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12/09/2024 - #Tesla , #Ford , #Cadillac

La Fée Electricité

Par Jean-Philippe Thery

La Fée Electricité
Au commencement était la foudre (Crédit : Hansueli Krapf)

Aujourd’hui, je vous parle d’une créature un peu magicienne. Mais qui joue parfois aux sorcières…

Savez-vous quel est le point commun entre Archimède, Aristote, Léonard de Vinci, Blaise Pascal, Isaac Newton, Alessandro Volta, James Watt, Georg Ohm, André-Marie Ampère, Michel Faraday, Samuel Morse, Marie Curie, Pierre Curie, Alexander Graham Bell et Thomas Edison ?

Si vous trouvez la liste un peu longuette, dites-vous bien que j’aurais pu citer l’intégralité des 108 scientifiques figurant sur la toile réalisé par Raoul Dufy pour l’Exposition universelle organisée à Paris en 1937. Commandée par la CPDE -Compagnie Parisienne de Distribution d’Electricité- la Fée Electricité a longtemps constitué le plus grand tableau du monde avec ses 600 m². Une œuvre monumentale qu’on peut aujourd’hui admirer au Musée d’Art Moderne de la Capitale, plus de huit décennies après qu’elle a fait la joie des visiteurs de l’Exposition, qui se pressèrent dans le Pavillon de la Lumière érigé par Robert Mallet-Stevens. Nul doute que ceux-ci ont apprécié le résultat du cahier des charges remis à Dufy, lequel stipulait qu’il s’agissait de "Mettre en valeur le rôle de l’électricité dans la vie nationale et dégager notamment le rôle social de premier plan joué par la lumière électrique".

Dufy célébrait ainsi celle qui avait déjà été la vedette de la précédente Exposition universelle réalisée à Paris en 1900, mise en scène par le fabuleux Palais de l’Electricité érigé à l’extrémité sud du Champs-de-Mars. Illuminé par 7.000 ampoules à incandescence et 12 lampes à arc, l’édifice de 130 m de long et culminant à 70 mètres réalisé par Eugène Hénard abritait les machines produisant l’énergie nécessaire à la bonne tenue de l’exposition. Sur la façade faisant largement appel à des jeux d’eau, des figures allégoriques représentant l’Humanité, le Progrès et l’Avenir veillaient sur les vasques occupant une niche de 30 mètres d’ouverture sur 11 de profondeur.

Il faut dire qu’au passage de relais entre les deux siècles, Paris méritait plus que jamais le qualificatif de "Ville Lumière" conquis en 1665, quand elle fut la première cité au monde à bénéficier d’un éclairage public. Depuis -décidément- la première Exposition internationale de l’Electricité réalisée en 1881 à peine deux ans après qu’Edison eut fait luire la première d’entre elles, les ampoules à filament avaient en effet remplacé le gaz de ses réverbères. Et si en 1900, la ville était encore découpée en 6 secteurs électriques disposant chacun de son propre standard entre 110 Volts continu à deux, trois ou cinq fils ou courant alternatif à haute tension de 3.000 Volts, il n’en restait pas moins que l’électricité, c’était vraiment magique. 

Et il n’y avait pas de raison pour qu’il n’en fût pas de même pour l’automobile, d’autant plus que le moteur électrique présente un rendement de 90%, quand les motorisations thermiques doivent se contenter de transformer à peine 36 ou 42% de l’essence ou du gasoil qu’elles brulent en énergie de propulsion. Mais ce que les partisans de la voiture électrique qui ne manquent jamais de nous le rappeler oublient, c’est le reste de la chaine de traction, et notamment le fait qu’un bête réservoir de carburant liquide affiche une densité énergétique 30 à 40 fois supérieure à celle des meilleures batteries destinées à l’automobile. Pas étonnant dans ces conditions que les véhicules alimentés au nectar de diplodocus l’aient finalement emporté sur ceux sirotant du jus d’électrons.

La petite fée avait pourtant des raisons d’y croire, puisque si Allemands et Français se disputent la paternité de l’automobile entre le tricycle Benz de 1885 et la Delamare-Deboutteville d’un an son ainé, Gustave Trouvé (un nom pour le moins prédestiné) avait roulé dès 1881, juché sur un drôle de tricycle alimenté par des batteries au plomb mises au point par un certain Gaston Planté (et pourtant…). Au tout début, on hésita d’ailleurs quelques années entre les différentes énergies, vapeur comprise,  et ce n’est pas le moindre des paradoxes que Clara Ford ait en 1915 jeté son dévolu sur une Detroit Electric pour ses déplacements, elle dont l’Henry de mari allait largement contribuer à populariser l’automobile mue par l’essence de pétrole. L’équation poids emmené versus énergie restituée prévalut donc, bien aidé par l’étanchéité très approximative de batteries aux émanations plus toxiques que les effluves d’échappement dont certains n’hésitaient pas à alléguer qu’elles assainissaient l’air des villes en le débarrassant des moustiques.

Comble de l’ironie, certains attribuent le succès du moteur à combustion interne au démarreur électrique installé dès 1912 sur des Cadillac, illustrant le rôle à la fois fondamental et accessoire qu’allait jouer pendant plus d’un siècle l’électricité à bord de nos automobiles, au service d’une mécanique qui lui avait pourtant chipé le premier rôle. On ne s’étonnera pas dans ces conditions que l’avènement récent de la voiture électrique soit considérée par certains de ses partisans comme la manifestation d’une forme de justice immanente.

Mais sans doute l’esprit revanchard va-t-il parfois un peu loin quand notre bonne fée tente d’exercer ses talents de magicienne avec les statistiques de vente, en essayant de nous faisant passer des V6 pour des lanternes. Tenez, prenez la dernière nouvelle en date provenant de Chine, où nous explique-t-on, il s’est vendu en juillet plus de voitures électriques que de thermiques, celles-ci ayant représenté 51% des volumes de véhicules neufs. Un point d’inflexion historique consacrant enfin la supériorité des voitures zéro émissions, annonçant inéluctablement la fin de ce symbole du monde d’hier que constitue l’automobile mue par un moteur à combustion interne.

Ou pas. Parce qu’à moins de considérer que le moteur qu’elles abritent sous le capot du même nom ne constitue qu’un élément purement décoratif, qualifier les hybrides rechargeables de voitures électriques relève purement et simplement de l’escroquerie intellectuelle. Or celles-ci sont comptabilisées dans ce que nos amis chinois désignent habilement comme "NEV", autrement dit "New Energy Vehicle", contribuant à hauteur de 23 points aux fameux 51%. En d’autres termes, les véhicules électriques à batterie n’ont représenté sur la période considérée que 27% des ventes de véhicules neufs, 73% de ces dernières étant donc constitué de véhicules thermiques, pour certains électrifiés.

Non pas que 27% ne constitue pas un score important, celui-ci ponctuant même une progression constante de la catégorie. Mais ce n’est pas non plus comme si le gouvernement du pays laissait faire le marché, ou que les importantes remises consenties sur les VE en raison des stocks dus à leur mévente elle-même consécutive à une importante surproduction n’y aient pas contribué. 

Dans le même ordre d’idée, je ne résiste pas au plaisir de mentionner la publication circulant sur les réseaux sociaux, indiquant que la Chine "possède 70% de voitures électriques sur la route de plus que l’Union Européenne et les Etats-Unis réunis". Certes, la progression sur 10 ans est loin d’être négligeable, puisqu’il est tout de même question de 21,8 millions de véhicules en 2023 à comparer aux 85.000 unités recensées en 2014. Mais rappelons aussi que ce total représente moins de 7% de la flotte totale chinoise comptant plus de 336 millions de voitures. 

Ce genre de tour de passe-passe est devenu monnaie courante, qu’il s’agisse de sommer véhicules hybrides et 100% électriques, de jouer sur les progressions de volumes ou les volumes eux-mêmes sans tenir compte des variations du marché, ou encore de s’appuyer sur les scores -certes réels- de la voiture la plus vendue au monde, mais dans un contexte de forte concentration de l’offre et d’un marché dominé par une marque. Ce n’est d’ailleurs plus tout à fait vrai aujourd’hui, même si on ne peut que s’incliner devant la performance de Tesla, qui constitue un cas unique dans l’histoire de l’automobile. 

A ceux qui souhaitent comprendre le statut réel de l’électrification des marchés automobiles, je donnerais volontiers un truc, même s’il ne faut pas s’attendre à je ne sais quelle formule magique de ma part, tant celui-ci relève de l’évidence. Suivez la part de marché des véhicules électriques à batterie (VEB) par rapport aux ventes de véhicules neufs. Et s’agissant de l’Union européenne, force est de constater qu’en la matière, les nouvelles ne sont pas particulièrement bonnes, puisque celle-ci atteint très exactement 12,5% au cumul de l’année, en net recul par rapport aux 14,6% de l’année 2023.

Ce n’est pas être "anti-VE" que de le dire, ni négationniste, climato-sceptique, boomer ou je ne sais quoi encore, mais simplement établir le constat que le chemin de l’électrification est probablement loin d’être aussi aisé que certains ne l’espéraient. Et notre chère petite fée ferait sans doute bien de s’en préoccuper plutôt que de chercher à nous jeter de la poudre aux yeux, en commençant par exemple à faire les yeux doux aux grands oubliés de ceux qui ont décrété la fin des motorisations thermiques sans songer à les consulter.

Bref, si on veut vraiment faire progresser la voiture électrique, et à moins d’imaginer le grand retour de l’économie planifiée,  il serait peut-être temps de s’intéresser à ses clients potentiels.

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Réactions

Dans le même ordre d'idée nos amis journalistes nous rabattent que les consommateurs plébiscitent dorénavant les véhicules hybrides...
Certes si on regarde ces mêmes chiffres on pourrait le croire.
Mais mettez vous à la place du consommateur lambda et regardez le contenu des catalogues constructeurs... on y trouve quoi ? Ben quasi plus que des hybrides... Donc forcément quand vous n'avez pas d'autre choix CQFD
Toujours la même question : qui est le premier : la poule ou l'œuf ?
Là c'est pareil : les gens achètent-ils hybride parce qu'ils en veulent et donc les constructeurs ne mettent que ça dans le leur offre ou bien comme les catalogues ne sont constitués que d'hybride les gens en achètent...

Eh oui, on en revient toujours à un des principes de base du commerce, on ne vend que ce qu'on a !
Ca me rappelle de nouveau un directeur commercial dans les années 80, Bruno le connais, qui amait les voitures noires et avait commandé 60% du stock de l'année en noir alors que les clients voulaient du gris métal. A force de promos et de pouse ferraille chez les concessionnaires ("OK mais tu me prends une noire.." elles ont été évidemment vendues. Ce qui a permis au directeur commercial de conclure dans sa présentation de fin d'année qu'il avait raison et que les clients voulaient bien du noir...
;0))

Je bois du petit lait en lisant cette rubrique, surtout les deux derniers paragraphes. Merci JPT, l'église est bien remise au milieu du village.

PS à Luc : oui je vois très bien. De plus, étant très superstitieux il n'avait pas commander de voitures vertes -couleur portant soi-disant malheur- nous faisant rater pas mal de ventes "Pine Green" (rien de sexuel, il s'agit de l'arbre). De même, les Italiens et les Français réclamaient aux Suédois un gris anthracite qui nous le refusaient au prétexte que c'était une couleur triste et dangereuse (1). Après une pression intense, ils ont fini par nous offrir un gris magnifique baptisé "Odoardo Grey" (2), qui eût un succès inimaginable.

(1) Couleur entre chien et loup dans un pays où la nuit est très longue, pays où fut rapidement instauré l'allumage des phares de jour obligatoire. (comme disait Coluche à propos d'un Norvégien en garde à vue : que faisiez vous dans la nuit du 2 octobre au 3 mars ?).
(2) L'importateur des Saab en Italie était indépendant et non pas une filiale de Saab comme en France. Le président de cette société d'importation s'appelait Odoardo Pagani et les Suédois ont eu la délicatesse de nommer le gris du prénom de celui qui l'avait tant réclamé.

il n'avait pas commandéééééééééééééééé

Ce qui est marrant c'est que cette couleur est la favorite, parfois associée au grenat, des véhicules de pompes funèbres...
;0))

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