25/09/2020 - #Renault , #Nissan
Renault : la stratégie originale des organisations syndicales pour la représentation des salariés au conseil d’administration
Par Florence Lagarde
Directrice de la rédaction et Directrice de la publication
Du 5 au 8 octobre, les salariés de Renault en France éliront leurs représentants au conseil d’administration. Pour le respect de la diversité des organisations syndicales au sein de cette instance de direction, CFE-CGC, CFDT et FO font liste commune. Frédéric Barrat (FO) et Eric Personne (CFE-CGC), deux candidats sortants, nous expliquent l’importance de ce rôle.
Au sein des entreprises, la "démocratie sociale" n'est pas excempte de conflits entre les syndicats. Puisqu’il faut être élu (et donc choisi) les organisations syndicales se trouvent confrontées à des logiques de concurrence avec, comme pour le personnel politique, leur lot de surenchère et de populisme.
C’est pour éviter cet écueil que, depuis de nombreuses années, trois organisations syndicales représentatives chez Renault, CFE-CGC, CFDT et FO, ont décidé de faire liste commune, ce qui garantit une campagne sereine et une représentation pluraliste. Cette démarche montre que la représentation des salariés au conseil d'administration est une mission qui les rassemble plus que leurs différences d'opinion ne les divisent.
L’enjeu est d’envoyer dans cette instance décisionnaire de Renault des candidats dont les points de vue sont divers pour représenter l’ensemble des sensibilités de l’entreprise. Pour que leur présence soit utile, il faut également des candidats préparés et sélectionnés. Une telle mission "ne s’improvise pas", estime FO dans une de ses communications et "doit être confiée à des femmes et des hommes d’expérience, qui ont fait leur preuve", souligne le syndicat.
"Nous faisons cette alliance pour que chaque organisation représentative des salariés ait un administrateur salarié au niveau du conseil. Nous mettons de côté nos différences de représentativité pour donner au conseil une pluralité de points de vue", explique Eric Personne, actuel administrateur salarié présenté par CFE-CGC, première organisation syndicale au sein de Renault.
Avec quatre représentants, les salariés bénéficient d'une réelle présence au sein du conseil d’administration. S’ils ont toujours été quatre, les administrateurs salariés pèsent de plus en plus puisque le nombre total de sièges a été de dix-neuf, puis dix-huit et vient d’être réduit à seize (*). Ils représentent donc un quart des voix du conseil.
Dans la pratique, il y a deux élections différentes qui se déroulent simultanément : celle des trois administrateurs directement élus qui représentent les salariés et celle de l’administrateur qui représente les salariés actionnaires qui passe par l’élection du conseil de surveillance du FCPE Renault France. Les deux scrutins seront électroniques et ouverts pour tous les sites du 5 octobre au 8 octobre prochain.
Sur les trois sièges représentant les salariés, un est élu par les "ingénieurs et cadres", deux sont élus par les "autres salariés", soit les "ouvriers, employés, techniciens, agents de maîtrise".
Pour chacun de ces deux collèges, les trois organisations, CFE-CGC, CFDT et FO, présentent une liste commune baptisée "alliance" conduite par Eric Personne, pour le collège "ingénieur et cadre" et une liste commune menée par Frédéric Barrat, candidat présenté par FO pour le collège "ouvriers, employés, techniciens, agents de maîtrise" .
Puisqu’il y a deux sièges à pourvoir sur le collège "ouvriers, employés, techniciens, agents de maîtrise" cette liste unique pour ces trois organisations syndicales laisse en quelque sorte un siège réservé à la CGT qui bénéficie de cette alliance sans y participer. La CGT présente une liste pour chacun des collèges avec Richard Gentil qui se présente pour un troisième mandat pour le collège "ouvriers, employés, techniciens, agents de maîtrise" et Valérie Russo pour le collège "ingénieur et cadre".
L’alliance CFE-CGC, CFDT et FO présente également une liste unique dans le cadre de l’élection du conseil de surveillance du FCPE Renault France dont 8 sièges sont à pourvoir par cette élection (sur un total de 12, les 4 autres sièges étant occupés par des représentants désignés par la direction). La liste commune est conduite par Noël Desgrippes de la CFDT. Pour être le représentant au conseil d’administration, il devra ensuite être proposé par le conseil de surveillance du FCPE et aussi confirmé par le vote des actionnaires à l’assemblée générale.
Si les élections de ces deux types de représentants se déroulent en même temps, les dates de leurs mandats diffèrent. Le nouveau mandat des représentants des salariés débute le 8 novembre 2020, tandis que celui du représentant des salariés actionnaires sera renouvelé à l’assemblée générale 2021. Leurs mandats sont de 4 ans dans les deux cas.
Pour se présenter aux élections, il faut être mandaté par une organisation syndicale représentative (CFE-CGC, CGT, CFDT et FO) ou recueillir un niveau minimum de parrainages. Il y aura d’autres listes qui se présentent pour ce scrutin : trois listes SM-TE emmenée par Olivier Debesse pour le collège "ouvriers, employés, technicien, agents de maîtrise", Antoine Lecuyer pour le collège "ingénieur et cadre" et une liste pour le conseil de surveillance de la FCPE ; deux listes Sud emmenée par Christine Taffin pour le collège "ouvriers, employés, techniciens, agents de maîtrise" et par Joseph Morel-Guillermaz pour le collège "ingénieur et cadre"; une liste indépendante menée par Silvain Duprez, pour le collège "ingénieur et cadre".
Quel est le rôle de ces administrateurs salariés ? "Nous amenons la connaissance et l’expertise du terrain au Conseil d’administration parce que nous connaissons les forces et faiblesses de l’intérieur. Nous pensons qu’il n’y a pas de bonne stratégie si elle n’est pas partagée avec les salariés", nous a dit Frédéric Barrat, qui siège au conseil d’administration depuis novembre 2016 et se représente pour un deuxième mandat.
Dans cette mission, les représentants des salariés mettent de côté leurs antagonismes. "Même si nous ne sommes pas d’accord, cela ne nous empêche pas d’échanger et de travailler ensemble. On ne se déchire pas, on se challenge", explique Eric Personne.
Le rôle d’un administrateur salarié est différent de l’action syndicale souligne Frédéric Barrat : "Le boulot d’un administrateur salarié n’est pas de revendiquer, ça c’est chez FO le rôle de Mariette Rih notre déléguée syndicale central. Il faut que l’on arrive à faire entendre notre message au conseil en étant factuel, précis et argumenté. Je me nourris de ce que je vis sur le terrain dans mon job ce qui me permet d’être pertinent dans mes messages."
Eric Personne qui se présente pour la troisième fois (comme le représentant de la CGT) estime que l’expérience est un atout pour cette mission : "Les premières années sont compliquées, il faut assimiler beaucoup d’informations, tisser des liens avec les autres administrateurs indépendants pour obtenir leur confiance qui est nécessaire pour faire du bon travail."
Est-il facile de s’exprimer et d’être écouté dans cette enceinte quand on représente les salariés ? "J’ai connu l’ère Ghosn où le temps de parole était très "timé" et où il fallait saisir la balle au bond. Avec Jean-Dominique Senard, le conseil est moins normé en termes de timing et le temps de parole est libre. Nous n’avons aucun frein et nous sommes écoutés au même titre que les administrateurs indépendants, les représentants de l’Etat ou les représentants de Nissan", nous a dit Frédéric Barrat. "Si on veut que cela fonctionne, il faut que les débats soient transparents."
Eric Personne élu depuis 2012 confirme cette ouverture depuis l’arrivée de Jean-Dominique Senard : "La différence est énorme avec beaucoup plus de transparence et de franchise. Il y a un véritable échange et une vraie prise en compte de nos points de vue."
Au moment où le groupe Renault sort d’une crise de gouvernance, où les résultats financiers ont été catastrophiques, où se prépare un plan d’économie de plus de 2 milliards d’euros, dans un contexte d’enjeux climatiques et de crise sanitaire, le rôle des représentants des salariés sera plus que jamais déterminant.
Peut-être que cette situation de crise incitera les salariés à se mobiliser sur le choix de leurs représentants. Au scrutin précédent, la participation n'avait été que de 31%. Le contexte mériterait une participation en hausse ...
(*) 12 administrateurs élus à l'assemblée générale dont le Président Jean-Dominique Senard (8 administrateurs indépendants, 2 administrateurs sur proposition de Nissan, 1 administrateur sur proposition de l'Etat français, 1 administrateur sur propositions des salariés actionnaires), 1 administrateur désigné par l'Etat français, 3 administrateurs élus par les salariés.