimination du carbone par les puits naturels, équivalent à 310 millions de tonnes de CO2 d'ici à 2030 et un plan visant à planter trois milliards d'arbres dans toute l'Europe d'ici à 2030. D'ici 2035, l'UE devrait viser la neutralité climatique dans les secteurs de l'utilisation des sols, de la sylviculture et de l'agriculture, y compris les émissions agricoles autres que le CO2, telles que celles liées à l'utilisation d'engrais et à l'élevage.
• Une révision de la directive concernant l'énergie produite à partir de sources renouvelables. La production et l'utilisation d'énergie représentent 75 % des émissions de l'UE. "La directive sur les énergies renouvelables fixera un objectif accru pour produire 40 % de notre énergie à partir de sources renouvelables d'ici à 2030. Tous les États membres contribueront à cet objectif, et des objectifs spécifiques sont proposés pour l'utilisation des énergies renouvelables dans les transports, le chauffage et le refroidissement, les bâtiments et l'industrie", explique la Commission.
• Une refonte de la directive sur l’efficacité énergétique qui fixera un objectif annuel contraignant plus ambitieux de réduction de la consommation d'énergie au niveau de l'UE. "Elle orientera la manière dont les contributions nationales sont établies et doublera presque l'obligation annuelle d'économie d'énergie pour les États membres. Le secteur public sera tenu de rénover 3 % de ses bâtiments chaque année pour stimuler la vague de rénovation, créer des emplois et réduire la consommation d'énergie et les coûts pour le contribuable."
• Un nouveau règlement pour renforcer les normes d'émission de CO2 pour les voitures et les camionnettes avec une réduction des émissions moyennes des voitures neuves de -55 % à partir de 2030 et de -100 % à partir de 2035 par rapport aux niveaux de 2021. "En conséquence, toutes les nouvelles voitures immatriculées à partir de 2035 seront à émission zéro", souligne la Commission.
• Une refonte de la directive sur le déploiement d'infrastructures pour carburants de substitution qui exigera des États membres qu'ils augmentent la capacité de recharge en fonction des ventes de voitures à émissions nulles, et qu'ils installent des points de recharge et de ravitaillement à intervalles réguliers sur les grands axes routiers : tous les 60 kilomètres pour la charge électrique et tous les 150 kilomètres pour le ravitaillement en hydrogène.
• Un règlement sur la garantie de conditions de concurrence équitables pour le transport aérien durable et un sur l'utilisation de carburants renouvelables et à faible teneur en carbone dans les transports maritimes. "Les carburants aéronautiques et maritimes sont à l'origine d'une pollution importante et nécessitent également une action spécifique en complément du système d'échange de quotas d'émission. Le règlement sur les infrastructures de carburants de substitution exige que les avions et les navires aient accès à une alimentation électrique propre dans les principaux ports et aéroports. L'initiative ReFuelEU Aviation obligera les fournisseurs de carburant à mélanger des niveaux croissants de carburants durables dans le carburant aviation pris à bord dans les aéroports de l'UE, y compris les carburants synthétiques à faible teneur en carbone, connus sous le nom d'e-carburants. De même, l'initiative FuelEU Maritime stimulera l'adoption de carburants maritimes durables et de technologies à émissions nulles en fixant une limite maximale à la teneur en gaz à effet de serre de l'énergie utilisée par les navires faisant escale dans les ports européens", précise la Commission.
• Une refonte de la directive sur la taxation de l'énergie. "Le système de taxation des produits énergétiques doit préserver et améliorer le marché unique et soutenir la transition écologique en mettant en place les bonnes incitations", explique la Commission. Cette révision propose d'aligner la taxation des produits énergétiques sur les politiques européennes en matière d'énergie et de climat "en supprimant les exonérations et les taux réduits obsolètes qui encouragent actuellement l'utilisation des combustibles fossiles". Il s'agit de "réduire les effets néfastes de la concurrence fiscale dans le domaine de l'énergie" et de "garantir aux États membres les recettes des taxes vertes, qui sont moins préjudiciables à la croissance que les taxes sur le travail". Cette directive prévoit notamment que "l'électricité devrait toujours figurer parmi les sources d'énergie les moins taxées afin de favoriser son utilisation, notamment dans le secteur des transports. À cette fin, les États membres devraient s'efforcer d'appliquer le même niveau d'imposition à l'électricité utilisée pour recharger les véhicules électriques qu'à celle utilisée pour le chauffage pendant le période nécessaire suivant l'entrée en vigueur de la présente directive".
• Un règlement définissant un nouveau mécanisme d'ajustement aux frontières qui définira un prix du carbone sur les importations d'une sélection ciblée de produits. L’objectif est de "garantir qu'une action climatique ambitieuse en Europe n'entraîne pas de "fuite de carbone"". "Cela permettra de garantir que les réductions d'émissions européennes contribuent à une baisse des émissions mondiales, au lieu de pousser la production à forte intensité de carbone hors d'Europe", estime la Commission.
Il s’agit a précisé dans un communiqué le ministère français de l’environnement de "mesures d’équité pour nos industriels face à des concurrents d’autres régions du monde qui ne sont pas soumis aux mêmes règles climatiques". "Cet outil est indispensable pour assurer l’efficacité de nos politiques de lutte contre le changement climatique en permettant d’éviter les fuites de carbone, c’est-à-dire les délocalisations d’activités vers des pays n’ayant pas les mêmes ambitions de limitation des émissions que les nôtres, dans un cadre compatible avec les règles du commerce international et en transparence avec les pays partenaires de l’Union. De nombreux Etats membres et une nette majorité des parlementaires européens s’y sont ralliés."
Devant l’ampleur des changements imposés par ces règlementations, leur acceptation sociale reste la grande inconnue de ce tournant. Depuis le mouvement des Gilets jaunes en France, on sait que des mouvements de mauvaises humeurs peuvent se cristalliser et faire échec aux règlementations. D'ailleurs, la Commission s’en inquiète : "Si, à moyen et long terme, les avantages des politiques climatiques de l'UE l'emportent clairement sur les coûts de cette transition, les politiques climatiques risquent, à court terme, d'exercer une pression supplémentaire sur les ménages, les micro-entreprises et les usagers des transports vulnérables", écrit-elle.
La Commission propose donc la création d'un "Fonds social pour le climat" pour fournir un financement spécifique aux États membres afin d'aider les citoyens à financer des investissements dans l'efficacité énergétique, les nouveaux systèmes de chauffage et de refroidissement et la mobilité plus propre. Ce fonds serait financé par le budget de l'UE avec "un montant équivalent à 25 % des recettes attendues de l'échange de droits d'émission pour les combustibles utilisés dans les bâtiments et le transport routier". Cela représente 72,2 milliards d'euros de financement pour la période 2025-2032. Les États membres, abonderaient également ce fonds dans les mêmes proportions. Au total, il serait ainsi doté de 144,4 milliards d'euros pour faire en sorte que cette transition soit "socialement équitable".
"Le défi au cœur de la transition verte de l'Europe est de faire en sorte que les avantages et les possibilités qui en découlent soient accessibles à tous, aussi rapidement et équitablement que possible. En utilisant les différents outils politiques disponibles au niveau de l'UE, nous pouvons faire en sorte que le rythme du changement soit suffisant, mais pas trop perturbateur", écrit la Commission.
Tous ces textes doivent désormais suivre la procédure législative et les négociations promettent d’être intenses dans les mois qui viennent entre le Parlement européen et le Conseil des ministres, qui représente les Etats membres.
"Ce paquet de propositions est extrêmement dense. Les textes présentés représentent plusieurs milliers de pages, avec des études d’impact approfondies. La France va analyser les propositions de la Commission avec attention, pour s’assurer qu’elles proposent une transition vers la neutralité carbone crédible, efficace pour le climat, réaliste pour nos entreprises et juste pour nos citoyens", précise le ministère français de l’environnement.
La France qui préside l’Union européenne à partir de janvier 2022 aura un rôle majeur, alors même que le début du semestre (1er janvier au 24 avril) sera en pleine campagne présidentielle avec potentiellement un changement de gouvernement pour la deuxième partie du semestre...