07/12/2023 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Bugatti , #Peugeot , #Smart , #Fiat , #Toyota
La VE qui va avec
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’une icône. Mais d’une icône plus que jamais branchée…
"Tu es vraiment sûr ?"
Au téléphone, ma grand-mère ne semblait pas vraiment rassurée à l’idée que sa nouvelle voiture serait rouge. Mais quinze jours plus tard, lorsque je "descendis" à Lyon pour lui livrer sa Twingo toute neuve acquise auprès du Bureau des ventes au personnel, elle ne regretta sûrement pas de m’avoir laissé l’immense responsabilité d’en choisir la livrée. Il faut dire qu’en "rouge nacré" référence 783, la petite Renault affichait un rien de chic auquel ni ses congénères aux teintes opaques disponibles sur la première collection (Jaune Indien, Rouge Corail, Bleu Outremer et Vert Coriandre) ni même celles se payant le luxe optionnel du noir ou du gris brume métallisé ne pouvaient prétendre.
Suivra quelques années plus tard une version Initiale "Vert Amande" 190. Avec un rayon d’action réduit aux trajets effectués autour de son domicile, je ne suis pas certain que sa conductrice ait remarqué les 5 chevaux et 3 Nm de couple supplémentaires du 1.2L 8 soupapes D7F, ni les progrès substantiels de ce dernier en matière de consommation de carburant par rapport au vénérable "Cléon" C3G qui tractait le modèle à son lancement. Ce qui l’intéressait surtout, c’est que le cuir couleur crème revêtant les sièges comme le volant ainsi que le pommeau de levier de vitesses ajoutait encore au facteur "chic" de la petite citadine. Il faut dire que même à un âge avancé que la déférence d’un petit fils ne me permet pas de révéler, son élégante propriétaire n’aurait pas songé à sortir sans une discrète touche de maquillage, ni à s’emparer des commandes de son auto sans les indispensables gants de conduite dessus-maille-dessous-cuir-perforé.
Avec plus de 2,6 millions d’exemplaires produits de 1993 à 2007 -et même si tous n’étaient évidemment pas uniquement destinés à la France- il y a forcément parmi les aimables lecteurs de cette chronique de nombreuses histoires Twingo à raconter. Il faut dire qu’avec sa bouille de batracien rieur, sa façon bien à elle de transformer ce qui aurait été perçu comme indigent sur n’importe quel autre modèle en intelligence de conception (comme l’antenne prenant joliment naissance sur l’embase de rétroviseur masquant l’économie de longueur de câble), ou encore l’extraordinaire volume intérieur permis par sa carrosserie monovolume associé à la modularité de sa banquette arrière coulissante, la Twingo première du nom a été littéralement iconisée de son vivant.
Voilà qui explique évidemment son incroyable longévité, puisque la Twingo dans sa version originelle a eu l´équivalent de deux vies d’une automobile normale, sans connaître d’évolution stylistique majeure. Sans aucun doute parce que son succès ne s’est jamais démenti au cours de ces 14 années de "vie série", au cours desquelles on changeât de siècle, de millénaire et même de monnaie. Mais pas que. J’ai en effet dans l’idée que le décideur corporatif rechigne à endosser la responsabilité de remplacer une icône par un objet qui souffrira forcément de la comparaison avec celui qui le précéda. Peugeot avait en son temps éludé la succession de l’idole 205 en lui octroyant une 106 plus petite et une 306 plus grosse en guise d’héritières, pour le plus grand bonheur de la Clio. Chez Renault, on temporisa avant de sortir -enfin- une Twingo II supposément dotée de ce qui faisait défaut à sa devancière entre motorisations diesel et vraie boite auto, mais en oubliant l’essentiel. Non pas qu’elle fut -loin de là- une mauvaise auto mais parce qu’on ne s’y serait sans doute pas pris autrement si on avait voulu banaliser le modèle. Quant à la troisième du nom, disons qu’avec son moteur et ses roues motrices aux fesses, elle affiche clairement le compromis ayant présidé à sa conception sur une plateforme "for three" partagée avec les Smart Fortwo et Forfour.
D’aucuns considèreront d’ailleurs que la "vraie" Twingo aura attendu 30 ans pour se trouver enfin une digne descendance, sous la forme d’un concept-car présenté le 15 novembre dernier lors de la conférence de presse célébrant la naissance officielle d’Ampère, filiale EV, SW (pour software) et branchée du Groupe RNLT (une voyelle se cache parmi ces acronymes. La trouverez-vous ?). Elle n’était pourtant pas seule puisqu’entourée des Mégane et Scénic actuels du même jus -d’électrons bien sûr- ainsi que des futures Quatre et Cinq. Mais tout le monde n’avait d’yeux que pour elle, et pas seulement parce qu’elle était la seule vraie nouveauté du lot.
De fait, avouez qu’elle est tout de même craquante cette Twingo Legend -c’est son p’tit nom- même si elle abuse un peu du botox avec ses éléments caractéristiques hypertrophiés, qu’il s’agisse des feux façon signature lumineuse "pourtourés" de black piano, des trois protubérances formant autant de prises d’air factices sur un capot qui n’est plus moteur, ou des poignées de porte genre pleine lune noire, débordant sur celles de l’arrière, lesquelles cachent la leur dans le panneau de custode, histoire de ne pas trop se faire remarquer puisque l’habitacle de l’inspiratrice ne disposait que de trois ouvrants. Mais peu importe puisque l’ensemble fonctionne à merveille et qu’on la regarde avec un plaisir mêlant les joies de la nouveauté à celles des retrouvailles avec une vieille connaissance.
Alors…pourquoi y a-t-il un truc qui me gêne ?
J’ai eu beau chercher, je n’ai trouvé que deux automobiles néo rétro s’inspirant de modèles des années 90. La première est pour le moins marginale, puisqu’il s’agit de la Bugatti Centodieci manufacturée l’année dernière en dix exemplaires, rendant -comme son nom l’indique- un hommage d’autant plus étrange que la communication de la marque avait jusqu’ici tout fait pour effacer les années 1991 à 1995 de son histoire. Un peu moins rare, la Toyota Supra n’en n’opère pas moins sur le marché de plus en plus niché des coupés GT, le modèle actuel faisait clairement allusion à la génération A80, quatrième de la lignée produite de 1993 à 2002. Lorsque sa version de série sera lancée, la Twingo -qui ne sera peut-être plus "Legend"- sera donc la première auto néo rétro de grande série descendant d’un modèle contemporain à l’apparition du néo rétro, quand Volkswagen présenta son concept "One" au North American International Auto Show de 1994, préfigurant la New Beetle lancée trois ans plus tard.
De fait, des engins comme les Mini ou Fiat 500 contemporaines puisent dans une histoire plus ancienne, comme à peu près toutes celles qui jouent sur le registre nostalgique depuis bientôt 30 ans. Et comme vous l’aurez évidemment remarqué, c’était aussi le cas de deux autres des cinq modèles participant à la conférence Ampère, avec une Quatre et une Cinq nous ramenant respectivement en 1961 et 1972. Et si les mécanismes évocatoires restent les mêmes, ça nous rappelle tout de même que le temps passe, que le néo rétro est en train de devenir rétro, et qu’au rythme où vont les choses, on aura bientôt droit au premier modèle néo rétro inspiré d’un modèle néo rétro. Quelque chose comme une "New-New-Beetle" qui n’en finirait pas de renaître.
En fait, je me demande si les nouvelles anciennes autos de la marque en disent plus sur nous-mêmes que sur Renault. Parce que si en dehors de quelques exceptions, l’électrification s’est d’abord accompli "par le haut" -un phénomène parfaitement normal n’en déplaise aux grincheux ignorant que la nouveauté apparait généralement en haut de gamme- l´heure semble être venue de modèles à batteries plus compacts et destiné à une grande diffusion, lesquels auront pour charge de convaincre une clientèle plus "mainstream" maintenant que les "early adopters" ont été servis. Et il semblerait que chez Renault, on ait envie de rassurer ceux qui hésitent encore à transitionner coté énergie en cajolant les zones cérébrales qu’activent les expériences nostalgiques.
Pour ne rien ne vous cacher, je trouve ça un peu inquiétant. N’y voyez pas un reproche fait à la marque, qui aurait tort de se priver si ces mécanismes-là fonctionnent. Mais s’il est quelque chose que j’attendais de l’électricité appliquée à nos (très) chères autos, c’est que les nouvelles architectures auxquelles elle fait appel permettent que l’innovation se manifeste aussi dans des formes totalement revues. Si les anciennes nouvelles Renault atteignent les objectifs qui leur sont fixés dans le secret des fichiers Excel de la Direction du Produit -ce que je leur souhaite évidemment- j’aurai donc été à côté de la plaque, en oubliant plus ou moins consciemment que l’histoire automobile -même ancienne- nous enseigne qu’il ne fait pas toujours bon innover.
Et puis, vous avez compris que ces élucubrations ne m’empêchent pas d’apprécier cette Twingo nouvelle mouture mais pas trop, à laquelle je souhaite qu’elle trouve -pour paraphraser le légendaire slogan publicitaire de 1993- plein de gens qui aient envie "d’inventer la VE qui va avec". Mais je me dis aussi que si la Twingo Legend rencontre le succès, il faudra un jour songer à remplacer la remplaçante de l’icône, et que je ne voudrais pas être à la place de celui qui en aura la charge.
Voilà pourtant qui ne m’empêchera pas de lui adresser mes demandes par anticipation. Autrement dit qu’il prévoit le rouge nacré au teintier, ainsi qu’une version Initiale…