12/09/2019 - #Renault , #Tesla , #Ferrari , #Geely , #Lamborghini , #Lotus , #Mclaren , #Nissan , #Peugeot , #Porsche , #Rimac
Les plaisirs coupables de l'électricité
Par Jean-Philippe Thery
La chronique de Jean-Philippe Thery, consultant, fort d’une expérience automobile aussi bien dans le domaine du produit que de l’Intelligence de marché, avec des expériences chez Renault, Nissan et PSA. Installé depuis 2008 au Brésil, Jean-Philippe Thery est spécialiste des marchés automobiles en Amérique Latine.
Le 4 mars 1899, un étrange objet roulant aux allures de cigare atteignait la vitesse incroyable pour l’époque de 105,882 km/h, sur la Plaine d’Achères, dans la région parisienne. La "Jamais Contente", construite et pilotée par le belge Camille Jenatzy portait un nom apparemment choisi à dessein pour un véhicule de record, même si celui-ci constituait en fait un hommage ironique à l’épouse de l’inventeur, connue pour la constance de sa mauvaise humeur. Mais la vraie surprise, c’est que la toute première automobile au monde à dépasser la barre symbolique des 100 km/h était mue par la fée électricité.
Il faut dire qu’à l’époque des pionniers de la mobilité individuelle motorisée, le bolide de Camille était loin d’être le seul à s’alimenter au jus de neutrons. L’Homo Automobilis à peine né devait d’ailleurs hésiter encore quelques temps avant de choisir entre la vapeur, l’électricité et l’extrait de pétrole, fournissant en énergie à part plus ou moins égales la maigre flotte automobile alors existante. Mais lorsqu’il eût taillé son crayon et posé sur papier l’équation "poids emmené vs énergie restituée", il ne lui resta plus grand doute quant à la supériorité des hydrocarbures. Œuvre d’Etienne Lenoir, tout aussi belge et inventeur que Jenatzy, le moteur à combustion interne d’essence emporta donc les suffrages de la gente mécanique. Par la faute de batteries lourdes et encombrantes, son homologue électrique pourtant plus efficace se vit relégué pour plusieurs décennies à la propulsion de voiturettes de golf, sport dont les pratiquants n’aspirent guère à l’inspiration de gaz d’échappement lorsqu’ils arpentent les greens.
Ce qui nous amène à Monsieur Porsche. En 1898, précisément à l’époque des valse-hésitation énergétiques, le jeune Ferdinand concevait sa première automobile pour Lohner, entreprise sise à Vienne. Surnommée la "toujours contente" (allez savoir pourquoi), la "Lohner-Porsche" abritait dans chaque roue un moteur électrique, configuration lui assurant le titre de première voiture à transmission intégrale de l’histoire. Une nouveauté ne venant jamais seule, l’ajout d’une motorisation à essence chargée d’alimenter les batteries lui attribuait également la primauté de la propulsion hybride. 120 ans plus tard et sans transition, la marque allemande créé par Ferdinand dévoile à la presse une berline 4 portes aux accélérations pour le moins… électrisantes.
Il ne faut en effet que 2,8 secondes à la version "Turbo S" de la Taycan -c’est son nom- pour passer de l’immobilité à 100 km/h, et à peine 7 secondes de plus pour atteindre les 200 km/h (sur autoroute allemande, bien sûr). Avec un moteur asynchrone sur chacun de ses essieux, le bolide stuttgartois dispose comme son ancêtre de quatre roues motrices, lesquelles doivent canaliser avec une boîte de vitesses à deux rapports un total de 560 kW, correspondant exactement à 761 chevaux vapeur. Mais plus que la puissance, c’est surtout le couple monstrueux de 1.050 Nm qui a permis aux journalistes conviés à l’évènement de lancement de ressentir les accélérations de la Taycan, vissés au fond d’un siège passager à l’occasion des tours de circuits offerts en récompense par le constructeur, pour avoir assisté sagement à la présentation PowerPoint du Chef de Produit.
Le couple constitue en effet l’atout définitif du moteur électrique, et la raison principale pour laquelle celui-ci est aussi "générateur" de plaisir. Si vous lisez Autoactu.com, le concept vous est évidemment familier. Une façon rapide d’en comprendre les effets consiste à attaquer une vis récalcitrante au moyen d’un tournevis électrique. Votre poignet tordu, c’est le couple. A la différence du moteur traditionnel à essence qui a besoin d’atteindre une certaine vitesse de rotation pour délivrer toute sa force, l’électrique produit de façon immédiate tout le couple dont il est capable, dès qu’il reçoit sa dose d’électrons frais. Non seulement la mécanique de la Taycan, affiche un couple supérieur de 45% au V12 d’une Lamborghini Aventador (d’une puissance pourtant comparable), mais en plus, elle le fournit à la première caresse de l’accélérateur là où le moteur italien devra monter à 6.750 tr/min.
Bien sûr, sans combustion alimentant le va et vient frénétique de 6 ou 8 pistons, ni de gaz circulant à haute vitesse dans des conduits d’échappement, la bande son de la petite nouvelle n’est pas aussi réjouissante que celle d’une Panamera, pour citer le modèle le plus proche de la gamme du constructeur. Mais avec un tel niveau de performances, impossible de nier à la Taycan le statut de "vraie" Porsche, d’autant plus que tout est évidemment à l’avenant. La tenue de route bénéficie ainsi quelque soient les conditions météorologiques d’un atout supplémentaire lui aussi lié à la propulsion électrique sous forme du "torque vectoring". Cette fonction permet de répartir indépendamment le couple (encore lui) du moteur ou des freins sur chacune des roues, en fonction des circonstances et du comportement recherché. Ajoutez-y un intérieur qui fait la part belle à la technologie, avec pas moins de 5 écrans, la commande vocale qui répond à l’injonction "Hey Porsche !" et une superbe console "flottante" entre le conducteur et son voisin de siège. Les tarifs aussi sont conformes, puisqu’il vous faudra alléger vos comptes de 155 552 euros pour vous offrir la version Turbo (680 Ch / 650 Nm), ou de 189 152 euros pour la Turbo S. Retranchez 6 000 euros offerts par Bercy au titre du bonus écologique, avant de faire chauffer à nouveau la calculette en cochant les cases de la fiche d’options. Les autres se contenteront de remplir des grilles de Loto, dans l’espoir de gagner les fonds nécessaires à l’achat d’une voiture sportive allemande.
Pas de quoi néanmoins dissuader les 20 000 acheteurs potentiels qui ont signé un chèque de 2 500 euros pour réserver leur exemplaire, la plupart avant même d’avoir vu une simple photo de leur future acquisition. 20 000, c’est justement le chiffre de production annuelle que Porsche avait initialement prévu, revu depuis à la hausse à 40 000. Voilà qui devrait en tout cas inciter la marque à développer son réseau de stations "Porsche Turbo Charging" au-delà de Berlin, lesquelles permettent grâce à des chargeurs rapides opérant à 800 Volts (une première) de requinquer pleinement les batteries du modèle en 20 minutes seulement, et de limiter la prise de caféine du propriétaire en stand-by à un niveau raisonnable.
La Taycan permet donc à Porsche d’être la première marque "traditionnelle" à véritablement se positionner sur le marché des sportives électriques, et d’offrir enfin une alternative à Tesla. Certes, la marque américaine ne se situe pas exactement sur le même créneau avec des véhicules au comportement plus sage. Mais le modèle S n’en a pas moins construit une partie de sa réputation sur ses accélérations foudroyantes, à même de vexer les propriétaires de Lamborghini au Grand Prix des feux rouges, avec mise en ligne du reportage maison sur YouTube à la clef.
Preuve du sérieux des intentions des dirigeants de Stuttgart, la montée récente au capital de Rimac à hauteur de 15,5%. Cette start-up croate, dont le nom fait d’avantage penser à un médicament générique qu’à l’univers de l’automobile performante, s’est pourtant fait connaître par la conception d’une Supercar électrique au prix extravagant, dont un célèbre journaliste essayeur britannique envoya violemment paitre les 1 600 chevaux dans le champ le plus proche, après que ceux-ci aient échappé à son contrôle sur une route bucolique de la Confédération Helvétique. Mais lorsqu’elle ne passe pas son temps à ramasser les débris de ses autos accidentées, elle fait bénéficier de son savoir-faire un certain nombre de constructeurs, Porsche bien évidemment compris.
Voilà donc un étrange paradoxe qui nous fait passer presque sans transition de la "Jamais Contente", à des modèles dont l’électrification est avant tout destinée à filer un bon coup de pied au postérieur de ses acquéreurs, alors qu’il y a encore une quinzaine d’année, la perspective d’un futur automobile décarboné nous laissait entrevoir un avenir plutôt sombre, essentiellement constitué d’ "econo-boxes" aussi enthousiasmantes à conduire que les voiturettes de golf mentionnées précédemment. Et le mouvement ne semble pas devoir s’arrêter en si bon chemin. Lotus s’est en effet déjà déclarée avec le prototype de l’Evija, une berlinette hydrocarbure-free promettant rien moins que 2 000 chevaux ! Une proposition pour le moins curieuse de la part d’un constructeur dont la génétique s’est construite sur la chasse au poids plutôt que sur des mécaniques débordant de chevaux, mais sans doute pas étrangère à sa prise de contrôle par le constructeur chinois Geely, qui profite donc de la révolution électrique pour frapper les esprits. Et ne doutez pas un seul instant que Ferrari, Lamborghini, McLaren et consorts ne s’y mettent un jour, même s’ils se contentent pour l’instant d’associer l’électricité à une mécanique traditionnelle. Une hybridation qui permet à la fois de développer de jolis arguments aux accents écologiques sur les dossiers de presse, et d’ajouter quelques Newton-Mètre disponibles immédiatement en sortie de péage.
Reste le commun des mortels, comme vous (probablement), et moi (je vous le confirme) qui n’aura sans doute jamais accès aux plaisirs coupables de l’électricité. A moins que. Qui interdit en effet de penser que le potentiel sportif des Renault Zoe ou autre Nissan Leaf, pour ne citer qu’elles, ne sera pas bientôt exploité par les branches sportives de leurs constructeurs respectifs ? Je ne serais pour ma part pas étonné si dans les temps à venir, on écoutait le soir venu le sirènement caractéristiques d’un EV au passage de prototypes s’échappant subrepticement des bâtiments de Renault Sport ou de Nismo. A moins que Peugeot ne leur grille la politesse avec sa nouvelle 208, dont le compartiment moteur est sans doute trop exigu pour une motorisation à pétrole véritablement puissante, mais dont la version électrique s’accommoderait vraisemblablement des développements adéquats à une version "GTI-e".
Quoiqu’il en soit et en attendant que tout ceci se concrétise, vous pouvez maintenant fermer cette page, et profiter pleinement des plaisirs sales des moteurs carbonés…
Jean-Philippe Thery