15/09/2022 - #Renault , #Bugatti , #Ferrari , #Honda , #Nissan , #Peugeot , #Ram
La voiture idéale
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous ramène à une époque où il fallait introduire une clef dans un barillet pour pénétrer à bord, à laquelle on actionnait un levier pour changer de rapport, et lorsqu’une antenne télescopique se dressait quand on allumait la radio…
Comme je vous l’ai raconté dans ma dernière chronique intitulée "Forever Young", je me suis récemment rendu au Big Car Show tourner un reportage consacré aux youngtimers sur le Circuit Bugatti du Mans. Et bien entendu, je ne me voyais pas effectuer les 400 km du voyage aller-retour autrement que dans une automobile de l’époque concernée. Evidemment, j’ai aussitôt pensé à une Nissan 300ZX.
Je vois d’ici les grincheux suggérer que j’aurais pu choisir une Citroën BX 1.6 TRS, une Peugeot 405 GLi, ou encore une Renault 5 GTL, afin de privilégier la production populaire locale plutôt que de me la péter en GT nippone haut de gamme. Mais que voulez-vous, si je savais où récupérer la Nissan, je n’avais pas la moindre idée de comment débusquer les trois autres. Sans compter que…. Oh et puis zut, qu’auriez-vous fait à ma place ? Surtout que celle que je connaissais disposais du VG30DETT, autrement dit la version bi-turbotée du six cylindres en V.
Pour mémoire, la Z32 -comme la désignent les amateurs de code programme- fut lancée en 1989.
Si ce dont je me souviens avoir lu il y a quelques années à son sujet est exact, travailler au développement de celle qui constituait alors le haut de gamme de la marque suscitait à l’égard de ceux qui avaient la chance d’en être des regards à la fois admiratifs et envieux de la part des collègues, lors des rencontres à la cantoche du NTC (autrement dit le Nissan Technical Center d’Atsugi). Il faut dire que le constructeur n’avait semble-t-il guère lésiné sur les moyens afin de positionner la nouvelle venue significativement au-dessus de sa devancière (la Z31, évidemment). L’équipe projet était d’ailleurs partie d’une feuille blanche sans aucune contrainte initiale de carry-over, même si elle avait finalement dû se résoudre à récupérer la mécanique existante après l’examen d’un fichier Excel à la cellule d’en bas à droite en format "monnaie/yen".
Une "économie" n’ayant pas empêchée quelques absurdités économiques comme la coexistence d’une stricte deux places (qui n’a jamais vu l’Europe) aux côtés de la 2+2, sans doute afin de démontrer comment réaliser à grand frais deux versions d’une même auto dotées chacune d’un plancher, de côtés de caisse, d’un réservoir à carburant et autres broutilles entièrement spécifiques, le tout sans élargir le potentiel de marché. J’y ai toujours vu le résultat d’une de ces segmentations Marketing dont l’entreprise a le secret, réalisées au "yanagiba" -le fameux couteau à sashimi- selon la technique du Usu-Zukuri, consistant à découper les tranches de poisson ou sous-segments clientèle si fines qu’on y voit au travers. Et je vous fiche mon billet que pas un seul acheteur n’aurait été perdu si seule la version à empattement long avait été retenue.
Mais peu importe, puisque ça permettait au constructeur de Ginza (dont le siège n’avait pas encore émigré à Yokohama) de voir son modèle fétiche confronté -entre autres- à la Ferrari 348 lancée la même année, et dont la première mouture ne gagna pas que des éloges de la presse spécialisée. La pauvre berlineta devait même être qualifiée quelques années plus tard de "merda" par Luca di Montezemolo, vexé comme un pou de s’être fait enfumer au Grand Prix des feux rouges par un boy en Golf GTi, alors qu’il conduisait l’exemplaire jaune qu’il s’était personnellement offert. Celles qui furent opposées à l’Italienne dans les pages des magazines spécialisés en profitèrent largement, particulièrement la Honda NSX, mais aussi la Z32, malgré un typage plus Grand Tourisme.
Pour être tout à fait honnête, si vous aviez demandé au gamin de 20 et quelques années, lecteur de Sport-Auto et autre magazines porn-autographiques que j’étais alors, de laquelle de ces autos il aurait souhaité prendre le volant, j’aurai fait fi du jugement des plumitifs de service pour mettre les mains sur le trois branches équipé en son centre d’un disque jaune affublé d’un équidé furieux dressé sur ses pattes arrière. A l’époque, la carrosserie de la 300ZX me paraissait un peu fade, et son habitacle bien trop sage en comparaison de la perfectible mais exubérante ragazza de Maranello.
Mais le monde est aussi fait qu’avec l’âge -enfin je veux dire l’expérience- le regard se porte sur des attributs différents, et c’est plutôt à la discrétion et l’élégance de bon aloi de la japonaise que je ferais aujourd’hui allusion. Voilà les qualificatifs qui me sont venus en tête lorsque en admirant l’exemplaire que je suis allé récupérer, superbe avec sa robe nacrée "Charcoal Grey" (référence KH2), prouvant sans doute à quel point je me suis rendu aux charmes discrets de la bourgeoisie à quatre roues…
Pour être tout à fait honnête (bis), l’essai routier a tout de même débuté par une petite déception. C’est qu’avec les 373 Nm à 3.600 tr/min et 280 ch annoncés par la fiche technique, je m’attendais à prendre une gentille fessée. Oh pas la grosse correction que nous infligent les sportives surpuissante d’aujourd’hui, mais tout de même une petite tape sur le séant. Or la mécanique ne s’exprime véritablement que passé un certain régime, rappelant qu’à l’aube de la suralimentation, turbo-lag était le nom du jeu, même si l’arrivée du couple se fait ensuite progressive et que le V6 affiche tout de même une belle santé en allant chercher la zone rouge avec une certaine célérité. Il n’empêche, celui-ci emmène plus qu’il ne propulse, et les amateurs de SM automobile devront se tourner vers d’autre modèles, tant l’auto dans son ensemble rend la vie à bord des plus faciles. D’ailleurs le "mien" ne disposait pas même de la sellerie cuir noire…
Commençons d’ailleurs par les sièges, qui font dans le genre cozy, promettant de longues distances sans ressentir la fatigue. Ajoutez-y un habitacle particulièrement lumineux grâce au vaste pare-brise et aux demi-toits en verre, permettant d’éclairer un habitacle qui fait pourtant dans les 50 tons de gris au gré des différents revêtements qui l’habillent. Si on y ajoute un accès à bord incroyablement facile malgré la position de conduite allongée, on comprendra que le briefing délivré aux ingénieurs ayant présidé à sa conception les enjoignaient de démontrer que la douleur n’est pas une condition indispensable au plaisir dans une voiture à vocation sportive .
Ceux-ci ont d’ailleurs été parfaitement secondés par leur collègues ergonomes, qu’il s’agisse de l’excellente position de conduite, de celle de la commande de boite (évidemment manuelle), ou encore des différentes manettes et interrupteurs entourant un combiné d’instrumentation rappelant très vaguement les satellites de la Citroën Visa, mais avec un dessin réussi... Il n’y a guère que le bouton "Rec" de l’Air Conditionné dont je me suis demandé sur tout le trajet aller ce qu’il permettait d’enregistrer, avant de réaliser au retour qu’il commandait la recirculation d’air…
L’instrumentation, parlons-en justement. Moi qui fustigeait les adeptes du "c’était mieux avant" dans ma chronique précédente, je suis bien embêté de devoir avouer que le graphisme du gros tachymètre et du compte-tours qui l’accompagne ne m’ont posé aucun problème de lecture, même avec lunettes de soleil correctrices mais pas progressives, contrairement aux faux cadrans parfois riquiquis des productions actuelles. Et si j’ai souri la première fois que s’est allumé le témoin du "Cruise-control" façon K2000, je n’ai pu que constater combien il portait bien son nom de voyant. Je n’ai rien contre les TFT actuels, mais j’ai parfois l’impression que la finesse des caractères qu’ils permettent incitent trop souvent leurs concepteurs à sursolliciter notre cortex visuel par une abondance d’informations pas toujours judicieuses. A titre d’exemple, la Prius que je conduis en ce moment (provisoirement, rassurez-vous) affiche en permanence un "no message" non seulement inutile, mais qui me rappelle aussi à quel point on est vite oublié de ses connaissances dès qu’on s’éloigne géographiquement.
Finalement, j’étais content que les watts ne déboulent pas d’un seul coup aux roues arrière lorsque je me suis pris un déluge sur l’A11. N’ayant pas réussi à reconstituer la chronologie des aides à la conduite qui évitent de se mettre dans les arbres afin de savoir si ma belle propulsion en était ou non équipée, j’ai dans le doute fait preuve à l’égard de l’accélérateur de la plus grand délicatesse lors des réaccélérations. Une fois sorti de l’autoroute -mais heureusement pas de la route- j’ai pu vérifier que ma prudence était sans doute justifiée grâce au déhanchement du postérieur provoqué en quittant un rond-point. Un exercice que je me suis bien gardé de répéter une fois prévenu, et qui m’a rappelé qu’à l’époque de K2000 (et même un peu après), les autos n’étaient pas encore si "digitales" qu’on pourrait l’imaginer.
Mais ce que je retiens surtout de ce trajet, c’est que contrairement à l’adage, il est parfois bon de rencontrer ses idoles. En effectuant les premiers tours de roue à sortir du bâtiment où j’en ai pris possession -malheureusement provisoire- j’avais vraiment très envie que la 300ZX ne me déçoive pas. Et pour vous la faire courte, j’étais particulièrement triste de retourner dans le même bâtiment trois jours plus tard pour en restituer les clefs, aussi sympathique fut la personne à qui je les tendais. Parce qu’au cours des trop courts moments que j’ai passés avec elle, ma très Fairlady (ainsi dénommée dans son pays d’origine) s’est révélé être la voiture idéale.
J’en conviens, j’ai parfois cherché le 6e rapport sur l’autoroute. Et c’est vrai, il m’a fallu ventouser un affreux support de téléphone cellulaire sur le parebrise pour disposer du GPS. Mais pour le reste, Miss Z m’a gratifié d’un confort surprenant pour une auto de la catégorie, une légère tendance percutante sur les hautes fréquences mise à part. Et surtout, l’auto m’a semblé représenter le compromis idéal entre le bien-être à bord auquel on aspire forcément quand on est parvenu à un certain kilométrage dans la vie, et l’envie encore présente de ressentir quelque chose quand on prend un volant. Une direction peut-être un poil légère, mais remontant juste ce qu’il faut d’informations, une commande de boite aux verrouillages précis et aux débattements parfaitement calibrés, un embrayage progressif en parfait accord avec la mécanique, même si une certaine dureté constituait avec des vérins de coffre fatigués le seul signe tangible de vieillissement d’une auto tout de même trentenaire.
A sortir avec elle durant ce weekend idyllique, j’en suis arrivé à penser que j’aurais volontiers fait de cette voiture-là ma compagne de tous les jours, ma "daily" comme on dit de nos jours dans les rassos de youngs. Même si j’ai volontiers occulté dans ces moments-là la consommation plus tout à fait au goût du jour, et la préoccupation qui serait alors la mienne si je devais m’assurer de préserver une carrosserie plutôt exposée des aléas urbains. Sans compter que le covoiturage à son bord ne peut décemment concerner qu’un(e) seul(e) passager(ère) au-delà de 2 ou 3 kilomètres, sous peine d’être accusé de maltraitance à l’égard des occupants de l’arrière. D’ailleurs, soyons clairs : la voiture idéale en toutes circonstances n’existe. Mais il existe comme ça des autos capable de vous offrir de ces petits moments de véritable perfection automobile.
Et je crois bien que c’est exactement ce qui m’est arrivé avec la 300ZX.
PS : Merci à ceux qui ont eu la gentillesse de me prêter cette superbe auto. Ils se reconnaîtront…