24/06/2021 - #Tesla , #Bugatti , #General Motors , #Lotus , #Man , #Nissan , #Chevrolet , #Gmc
Le bon Hummer ?
Par Jean-Philippe Thery
C’est une chronique de poids que je vous propose aujourd’hui, dans laquelle je me mets sérieusement à table…
Avez-vous jamais conduit une moissonneuse batteuse ?
Eh bien moi si ! Une Massey Ferguson 520 qui paraissait gigantesque au gamin haut comme trois pommes que j’étais alors, avec ses 9,37 m de long pour 3,23 m de hauteur (la moissonneuse, pas le moutard). Mais elle l’était aussi pour mon ami Daniel quand il lui fallait me porter à bout de bras pour me permettre d’accéder à la plateforme où se situait le poste de commande. Propriétaire de l’impressionnante machine, Daniel était aussi le fermier qui habitait la grande bâtisse en face de chez mon arrière-grand-mère à Villers-le-Sec, village de 150 âmes situé dans la Meuse.
Evidemment, je me contentais de tenir le volant de l’énorme sauterelle motorisée, dont le cueilleur coupait les blés sur 4,2 m de large. Mais peu importait : à 6 ou 7 ans, on ne s’embarrasse pas de pédales, leviers ou autres commandes incompréhensibles, l’imaginaire de la conduite résidant tout entier dans l’objet circulaire qui donne ses ordres à la direction. De toutes façons, l’essentiel du moissonnage consiste à garder le cap en ligne droite jusqu’en fin de rangée, où Daniel reprenait la manœuvre tout en me laissant gentiment l’illusion d’avoir effectué le demi-tour permettant de repartir en sens inverse, signalé par de complexes arabesques que traçaient les roues arrière directrices dans la paille restée au sol.
On s’arrêtait vers midi pour casser la croute à l’ombre d’un arbre, en puisant dans le panier à victuailles préparé par les femmes. Pendant que Daniel avalait la moitié d’une bouteille de Valstar, je me désaltérai à l’eau teintée de sirop grenadine dans l’une de ces gourdes qui ne se départait jamais complètement du goût de plastoc. A l’époque, tout paraissait plus simple : Un jambon-beurre faisait l’affaire, et les bidons Teisseire ressemblaient à de vrais bidons, avec leur petit bouchon coloré en fonction du parfum. Moi, je profitais de mes vacances estivales pour conduire tracteurs et autres engins agricoles, autrement plus amusants que les autos à pédales auxquelles j’avais eu droit jusqu’alors, même si j’étais loin de me douter que le premier véhicule à combustion interne sur lequel j’avais mis la main cubait tout de même ses 5.800 cm³. En même temps, ces derniers n’étaient pas de trop pour emmener les 6 tonnes de la 520 aux 17,2 km/h en vitesse de pointe promis par la fiche technique.
Mais "avec le temps va, tout s’en va" disait Leo, surtout les souvenirs de gosse quand on est trop jeune pour s’embarrasser d’eux. Une vingtaine d’années plus tard, c’est le volant de légères voitures de sport que j’ambitionnais de saisir, à commencer par la svelte Lotus avec laquelle j’inaugurai l’habitude de commémorer mes anniversaires en louant des autos-plaisir. Une belle Elise que j’ai mentionnée non pas dans une lettre, mais dans l’une de mes toutes premières chroniques ("Le poids, voilà l’ennemi !"), où je vantais les mérites de ses moins de 700 kg qu’un modeste dix-huit-cents Rover de 120 chevaux suffisait à emmener, et qui alliés à la position centrale arrière de la dite mécanique, lui procurait une incomparable agilité.
A l’époque, j’adhérai pleinement au mantra de Colin Chapman, génial inventeur du cahier des charges des modèles de la marque d’Hethel dont il était le fondateur : "Simplify, then add lightness" (Simplifiez, puis ajoutez de la légèreté). Emile Mathis ne signifiait d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il affirmait quelques années auparavant que "le poids, c’est l’ennemi", principe dont s’inspira largement l’élève Bugatti, puis Jean Rédélé avec ses Alpines associant un châssis à poutre centrale avec une carrosserie en fibre de verre-polyester. Bref, mes préférences allaient aux sportives zéro pour cent de matière grasse, quitte à se racler le crâne lors des manœuvres d’entrée/sortie de l’habitacle, et se démonter les vertèbres en attrapant les tickets d’autoroute. La légèreté, ça se mérite.
C’est évidemment d’une toute autre école de pensée que relevait le Chevrolet Silverado qu’on me confiait pour un week-end quelques temps plus tard. Avec ses 2,1 tonnes étalées sur 4,94 m, le gros pick-up d’origine américaine (même si celui-ci était fabriqué en Argentine), avait bien besoin de chacun des 138 chevaux de son antédiluvien six-cylindres en ligne de 4.1l. Mais le couple était suffisant pour s’amuser de son comportement primesautier en sortie de rond-point, surtout sur asphalte humide (son état naturel à Curitiba où je me trouvais alors) et avec une benne chargée d’air. Et puis, la réaction de certains passants ou automobilistes découvrant la carrure du modèle -qui n’avait pas encore été lancé- faisait partie de la distraction. Je me souviens particulièrement du jeune conducteur abandonnant la posture frimeuse coude-à-la-portière-et-bras-tendu-au-dessus-du-volant pour se recroqueviller dans son siège en découvrant qu’il existait plus corpulent que son S10 (même marque, mais une catégorie en-dessous), alors que je me positionnais à son côté au feu rouge.
En comparaison, le pick-up que j’adoptais ultérieurement comme voiture de fonction chez Nissan France paraissait presque chétif malgré ses deux centimètres de plus. Mais dans les paysages d’Ile-de-France où je le trimballais, le gabarit d’un "mid-size" paraissait complètement outré, surtout que celui-ci avait oublié d’être discret en série spéciale "Hobie-Cat" avec sa peinture orange métallisé, délicatement réhaussée par des marchepieds, barres de toit et un arceau gris, métal lui aussi. "Qu’est-ce que c’est que ce truc ?" me demanda ma compagne d’alors lorsqu’elle le vit pour la première fois. Tout ça pour m’en piquer régulièrement le volant par la suite, elle qui n’affichait pourtant pas un goût prononcé pour la conduite. Moi, je me contentais de flipper dans le siège de droite, en observant le flanc métallique de la bête frôler dangereusement les rétroviseurs des voitures en stationnement. Je n’ai jamais compris si elle était particulièrement habile, si elle n’avait aucune notion du gabarit du "truc", ou si je n’étais décidément pas fait pour rouler à son côté. Toujours est-il que mon "camion" exerçait visiblement sur elle une étrange fascination.
Je pourrais encore vous parler du Patrol châssis Long (Génération Y61, phase III) avec lequel il m’arrivait de rouler à l’époque, qui faisait ressembler les pavillons de banlieue des General Manager de Nissan Europe dont il occupait le driveway à une villa dubaïote. Mais je n’abuserai pas de la patience du lecteur qui a déjà compris le message, d’autant plus qu’il serait honteux qu’après avoir inélégamment dénoncé une ex, je ne passe pas moi-même aux aveux. Parce que oui, je le reconnais, il m’arrive d’apprécier de rouler à bord de voitures "enrobées". Mais que voulez-vous, les pick-ups ou quatre-quatre de deux tonnes virgule quelque chose sont un peu à l’automobile ce qu’est la "comfort food" à la gastronomie. On peut à la fois fréquenter les établissements de Philippe Etchebest ou d’Hélène Darroze (ce n’est malheureusement pas mon cas), et se délecter de temps à autre d’un bon hamburger, accompagné d’inéluctables frites dûment mayonnaisées.
N’y voyez surtout pas une invite à pratiquer la soi-disant restauration rapide dans les succursales de certaine chaine à laquelle j’ai suffisamment donné en job étudiant. Mais avouez que se désarticuler la mandibule sur un sandwich à l’épaisseur superlative, et sentir les incisives, canines et prémolaires transpercer successivement les couches de pain, de garniture et viande cuite à cœur pendant que la sauce tiède dégouline lentement sur les commissures labiales relève d’une jouissance de l’excès comparable à celle qu’expérimente le conducteur d’un pick-up full size envoyant juste ce qu’il faut de surplus de couple aux roues motrice afin de provoquer un déhanchement aussi satisfaisant qu’inutile de l’arrière (scène réalisée sur route privée par un conducteur professionnel).
Bon, j’essaye de me border avec la NHTSA , parce que je viens sans doute de m’arranger suffisamment de problèmes comme ça en un seul paragraphe avec les électeurs d’EELV, les végétariens et assimilés et le ministère de la Santé (les tranches de tomates et les pickles, ça compte dans les cinq fruits et légumes par jour ?). D’autant plus que je ne suis pas sûr d’améliorer mon cas avec ce qui va suivre. Parce que figurez-vous que je viens de m’arranger une nouvelle lubie.
J’ai des envies d’Hummer.
Non, pas celui qui est mort en 2009 quand GM faisait banqueroute, mais le model year Twenty-twenty-two qui fera renaître la marque dès la fin de l’année. Cette fois-ci, les écolos ne pourront plus rien dire, pas plus que Schwarzy qui avait pourtant mis la marque à la mode au début des 90’s avant de virer sa cuti et de proposer à Greta de rouler en Tesla lors de sa tournée américaine en 2019. Parce que comme son nom complet l’indique, le GMC Hummer EV est une voiture électrique, ce qui signifie donc qu’on pourra bientôt se balader avec sans s’attirer les foudres des détracteurs de l’ancien, dont les différentes motorisations à huit cylindres en V pompait le carburant au rythme de la Cosmopompe des Shadoks.
Bon, évidemment, ce ne sont pas les watts qui vont manquer, avec des puissances (pour l’instant estimées) de 625 à 1.000 chevaux suivant les versions, en double ou triple motorisation, sans même parler du couple camionnesque. Mais après tout, personne n’a jamais mis dans le contrat des véhicules à batterie qu’ils devaient se contenter d’un moteur d’aspirateur. Et surtout, imaginez-vous évoluer en pleine nature dans un silence presque parfait, à écouter le frémissement du vent dans les branches ou les petits oiseaux gazouiller sans l’intrusion auditive (ni olfactive) d’une vilaine mécanique Diesel. Cette fois, c’est sûr, les sympathisants d’EELV vont me pardonner mes écarts passés.
Pour autant, ce qui me plaît avant tout dans le nouveau Hummer, ce sont ses mensurations. Parce qu’avec une longueur de 5,51 m pour une largueur de 2,20 et une hauteur de 2,06 m, l’objet ne fait pas semblant, et se permet d’assumer un poids attendu à plus de 4 tonnes (oui, vous avez bien lu). Pour le moins s’agissant du SUT (c’est-à-dire le pick-up), puisque le SUV attendu pour le millésime 2024 devra se contenter de 5,25 m du pare-chocs avant à la roue de secours accrochée au hayon, essentiellement par réduction de l’empattement, de 3,44 m à 3,22 m.
Mais quelle que soit la carrosserie, voilà un beau bébé, dont j’adorerais prendre le volant. Et non, inutile de me rappeler qu’il n’y a pas de borne de recharge dans le désert du Nevada, ni dans la plupart des endroits où celui-ci trouverait à s’exprimer pleinement. Pas la peine non plus de me signaler que l’autonomie de 563 km (350 miles) sera fortement diminuée par les "wheel-spin" et autres figures de style propres à la conduite tout-terrain. Je m’en fiche d’autant plus que les fantasmes fussent-ils mécaniques, ne s’embarrassent pas des contingences de la vraie vie. Moi tout ce que je veux, c’est connaître les sensations que ne manquera pas de distiller la conduite du bidule.
Sans compter qu’il y a plein d’autres trucs sympas sur le New Hummer, qui ne relèvent nécessairement de l’autopométrie, à commencer par une fonction "Launch Control" qui fait dans l’ultra-théâtral. Lorsque celle-ci est enclenchée, l’auto commence par se ramasser sur ses suspensions tout en préparant batteries et moteur par une petite séance de refroidissement, avant que les sièges des passagers ne commencent à vibrer, histoire de les conditionner psychologiquement au déplacement des organes internes qu’ils s’apprêtent à subir. Puis l’instrumentation se met à flasher pour signaler au conducteur qu’il est temps d’imprimer la pédale du potentiomètre dans le plancher pour libérer la "Watt to Freedom expérience", se traduisant par le 0 à 100 km/h en 3,5 secondes.
Pour autant, mon gadget préféré reste le "crab walk", qui permet à votre beau truck tout neuf d’adopter l’attitude typique des camions hors d’âge qui circulent dans certains pays de l’Est, dont la géométrie n’a visiblement pas été contrôlée depuis le siècle dernier. Mais là, tout ça s’opère évidement sous contrôle électronique, en profitant de l’aptitude des quatre roues à pivoter de 10 degrés dans la même direction, afin de sortir la bête d’une mauvaise passe, même si on se demande bien quel propriétaire inconscient mettrait son Hummer en telle posture.
En fait, le "crab walk" nous rappelle surtout les étonnantes capacités offertes par la propulsion électrique associée à la puissance électronique, qui permet de profiter de roues véritablement indépendantes sans toute la tripaille requise par les éléments transmissions des voitures thermiques. Chacune d’entre elles peut en effet recevoir une quantité de couple déterminée, ainsi qu’être rétro-accélérée, freinée ou orientée en fonction des besoins. Voilà qui ajoute aux progrès fantastiques effectués ces dernières années sur les bases roulantes, permettant d’assurer à des véhicules hauts et lourds une dynamique constituant de moins en moins un argument en leur défaveur, n’en déplaise à leurs détracteurs.
Pour le reste, l’avenir nous dira bientôt si General Motors détient enfin le bon Hummer, celui capable de faire perdurer une marque qu’on croyait disparue. Puisse-t-il également me permettre d’assouvir mes envies de très grosse bagnole, même si ce n’est certainement pas en France que j’aurai l’occasion de le tester. Saura-t-il m’impressionner autant que l’avait fait en son temps la Massey-Ferguson 520 ? Parce que même s’il ne semble a priori pas présenter grand-chose en commun avec une moissonneuse-batteuse, le Hummer nous rappelle néanmoins à son instar qu’en certaines circonstances, "size matters".
Et ça, ce n’est pas Colin qui l’a dit.