13/07/2023 - #Audi , #Jeep , #Maserati , #Nissan
NoZtalgie
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je ressors les boîtes d’archive. En commençant par la lettre Z…
Un aller-retour Paris-Le Mans en Nissan Z.
Je sais, je vous ai déjà fait le coup. C’était l’été dernier, dans "la voiture idéale", après avoir rejoint la capitale des rillettes depuis celle de France au volant d’une 300ZX. Pas sûr pourtant que cette historiette vous soit revenue si je ne l’avais évoquée, mais n’y voyez aucun reproche de ma part : la mémoire est par nature sélective -c’est même sa fonction principale que de trier- et j’aurais pu oublier qu’à moi aussi, je m’étais déjà fait le coup.
En même temps, ça remonte au début du siècle. En 2004, j’avais des kilos en moins, quelques cheveux en plus et Le Mans Classic en était à sa deuxième édition. Si ma mémoire -encore elle- est bonne, le public s’y était rendu beaucoup plus nombreux que pour l’évènement inaugural organisé deux ans auparavant, lequel avait surpris les amateurs du genre par la qualité de son plateau, en grande partie « courtesy » de grâcieux sujets d’une majesté encore alive. Ça tombe bien, parce que 2002, c’était aussi l’année de lancement du coupé Nissan 350Z que j’aurai donc emprunté à deux reprises et 19 ans d’intervalle pour me rendre à la même manifestation.
Il y a les trucs dont on se souvient : le petit volant trois branches quasi vertical à la jante juste épaisse comme il faut, le gros compte-tours qui vous regarde au centre du combiné instrumentation, la montre bizarrement numérique alors que logée dans l’un des trois cadrans saillants au sommet de la console centrale, elle aurait disposé de toute la place pour étendre une paire d’aiguilles. Il y a aussi le baquet qui étreint mais pas trop et le V6 qui ronronne comme un gros chat, après avoir gardé la clef en position au démarrage, jusqu’à ce qu’il s’ébroue. Et puis il y a ceux que j’avais oubliés, comme la pression verticale qu’il faut exercer sur la commande de boite pour enclencher la marche arrière en bas à droite, ou l’emplacement de l’allume-clop tout en bas de ce qui aurait pu être une boîte à gants, dont on se sert encore en 2023 pour brancher un chargeur.
Quoiqu’il en soit, j’ai tout de même l’impression de retrouver une vieille connaissance qui aurait juste mis une nouvelle robe, mon exemplaire du jour (et des deux à suivre) étant revêtu d’un « rouge rubis » -AX6 pour les amateurs de références- qui lui va joliment, même si l’enquiquineur de service fera remarquer qu’il jure un peu avec le revêtement cuivre des étriers de frein. Une couleur peu choisie à l’époque quand les acheteurs extravertis disposaient de l’ambre orangé ou de l’ultra-jaune pour se faire voir, les plus timides préférant l’un des deux tons de gris inscrits au catalogue.
Le Mans Classic commence dans le "Neuf-Un".
J’y rattrape puis double une Maserati Biturbo Spyder sur la N10 que son propriétaire n’a visiblement aucune intention de stresser. Sans doute pour ne pas voir les pistons traverser le capot diront les mauvaises langues toujours promptes à se gausser de modèles à la réputation de fiabilité douteuse. Celles-là ne manqueront pas non plus la TVR Tuscan jaune -et britannique évidemment- rattrapée cette fois sur l’autoroute, mais devront trouver autre chose pour l’Audi R8 Spyder, comme sa couleur verte façon "Kermit a une nouvelle voiture de fonction". Moi, j’ai plutôt rajouté quelques watts à l’accélérateur de ma nippone pour la rattraper, histoire d’ouvrir la vitre passager et capter les vocalises du V10…
Pour autant je me tiens à carreau avec la répression routière qu’on a, même si les seuls uniformes aperçus durant toute la fin de semaine seront finalement ceux des motards aidant à fluidifier la circulation aux abords du circuit. J’ai donc réglé le régulateur de vitesse à 141 compteur histoire d’optimiser ma progression dans les limites autorisées par la loi, entre le léger optimisme propre aux vélocimètres et la marge technique retenue par les appareils photo de bord de piste. Les commandes au volant du bidule donnent d’ailleurs une véritable leçon d’ergonomie à bien des modèles actuels, même je m’amuse des deux gros voyants verts "façon K2000" qui s’allument l’un après l’autre lorsqu’on enclenche la fonction, puis qu’on mémorise une vitesse. Je sais, le modèle de la célèbre série TV n’était pas une Nissan 300ZX de première génération comme on le voit parfois, mais une Pontiac Firebird.
Il n’empêche, Michael Knight sourit sereinement au volant. Il y a 20 ans, j’étais sans doute frustré de retenir les 280 chevaux et 400 Mn de couple du VQ35DE de la phase 1 que j’avais alors eu entre les mains, alors qu’en deux-mille-vingt-trois, je savoure les 313 équidés aimablement fournis par le VQ35HR de la Phase 2. Ce qui ne m’empêche pas de profiter des sorties de péage ou de rond-point pour faire chanter une mécanique dont j’avais oublié l’appétence à prendre des tours à force de penser qu’une mécanique aussi opulente était forcément du genre coupleux à bas régime. La boite est certes un peu plus lente que les débattements courts du petit levier laissent à l’imaginer, mais qui a dit qu’on ne trouvait pas de plaisir à décomposer un mouvement qui se fait rare ? D’autant plus que je ne suis pas là pour "faire un temps", mais pour déguster les charmes d’une auto finalement plus GT que véritable sportive.
Sur les lignes droites à vitesse sagement stabilisée, j’ai le temps de me demander si la Z ne m’en dit finalement pas plus sur moi que sur celle, d’autant que de nous deux, je dois bien admettre ce n’est pas elle qui a le plus changé. Même les plastiques un peu cheap de l’habitacle sur une auto destinée prioritairement au marché américain ont sans doute mieux résisté à l’épreuve du temps que mon enveloppe cutanée. En revanche, j’apprécie sans doute plus qu’à l’époque le privilège qui est le mien de conduite une telle auto, comme si l’expérience -ou la sagesse- allait finalement de pair avec l’embonpoint. Du coup -comme disent les plus jeunes que moi- je prends le temps de remarquer certains détails qui m’avaient alors échappé, comme le design très "Bauhaus" des commodos ou des poignées de porte. Que voulez-vous, avec l’âge, on a parfois tendance à intellectualiser…
Il y a 20 ans, muni d’un billet spectateur, j’avais dû me garer en bord de chaussée. Mais ce coup-ci, la Z dûment accréditée a les honneurs du parking presse puisque je suis venu tourner un sujet pour la télévision brésilienne. Je l’y abandonne un peu à regret, même si je sais que ce qui m’attends vaut le sacrifice. J’ai d’ailleurs beau le savoir, le spectacle n’en n’est pas moins saisissant et omniprésent, tant aux abords du circuit que sur la piste ou dans les paddocks, mais aussi dans les parkings et campings. Même les navettes se prêtent au jeu entre les bus d’époque qui emmènent les spectateurs en différents points du circuit ou les 2CV, Mehari, VW Kombi et Jeep Willys trimballant VIP et pilotes. Mais à l’anxiété de tout voir, tout photographier et de ne rien perdre s’est substitué la tranquillité de qui a depuis appris que la vie -comme la mémoire- est faite de choix, et qu’il restera toujours plus d’images en tête que sur une pellicule ou dans la mémoire d’un ordinateur. Ce qui n’empêche pas Matthieu qui m’accompagne avec sa caméra de se mettre très vite au boulot.
Le démon mécanique de minuit finira tout de même par me prendre vers deux heures du matin, quand nous quittons enfin le circuit après une journée intense. La Z se prend au jeu, et si la base roulante se montre plutôt tolérante aux irrégularités prononcées de la chaussée, la mécanique volontaire comme l’architecture du pédalier propre au talon-pointe semblent m’inciter à jouer sur les routes secondaires menant à la petite maison que j’ai louée au milieu de nulle-part. Même les à-coups de transmission, pas toujours évitables à basse vitesse en raison d’un embrayage plus ou moins progressif se font plus rare quand je sollicite franchement l’auto. Evidemment, j’évite de trop en faire, la règle du jeu consistant à ramener l’auto intacte. Mais il m’a tout de même semblé que dans le baquet de droite, Matthieu tenait la caméra un peu plus fermement qu’à l’accoutumée…
Le lendemain, Mr ZJekyll se "hide" de nouveau alors que je suis le Scénic de Matthieu et qu’il se prête au jeu du commuting pour un retour sur piste où nous attendent de nouvelles prises de vue. Plusieurs heures se passent ainsi entre les "plateaux" où j’essaie de raconter brièvement l’histoire -ou les histoires- de tel ou tel modèle, les images de bord de piste et celles d’ambiance, et les kilomètres de marche à trimballer le matériel. Heureusement pour moi, Matthieu est venu avec un nouveau trépied en carbone, comme l’arbre de transmission de la 350Z…
A la première pause sur le trajet du retour vers Paris, je crie "copieur !" au gars qui fait le plein de sa 350Z, et qui me regarde éberluer avant d’éclater de rire en avisant la "mienne". C’est la troisième que j’aurais vu du weekend contre une seule 370Z pourtant plus récente, puisqu’elle lui a succédé. Quant à la 400Z lancée en 2021, elle est interdite de séjour chez nous et dans toute l’Europe, en raison de normes édictées par des gens persuadés que quelques coupés à moteur V6 en moins sauveront la planète. Les gars de 20 ans de moins que moi devront donc trouver autre chose pour se fabriquer des souvenirs…
Quoiqu’il en soit, mission accomplie. Matthieu a mis plus d’image en boite que nos amis brésiliens ne pourront en regarder, et je me suis fait mes petits flash-backs perso avec celles qui étaient stockées dans ma boite crânienne. Il n’empêche qu’en rendant les clefs, j’ai eu l’impression de fermer un cycle et de ranger un album photo sur l’étagère.
Allez me dire après ça que les voitures n’ont pas d’âme…