28/10/2021 - #Renault , #Lancia , #Fiat
Malles partout
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’un sujet dont je me fiche pas malle. Ce qui ne m’empêche pas d’en connaître un hayon sur le sujet, après avoir effectué quelques recherches.
Je n’imaginais pas qu’un truc comme ça pouvait être aussi gros.
Moi, tout ce que je voulais, c’était un groupe électrogène suffisamment puissant pour alimenter en électricité la scie du gars qui devait poser le parquet dans mon appartement nouvellement acquis, et dont le jus n’avait pas encore été rétabli. Et là je me retrouve sur un parking désert devant le magasin de location ayant fermé ses portes juste après mon passage, avec à ma droite un coupé Mégane première génération, et à ma gauche un générateur supposé portable mais pesant le poids d’un ânon mort. Et le problème, c’est surtout que ce dernier est trop volumineux pour l’ouverture genre boîte aux lettres du coffre de l’auto.
Heureusement que j’ai pu compter sur mon ami Daniel. Une demi-heure plus tard, il m’aidait à charger l’ânon dans sa Laguna avec laquelle je repartais aussitôt, pendant qu’il allait se la péter au volant de mon coupé rouge cerise métallisé 713, intérieur cuir rouge (oui, j’ai fait ça. Si le responsable VO de la concession qui a dû le revendre comme "véhicule de direction" se reconnaît parmi mes lecteurs, qu’il accepte mes plus humbles excuses).
Il y eut aussi l’énorme valise d’une petite amie venue me rendre visite du Brésil qui ne rentra dans le coffre du même véhicule qu’une fois les simulacres de siège arrière rabattus. Et quelques années plus tard, ce fut mon propre bagage que je dus installer à l’arrière du siège passager, parce qu’il était trop volumineux pour le vanity-case de la Fiat Barchetta que j’avais louée pour mes vacances.
Bref, en trente ans de conduite, mes problèmes de coffre se comptent sur les doigts d’une seule main. Et s’il a bien un truc dont je me tamponne l’arrière-train (autrement dit le coquillard) ce sont les décimètres cubes du compartiment bagage. Un machin que la plupart des automobilistes trimballent 99% du temps à vide après l’avoir dimensionné à son usage maxi, correspondant aux grandes migrations estivales qui les emmènent avec compagne, enfants, chien, armes et bagages, frisbee, seaux, pelles et râteaux vers les rivages enchantés de Palavas-les-Flots ou Mimizan-plage. Je sais, ce n’est pas bien de se moquer de ceux qui assurent le renouvellement des générations futures quand on n’y a pas soi-même contribué et qu’on peut donc se permettre de voyager léger. Mais il n’en reste pas moins qu’en ce qui me concerne c’est le coffre qui fait la malle, et pas l’inverse.
A voir. Parce que même si je fais bonne figure de style sur le sujet, faudrait voir à se méfier un peu d’une terminologie qui se prend volontiers les pieds dans le tapis de coffre entre contenant et contenu quand on ne sait plus si on met les malles dans le coffre ou les bagages dans …la malle arrière. Remarquez, mes amis Brésiliens ne font pas mieux entre un "porta-malas" auto-explicatif et une "mala" supposée s’y trouver, mais qui peut tout aussi bien abriter un certain nombre de ses semblables. A moins que l’apparente paresse linguistique ne relève de la rémanence historique.
De fait, les voitures n’ont évidemment pas attendu d’être motorisées pour emmener des bagages, puisqu’elles faisaient déjà diligence en la matière aux époques hippomobiles. Et comme c’était la coutume sur les carrosses jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, leurs héritiers motorisés commencèrent par accueillir les effets des passagers sur le toit, puisqu’on disposait alors de braves gens pour les hisser et les descendre. Mais le dispositif ne manqua néanmoins pas de se sophistiquer, puisqu’en lieu de la pauvre bâche jusqu’alors dans le vent, ce sont de vraies malles qu’on installa.
Et les établissements Moynat n’y furent pas pour rien. Fondés en 1849 de l’association d’Octavie et François Coulembier avec la Pauline du même nom, ceux-ci devinrent très vite la référence de la maroquinerie de voyage à une époque où les activités migratoires étaient réservées à une poignée (forcément) de privilégiés. Ayant fondé la réputation de ses produits sur l’étanchéité et la résistance permises par la "gutta-percha", gomme issue du latex d’un arbre singapourien aux propriétés supérieures à celles du vulgaire caoutchouc, la prestigieuse maison parisienne était donc parfaitement préparée pour équiper les premières automobiles, appartenant à de fortunés early adopters.
Elle commença donc par des "malles limousines" occupant tout l’espace disponibles du toit, auquel elles étaient fixées par un système d’attaches maison breveté, avant que celles-ci n’émigrent à l’arrière. Entre autres innovations, Moynat inventa en 1928 un ingénieux dispositif à glissement latéral, permettant un déchargement plus rapide de la voiture, mais qui contribua également à l’extinction du marché, puisqu’il inspira semble-t-il la conception des coffres intégrés à la carrosserie qui commencèrent à se généraliser dans les années 30.
Mais j’ai eu beau insister, Google n’a pas été fichu de me retrouver la première automobile qui en fut équipée. Si un érudit de mes lecteurs pouvait nous éclairer à ce sujet, qu’il s’exprime dans les notes de bas de page. En attendant, tout ce que le moteur de recherche de service a su me dire, c’est que Vauxhall y faisait apparemment allusion dans sa publicité dès les années 20. Mais qu’importe, puisque ce qui nous intéresse véritablement, c’est combien l’appendice à bagages a depuis influencé la conception et le dessin de nos autos. Tenez, si vous demandiez à un môme normalement constitué de l’ère pré-SUV "dessine-moi une auto", il vous crayonnait invariablement un truc reprenant l’archétype trois volumes avec salle des machines, espace papa-maman-et-les-enfants et compartiment à bagages. Les Américains appellent ça un "Sedan", sans aucun rapport avec la sous-préfecture ardennaise, comme je l’ai déjà raconté dans une chronique précédente ("old new world").
Pourtant, il y a belle lunette (arrière) qu’on a inventé le hayon, ce couvercle de malle au statut de vraie porte sous prétexte qu’il emmène une vitre, et dont l’appellation qui vient de Normandie désignait un panneau de bois fermant l’extrémité avant ou arrière d’une charrette. On attribue volontiers à Renault le mérite du hayon pour l’avoir introduit sur la Quatre en 1961, puis l’avoir osé en haut de gamme avec la Seize dès 1965, même si la Traction de Citroën en disposait déjà en 1938 sur sa version commerciale.
L’avènement de la troisième ou cinquième porte -c’est selon- est loin d’être anecdotique, puisqu’il marque le moment où les passagers et les objets qu’ils transportent se retrouvent confinés dans le même espace, à peine séparés par une plage arrière devenue amovible. Une architecture synonyme de praticité pour l’automobiliste européen, mais pas toujours acceptée dans certains pays, où l’intrusion de l’aire de service dans la pièce principale n’est pas forcément bien vécue, surtout lorsqu’on y transporte des nourritures odorantes. D’une certaine façon, le hayon est donc à la cuisine américaine ce que le bicorps est au deux pièces cuisine.
Mais c’est incontestablement le break qui consacre l’influence du coffre dans le domaine de la carrosserie automobile. Véritable voiture-malle, cet utilitaire tente de cacher sa vocation laborieuse sous un faux anglicisme faisant allusion à une petite voiture destinée à l’origine au dressage des chevaux ("to break" signifiant "dresser" outre-manche) avant de donner dans le transport de matériel et/ou de gens. Depuis qu’il existe, les constructeurs ont d’ailleurs débordé d’imagination pour ménager l’ego de son acheteur avec des dénominations telles qu’Avant, Tourer, Touring ou Sport-Wagon pour n’en citer que quelques-unes, et même lui donner un rien de noblesse avec le "shooting-brake" supposé emmener une paire de Braques de Weimar ou de Griffons d’arrêt à poil dur dans les forêts ou l’on défouraille. Enfin, ça reste du domaine de l’univers associé, puisque même moi qui ne ferait pas le moindre mal aux bébêtes sylvestres, j’ai un temps roulé en Lancia Bêta HPE, modèle assimilable à l’espèce.
Sans doute ai-je d’ailleurs tort de tirer sur l’ambulance, puisqu’à première vue, les breaks constituent une espèce en voie de disparition. Mais en est-on vraiment sûr ? Parce qu’à bien y réfléchir, les SUV dont la domination ne semble pas vouloir s’arrêter constituent-ils autre chose qu’une espèce de break haut sur pattes ? Si vous en possédez un (promis, on ne dira rien), vérifiez donc la mention portée à la rubrique J3 de votre carte grise, correspondant à la carrosserie du véhicule selon la désignation nationale. Je sais, nos certificats d’immatriculations ont parfois une façon tout administrative d’effectuer les classements, mais tout de même. Vous ne m’enlèverez pas l’idée que le SUV n’est autre un descendant du break qui a pris de la hauteur, dont la malle arrière désormais invisible au regard externe n’en n’occupe pas moins un volume démesuré par rapport à son taux d’occupation moyen. On a de ce point de vue jamais fait mieux que la première Twingo (la vraie) avec son intelligente banquette coulissante, qui restituait aux passagers arrière l’espace aux jambes auquel ils avaient droit lorsque le coffre était vide, c’est-à-dire à peu près tout le temps.
L’histoire et ma chronique s’arrêteraient là, si la voiture électrique ne venait mettre son grain de lithium dans ces histoires de malle, avec l’apparition du "frunk". Un truc qui m’oblige à une nouvelle parenthèse étymologique, anglo-saxonne cette fois, puisqu’Anglais et Américains pourtant supposés parler la même langue n’ont une fois de plus pas réussi à se mettre d’accord. Mais peu nous chaut dans le fond que les sujets de sa gracieuse majesté clament "boot" quand leurs cousins d’Amérique font dans le "trunk", puisque les deux termes sont d’origine française. Pour faire simple et vous dispenser d’un cours de vieux François, disons que le premier renvoie à la boîte, alors que le deuxième s’inspire du tronc, du genre qu’on trouve dans les églises.
En revanche, espérons que l’affreux néologisme désignant le "front trunk" ne prenne pas, même s’il correspond à une réalité. Certes, les autos électriques n’ont rien inventé, puisque leurs ancêtres thermiques à motorisation arrière disposaient déjà d’un compartiment à bagage placé à l’avant. Mais il faut reconnaître qu’avec une architecture totalement renouvelée, permise par le positionnement de son ou ses moteurs comme de l’équivalent du réservoir à carburant que constituent les batteries, les VE ouvrent de nouvelles perspectives en ce qui concerne le transport des objets, qu’il s’agisse de les mettre à l’avant, à l’arrière ou les deux en même temps.
Pour le coffre à bagages aussi, s’ouvre donc une ère nouvelle. Celle où à bord des automobiles on n’aura pas seulement malle au cul.