13/03/2025 - #Renault , #Bugatti , #Peugeot
Make French Cars Great Again
Par Jean-Philippe Thery

C’est une chronique cocardière que je vous propose aujourd’hui. Mais inspirée par un sujet de sa gracieuse majesté…
Il y a quelques jours, j’ai failli oublier de descendre à "Nordbanhof".
Confortablement installé à bord du tram M10 de la "Berliner Verkehrsbetriebe" (BVG pour les intimes), je n’ai en effet pas vu arriver mon arrêt habituel, absorbé que j’étais par la lecture du numéro 331 d’Evo. "The thrill of driving" clame le slogan de cette excellente revue britannique, dont je n’ai sans doute pas besoin de vous préciser l’objet (littéralement : "le frisson de la conduite"). Quand la rame s’est immobilisée, je terminai justement la page 53 avec l’excellent édito de Richard Porter, d’autant plus intéressant dans l’édition de mars qu’il y contait son récent passage à Paris, après être resté plusieurs années éloigné de la capitale française.
Un séjour de cinq jours, suffisant pour retrouver la ville "belle et fabuleuse" de ses souvenirs, avec ses immeubles élégamment proportionnés, et dont il s’étonne que les habitants qui ne manquent pas d’élégance conservent la ligne malgré l’abondance de viennoiseries "généreuses en beurre". Et pan sur le nez des adeptes du Frenchbashing, qui déversent leur lot coutumier de grincheries sur les réseaux sociaux. D’autant plus que le seul regret que notre homme eut à signaler est qu’aucun des garçons de café auxquels il eut affaire sur la période n’a manifesté cette mauvaise humeur qui a pourtant fait leur réputation et sans laquelle l’expérience d’un verre à Paris n’est plus tout à fait la même. Bref, les traditions se perdent.
Mais Richard n’oublie pas qu’il écrit pour causer voiture -moi non plus d’ailleurs- et en la matière, c’est aussi la nostalgie qui l’emporte. Celle des années 80, lors de son premier voyage parisien, qui voyait "les Citroën CX dévaler les Champs-Elysées dans un embrasement de lumière jaune". Des phares colorés en voie de disparition lorsqu’il revint la décennie suivante, à l’époque de "la dernière des Renault 25 à la silhouette basse et étrangement élégante", de la Peugeot 605 dont l’élégance classique contrastait avec l’"étrangement vitrée Citroën XM". Des voitures "à l’apparence fantastique" dans le noir ou bleu marine qu’elle arboraient le plus souvent, dont on imaginait volontiers qu’elles emmenaient tel capitaine d’industrie ou telle personnalité politique vers son prochain rendez-vous. Et Richard de citer encore la Citroën C6 et la "glorieusement étrange Renault Vel Satis", dernières représentantes d’une catégorie que les Peugeot 508 ou DS actuelles n'incarnent selon lui plus guère. Moi qui déteste les répétitions, j’ai tout de même dû consentir à citer trois fois l’adjectif étrange, afin de respecter la parole originelle de l’auteur. Etranges, vous avez dit étranges ?
Mais l’écosystème automobile parisien, c’était surtout ces petites berlines dont les stigmates ponctuant la carrosserie racontaient les aléas de la vie urbaine et dont une ou deux roues affichaient une tôle devenue apparente suite à la perte d’un enjoliveur, alors que l’aspect de leur parechocs ne laissait généralement aucun doute sur le fait qu’ils servaient de capteur de proximité. Des autos dont la discrétion ne présageait en rien du statut social de son conducteur, en des rues où la silhouette cabossée d’une Saxo pouvait aussi bien abriter le technicien de surface d’une entreprise de nettoyage que le chef d’entreprise pressé. Une époque là encore révolue puisque les Twingo, C2 ou autres 106 ont non seulement pour la plupart rejoint les pages des albums souvenir, mais aussi parce que les exemplaires restants s’apprêtent à déserter les cités françaises, frappées du sceau de l’infamie des ZFE pour ne pas répondre au bon Crit’Air.
Qu’un éminent journaliste britannique de ce que je considère comme l’une des meilleures revues automobiles célèbre ainsi les particularismes de la production automobile gauloise caresse évidemment notre égo motorisé dans le sens du poil. Mais au-delà de l’agréable sensation procurée par le massage à l’auto(mobile)-estime, sans doute nous faut-il prêter attention au message de Richard au-delà du compliment de circonstances. Parce que même si la berline de grosse cylindrée allemande est désormais à ranger dans la catégorie des espèces sérieusement menacées sous les effets conjugués de la SUVisation et du downsizing des mécaniques -sans même évoquer l’électrification- reconnaissons néanmoins que nous ne sommes jamais totalement débarrassés du complexe que nous cultivons à son égard. Pourtant je suis persuadé qu’il nous faut voir dans la liste des modèles nationaux mentionnés par notre homme une manifestation évidente, sinon du génie de notre industrie nationale, pour le moins de sa capacité à s’adapter aux aléas de l’histoire comme aux contraintes que nous avons l’habitude de nous infliger. Et de ce point de vue, un bref rappel à l’histoire s’impose.
Parce qu’on oublie volontiers qu’avant la Seconde Guerre mondiale, c’est principalement dans les showroom parisiens que les puissants de ce monde venaient se motoriser avec l’élégance, le luxe et parfois l’exubérance qui seyait à leur rang comme à leur personnalité. Chez ces gens-là, on roulait alors en Bugatti, Delage, Delahaye ou encore Hispano-Suiza, alors que ceux plus contraints financièrement, mais qui n’en bénéficiaient pas moins d’une vie matériellement confortable, trouvaient leur bonheur chez Berliet, Chenard et Walker, Hotchkiss ou Salmson . Des marques dont on sait ce qu’elles sont par la suite devenues lorsque, les canons s’étant enfin tus, l’automobile cessa d’être l’apanage des nantis pour s’ouvrir progressivement aux classes moyennes. Une mutation que la France entérina dans les textes, en taxant lourdement ce qu’elle considérait comme un excès de cm³. Dès lors, on s’habitua à parler non plus en Chevaux vapeur mais fiscaux, pour mesurer non seulement la puissance du moteur, mais aussi le standing de l’auto qui l’hébergeait.
L’évolution était toutefois déjà en marche puisque le cahier des charges de la "TPV" (Toute Petite Voiture) qui allait donner naissance à la 2CV fut rédigé dès 1937, et que la 4CV de Renault fut développée en grand secret pendant la guerre. Il n’en reste pas moins que, fortement incitées à motoriser les masses par les normes, les constructeurs français développèrent un savoir-faire en matière de voiture populaire qu’on aurait tort de mésestimer, tant il s’avère à certains égards beaucoup plus difficile de concevoir, industrialiser et commercialiser un modèle à vocation économique qu’une automobile de luxe. Pour simples et dépouillés qu’ils puissent paraitre, des modèles comme la Renault 4, la Citroën Visa ou la Peugeot 104 constituent de ce point de vue une véritable prouesse qu’il convient de saluer à sa juste valeur.
A l’autre bout de l’échelle que nos marques nationales ne dédaignèrent pour autant pas, c’est par l’innovation conceptuelle et l’équilibre dynamique entre confort et tenue de route -prestations aux exigences alors antinomiques- que l’on compensa la castration fiscale empêchant les grandes routières françaises de rivaliser en puissance moteur et performances avec leurs voisines d’outre-Rhin. Seule la France de l’automobile pouvait inventer une Citroën DS ou une Renault 16 et sa silhouette si particulière qui inventa la notion de modularité dans le segment avec ses banquettes reconfigurables en lit Queen-size. Et ce n’est pas par hasard si la Citroën CX reste à ce jour la voiture de haut de gamme française la plus vendue en Allemagne, où elle obtint les faveurs d’automobilistes qui voulaient autre chose que la Bèhème ou la Mercos du voisin.
Alors, qu’en est-il aujourd’hui ? J’ai bien conscience de ce que le titre de cette chronique comporte de critique sous-jacente à la production automobile française contemporaine. Loin de moi pourtant l’idée de jeter l’opprobre sur nos constructeurs, qui doivent se débattre au sein de contraintes légales à la difficulté et au nombre croissants. Mais force est de constater que ces dernières ont eu la peau des segments situés aux extrémités de l’offre dont il est justement question ici. En bas, en raison de normes d’émissions et de sécurité qui ont à ce point renchéri le coût de production des voitures du segment A que celui-ci est désormais presqu’équivalent à la catégorie au-dessus, lui faisant perdre tout espoir de viabilité économique. Avec pour résultat pour le moins paradoxal que la part de sa clientèle contrainte de se tourner vers l’occasion se trouve ainsi privée d’une auto plus sûre et moins polluante. Ou comment démontrer qu’en matière d’automobile aussi, l’enfer est parfois pavé de bonnes intentions.
Quant au haut de gamme, c’est peu de dire que sa simple évocation provoque chez certains de nos politiques adeptes de l’égalitarisme une véritable crise allergique, convaincus que les citoyens disposant de ressources financières plus conséquentes ne devraient pas les consacrer à l’achat d’une automobile (ni aux voyages, ni aux produits de luxe, ni à rien du tout d’ailleurs). Des gens suffisamment influents pour avoir imposé par le biais d’un malus prétendument écologique des normes tellement contraignantes qu’elles tuent d’emblée toute velléité de montée en gamme. Ne vous attendez donc pas à revoir de sitôt une C6 ni même une C5, sacrifiées sur l’autel d’une noble cause qui incitera les automobilistes n’ayant pas encore effectué leur transition vers le SUV à s’adresser à nos voisins auxquels nous ne vendrons pas non plus celles qui auraient pu être les descendantes des R25 ou 607.
Si je partage la nostalgie de Richard, ne croyez pourtant pas que je donne dans le passéisme. Ce que je souhaite n’est pas le retour des modèles cités dans cette chronique, mais de dignes descendantes qui ne soient pas de simples évocations Néo-rétro, possédant ce "French flair" qui trouve aujourd’hui bien du mal à s’exprimer et que nos même les journalistes d’outre-Manche semblent nous envier. Bref, ce à quoi j’aspire, c’est que nous permettions de nouveau à nos constructeurs de "Make French Cars Great Again".
Sur ce, je vous laisse. J’ai une casquette rouge avec un slogan à commander…

Renault Vel Satis. Vous avez dit bizarre ? (Crédit : Renault)

Renault 25, étrangement élégante (Crédit : Renault)

Peugeot 605, une classique (Crédit : Peugeot)

Renault Twingo. Fera-t-on un jour mieux que le joyeux batracien motorisé ? (Crédit : Renault)

Répétez dis fois très vite : 106 XSi (Crédit : Peugeot)

Plus qu’une auto, la Deuche (Crédit : Citroën)