18/04/2024 - #Audi , #Jaguar , #Opel
Mes deux cents
Par Jean-Philippe Thery
C’est une chronique à toute allure que je vous propose aujourd’hui. Mais prenez tout le même le temps de la lire…
L’histoire a retenu que le Sarthois Victor Hémery (1876-1950) fut le premier être humain à dépasser les 200 km/h. Et pas que sur le plancher des vaches, puisqu’aucune autre machine -fût-elle aquatique ou aérienne- n’était alors capable de rivaliser avec la Blitzen Benz de 200 chevaux (tiens donc !) au volant de laquelle il réalisa une moyenne de 202,566 km/h le 8 novembre 1909, sur le circuit de Brooklands alors récemment inauguré. Une date qui ne manquera pas de surprendre par sa précocité, alors qu’il fallut attendre presque 40 ans pour qu’une voiture de série permette à tout un chacun d’en faire autant, à condition bien sûr d’avoir disposé en 1948 des ressources permettant de signer le bon de commande d’une Jaguar XK120. Même si je ne suis pas tout à fait certain que les heureux propriétaires du modèle aient tous été en mesure d’atteindre le nombre de miles promis par son badge (soit 193,12 km/h), ni de réitérer les 203 km/h réalisés par Ron Sutton, pilote officiel de la marque diligenté en territoire belge pour démontrer les capacités de la nouvelle machine, sur l’autoroute alors toute neuve reliant Jabbeke à Ostende.
Bizarrement, je ne me souviens pas du tout de mon premier 200, ni à bord de quel engin je l’ai "tapé". Mais j’imagine rétrospectivement l’excitation qui fut la mienne à voir en de rapides coups d’œil -surtout ne pas quitter la route des yeux- l’aiguille du tachymètre s’approcher de la symbolique graduation, puis la franchir. C’est que me connaissant, j’ai dû mettre un point d’honneur à prendre quelque millimètres de marge pour que ma performance soit certifiée "chrono" et pas seulement "compteur". Un fait que je n’oserai qualifier d’armes tant les mots doivent être choisis de nos jours quand il est question de vitesse, mais que je n’en n’ai pas moins répété à plusieurs reprises, exclusivement sur les portions libres des "autobahn", bien zûr. Comme ce jour -ou plutôt cette nuit- où j’ai vu défiler à 55,55 mètres par seconde les parois d’un tunnel bien connu -conçu pour éviter un bouchon tout aussi célèbre- le champs de vision rétréci associé au reflet des néons orangés défilant sur le parebrise renforçant considérablement les sensations et -oserai-je l’avouer- le plaisir procuré.
Je sais, ce n’est pas très malin d’évoquer ce genre de souvenirs par les temps qui courent (ou pas, justement), à l’heure où certains nous suggèrent de réduire notre allure afin de sauver des vies et la planète. Et je ne doute pas que s’ils me lisaient -ce qui paraît peu probable- ils verraient dans cet étalage tachymétrique indécent la probable manifestation d’un besoin irrépressible de compenser certaines courteurs anatomiques. Ne comptez pas sur moi pour démentir, même si la raison en est beaucoup plus prosaïque puisque je n’ai rien trouvé de mieux, ni même d’autre pour commémorer la deux-centième édition de cette chronique. J’en conviens, voilà qui relève également d’un certain manque d’imagination de ma part, puisque j’avais déjà eu recours au même procédé il y a environ deux ans et demi pour la centième intitulée "La Ton", même si à des allures beaucoup plus raisonnables.
Quoiqu’il en soit, si on m’avait prédit le 5 septembre 2019 que je commettrai 200 publications alors que sortait la première d’entre elles (dont voici le lien pour les amateurs d’archéologie), j’aurais refusé d’y croire. J’ai depuis constaté que la principale difficulté ne consistait point à débusquer les idées, mais plutôt le temps pour les coucher sur papier pixellisé. Aller de zéro a deux cents chroniques m’a en effet demandé de très nombreuses heures, et il n’est donc pas rare que je rédige aux heures où mon lecteur sommeille, ce qui m’a déjà valu de composer de nombreux paragraphes d’une seule lettre, symptôme habituel du rédacteur ayant piqué du nez sur le clavier.
A la même époque, si on m’avait indiqué que je quitterais le Brésil pour résider outre-Rhin (et même de l’autre côté de la Spree dont vous n’ignorez pas qu’elle baigne Berlin), et qu’il me serait donné de mettre régulièrement la pédale à la moquette sans craindre ni les flashes de bord de route, ni les foudres de la maréchaussée, j’aurais sans doute fait preuve d’une certaine incrédulité. Mais comme je peux désormais proclamer "Ich bin ein Berliner" le matin au réveil, permettez-moi de considérer que ça fait de moi un spécialiste du sujet, du moins quand je m’aventure au-delà des murs (façon de parler) de la capitale allemande. Alors comme disent les Américains, je vais vous donner mes "deux cents" sur le sujet.
Evidemment, il y a bien longtemps que rouler à 200 ne constitue plus un exploit, nombre de modèles actuels à la vocation pourtant pas franchement sportive étant désormais capables de titiller la marque fatidique. C’est ce que je me suis vu rappeler il y a déjà un certain temps avec un Opel Crossland de location, dont j’ai déduis rétrospectivement qu’il était propulsé par le 1.2 turbo de 130 ch constituant sa motorisation haute en essence. Et si à lire la fiche technique du bestiau donné pour 198 km/h en pointe, j’en me suis aperçu qu’il était un peu optimiste du "taquet-mètre", j’ai alors pris très au sérieux l’indication de consommation instantanée fournie par l’ordinateur de bord et levé le pied dans un élan de sobriété.
Mais ça, c’était avant que je ne rapatrie Karl - Mercedes C200K de 2006 acquise il y a deux ans à Berlin sur son territoire d’origine, au cours d’un périple que je vous ai raconté dans ma 156e chronique, intitulée "Paris-Berlin, pas express". Un voyage épique qui m’a certes valu une photo souvenir des autorités locales (très chère pour une qualité franchement médiocre), alors que des intempéries floconneuses m’ont pourtant cantonné à un rythme plus que raisonnable sur quasiment l’intégralité du trajet. Il n’en reste pas moins que Karl a vu par la suite le double-cent à plusieurs reprises, en zones libres cette fois-ci. Il faut dire que si son 1.8L "mit Kompressor" de 163 PS demande un certain temps pour y parvenir, j’ai pleinement confiance en ses capacités malgré une certaine sensibilité aux vents latéraux, tant les trains roulants paraissaient n’avoir rien perdu de leur intégrité depuis la sortie d’usine. Par égard pour ses 18 ans autant qu’en raison d’un freinage pas très mordant d’origine, je ne me suis en revanche pas essayé aux 231 km/h stipulés par la carte grise (en l’occurrence verdâtre par ici), les Allemands ne craignant pas d’annoncer les performances de leurs voitures sur des documents officiels, alors que celle-ci est pudiquement ignorée chez nous, où c’est donc plutôt "cachez ce (deux) cents que je ne saurais voir".
Si les 200 km/h impliquent encore une certain degré d’aventure au volant de mon fidèle Karl, des expériences automobiles plus récentes m’ont permis de constater qu’en certaines circonstances, ils s’affichent volontiers en vitesse de croisière. C’est à ma grande surprise que j’en ai fait l’expérience il y a quelques mois, lorsque le compteur de l’Audi A6 me ramenant un dimanche matin vers Munich a affiché un 230 tout rond auquel je ne m’attendais pas, même sur autoroute déserte. Certes, j’avais bien le sentiment d’"avancer", mais le plus surprenant fut sans doute que même après que j’eusse levé le pied significativement -du moins le croyais-je- le chiffre des centaines n’avait pour autant pas changé. Et le premier weekend passé avec ma nouvelle compagne motorisée m’a démontré qu’une auto sachant aller "vite vite", autrement dit capable d’atteindre des allurés élevées en un temps record, pouvait également y évoluer sans grande difficulté.
Il est des vitesses auxquelles on conduit vraiment. Mais compte-tenu des aptitudes exceptionnelles de certaines autos d’aujourd’hui, la prise de conscience des allures auxquelles on évolue à leur bord relève autant de l’intellect que des sensations, lorsque ces dernières sont gommées par une stabilité, un silence et un niveau de confort qui n’envient rien au TGV. Mieux vaut alors considérer que l’auto qui débarque au loin sur la file de gauche est en fait toute proche avec un freinage anticipé, même quand on dispose de beaux étriers bleus anodisés fixes pinçant les disques de leurs quatre pistons (à l’avant).
Allez donc savoir pourquoi je ressens un vague sentiment de culpabilité à vous raconter tout ça, alors que je compte bien continuer à en profiter autant que de conserver les réflexes de prudence qui me permettront d’être encore là, histoire de vous infliger 100 chroniques de plus.
En revanche, je me demande bien ce que je vais vous raconter pour la 300e…