03/11/2022 - #Volkswagen Vp , #Hyundai , #Honda , #Kia , #Mazda , #Nissan , #Cadillac , #Chevrolet , #Toyota
Histoires sans lendemain
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’une Toyota à la mécanique plantureuse, et de ce que j’aime dans les liaisons passagères…
"Vous voyez la rangée numéro 5 ? Eh bien choisissez celle qui vous plaît et partez avec. Les clefs sont à l’intérieur."
Après 7 heures de vol mal dormies, les formalités douanières d’usage et l’attente au convoyeur numéro deux pour récupérer une valise aussi bleu foncé que la majorité de ses congénères, je ne peux avoir affaire à personne plus agréable que Mister Joe. L’employé de la compagnie de location auprès de laquelle j’ai réservé un véhicule semble déterminé à me faire plaisir, puisque bénéficiant d’un surclassement sans supplément, je me vois offrir le choix du modèle parmi la quinzaine d’autos de la catégorie "full size" garées en épi sur le parking. A ce moment précis, je bénis la métropole tentaculaire de Détroit où je viens d’atterrir, de ne pas disposer d’un réseau de transports en commun capable de rivaliser avec la voiture individuelle.
La composition d’un parc de voitures de location en dit long sur le marché automobile local. Sur la dizaine de modèles qui s’offrent à moi, une seule américaine. Les autres sont fournies par Honda (Accord), Hyundai (Elantra et Sonata), Kia (K5), Mazda (6), Nissan (Altima et Maxima) et Toyota (Camry et Avalon), témoignant de l’abandon du segment par les constructeurs locaux au profit de trucks qui constituent -mais pour combien de temps encore- leur chasse gardée. Dans ce contexte, la brave Chevrolet Malibu fait donc figure d’exception, même si je choisis de l’ignorer. Après tout, elle est délaissée par son constructeur lui-même qui a annoncé sa fin de vie pour 2024, et qui en restreint d’ores et déjà sa production. Mais peut-on en vouloir aux compteurs de flageolets de la GM de préférer les marges qu’on devine plus juteuses du SUV Cadillac XT4, avec lequel elle partage les chaines de l’usine de Fairfax dans le Kansas ?
Voilà qui ne m’empêche pourtant pas de jeter mon dévolu sur un modèle lui-même indisponible à la vente depuis quelques mois. Mais avouez que les 301 chevaux délivrés par son V6 de 3.5l parlent en faveur de la Toyota Avalon face à ses concurrentes de parking qui se contentent d’un "vulgaire" quatre cylindres alignés. Certes, j’aurais pu choisir la Maxima qui dispose d’une mécanique équivalente, mais accouplée à une boîte CVT qui ne peut rivaliser avec la transmission bien sous tous rapports de la Toyota, d’autant plus qu’elle en dispose de huit. Bien sûr, mon choix se justifie très rationnellement par l’incursion que j’ai prévue d’effectuer sur le territoire canadien et les kilomètres d’autoroute qui vont avec, surtout en feignant d’ignorer que le gallon de gazoline est tarifé 30% plus cher chez nos amis siroteurs de jus d’érable que chez leurs voisins étasuniens.
Je vous l’avoue, je pratique avec d’autant plus d’excitation les aventures sans lendemain en compagnie de voitures de passage qu’elles se produisent à l’étranger. Rien de tel en effet qu’un peu de nouveauté pour renouveler l’amour de la conduite, pendant que Karl (ma Benz à moi) m’attend sagement sur un parking longue durée à Charles de Gaulle. Un plaisir que j’ai découvert à l’époque où j’organisai loin de France des clinic-tests pour un constructeur national, et que je profitais de l’occasion pour "tester la concurrence", prétexte cousu de fil blanc pour m’offrir un peu d’exotisme sur quatre roues et sortir du train-train de mon automobile quotidienne.
Et c’est justement ce que me propose l’Avalon avec sa mécanique aguicheuse, dont je vérifie néanmoins en soulevant le capot qu’elle se trouve bien dans le compartiment moteur, histoire de ne pas me retrouver avec le "four-pot" hybride également disponible sur le modèle. Une auto que je ne suis pas près de conduire en France ni probablement de reconduire à l’avenir, puisque sa trop grande proximité avec la Camry a eu raison de ses performances commerciales et par conséquent d’une lignée qui s’éteindra avec sa cinquième génération. Ça démarre pourtant moyen entre nous quand j’ouvre la portière pour la première fois et que je découvre l’harmonie -façon de parler- de la sellerie noire et caramel, garnie d’un cuir que j’ai d’abord cru du genre "écologique" en raison de son aspect. Mais pour avoir vérifié sur le site Web du constructeur, il semblerait qu’on soit encore vache avec les bovins sur ce modèle-là, et que le matériau soit authentique.
Tant qu’à faire dans le biton, j’aurais préféré qu’il s’agisse du klaxon, même si je n’allais pas renoncer à l’auto pour si peu. Après 2.000 km à son bord, je pense d’ailleurs avoir développé suffisamment d’intimité avec elle pour bien en connaître les particularismes, et délivrer le verdict que vous attendez sans doute avec impatience. Alors voilà : la Toyota Avalon est une très bonne voiture. Je sais, c’est un peu court, mais tel est justement le mérite des modèles typés confort que de savoir se faire oublier, exercice dans lequel ma Toy de 2 semaines a excellé sur les highways qu’on trouve par ici (je me trouve encore en Amérique du Nord au moment où j’écris ces lignes). Une suspension confortable sans être mollassonne, une mécanique qui répond promptement aux sollicitations, un intérieur bien fini doté d’un équipement complet et plus d’espace intérieur que je n’en n’aurai jamais besoin, que demande le peuple ? Du moins ses représentants prêts à débourser un peu moins de 37.000 dollars avant frais divers et packs optionnels.
Mais la mouche dans la pommade de cette relation quasi idyllique s’invita sous la forme d’un GPS plutôt irritant, surtout pour ce qui est de le programmer. A l’heure où le moindre téléphone un peu malin se débrouille avec la raison sociale du restau où il convient d’arriver à l’heure pour ne pas perdre sa résa, le bidule en question vous laisse le choix entre s’énerver avec une fonction POI ("Points Of Interest") particulièrement inefficace, ou entrer l’adresse complète du lieu. Une opération n’ayant rien d’évident avec un clavier virtuel à sensibilité variable trop lent pour mon pianotage, et un écran pas assez tactile pour réagir à mes effleurements. Du coup, je suis passé à la commande vocale grâce à laquelle j’ai cru un temps pouvoir me la péter puisque le système comprenait parfaitement mes instructions, et du premier coup s’il vous plaît. Mais ça, c’était avant que ma chère et tendre ne me fasse remarquer que "notre" Toyota était vraiment trop forte, puisqu’elle comprenait mon accent français. Puisque je vous dis que le machin était énervant…
Quand je récupère une de ces autos avec lesquelles je m’apprête à passer une tranche de vie, je me demande toujours ce qu’elle a pu vivre avant moi, au cours des kilomètres -ou miles- affichés par l’odomètre. Des histoires d’autant plus difficiles à imaginer que les seules traces de leur passé sont en principes celles de la maltraitance à laquelle sont généralement soumis les objets qui n’appartiennent à personne. L’Avalon n’a pas échappé à la règle avec les inévitables traces de frottement sur les jantes, mais aussi une portière et un passage de roue "rectifiés" à l’arrière droit. Plus étonnantes, les rayures répétées en plusieurs parties de la carrosserie, laissant à penser que la peinture avait subi les assauts des rouleaux d’un portique de lavage automatique devenu fou.
Heureusement pour le curieux que je suis, il existe aussi des vestiges moins destructeurs des utilisateurs précédents avec l’Iphone de Johnny ou le Samsung de Jessica qui apparaissent sur la liste des appareils anciennement connectés, qu’on découvre au moment de tenter l’appairage avec son propre équipement. Pas de quoi néanmoins susciter l’imagination du chroniqueur de service au-delà d’un bout de paragraphe… (à votre avis, elle ressemblait à quoi, Jessica ?)
Alors revenons au prosaïque, puisque les voitures de loc sont aussi pour moi l’occasion de me tenir à la page question équipements. Et figurez-vous que Miss Toyota m’a fait découvrir les avantages du régulateur de vitesse adaptatif. Je sais, c’est loin d’être nouveau, mais il se trouve que les autos que j’ai fréquentées ces dernières années en étaient dépourvues. Et puis malgré mes réflexes un peu réacs pour tout ce qui touche aux aides à la conduite un peu intrusives, je dois admettre que les autoroutes urbaines encombrées de Détroit ou Toronto constituent un environnement favorable à son utilisation, même s’il reste de mon point de vue un peu d’espace pour du "fine tuning" s’agissant notamment des arrêts soudains un tant soit peu brutaux, puisqu’ignorant les vertus du freinage dégressif. Ajoutons-y les réaccélérations léthargiques sur les Toy -y compris la Corolla qui a suivi l’Avalon- alors que la Nissan Sentra dont je dispose en ce moment fait mieux sur le sujet, n’hésitant pas à remettre franchement les gaz dès que le champs est libre. De plus, la dernière citée garde en mémoire le réglage de distance avec la voiture précédente lorsque le moteur est coupé, ce que les productions de sa concurrente se refusent à faire, sans doute pour un fallacieux prétexte sécuritaire.
Je n’ai cependant pas totalement cédé aux attraits des ADAS ("Advanced driver-assistance systems"), et je continue par exemple à détester farouchement l’AFIL, l’Alerte de Franchissement Involontaire de Ligne qui prétend m’empêcher de "trajecter" dans les courbes en me gratifiant de désagréables vibrations dans le volant lorsque je sors du rang quand elle ne tente pas de contrarier les mouvements que je lui ordonne, donnant la désagréable -et dangereuse- impression de perdre le train avant. Ce truc-là devrait être tout simplement interdit, et je remercie les constructeurs qui ont la bonne idée de mettre à disposition un bouton physique pour le désactiver, plutôt qu’une commande enfouie dans un menu (Cette fois-ci, c’est la Toyota qui a l’avantage).
Rouler en voitures empruntées, c’est d’ailleurs se voir rappeler à quel point l’ergonomie des commandes est peu standardisée, tant les ingénieurs des différents constructeurs semblent prendre un malin plaisir à réinventer régulièrement la roue en la matière. Il semble d’ailleurs que certains d’entre eux -notamment chez Volkswagen- soient sur le point d’exhumer la molette et le bouton rotatif, sacrifiés ces dernières années sur l’autel des commandes tactiles. Doit-on y voir un effet bénéfique de la crise des semi-conducteurs, on quelqu’un chez le constructeur allemand s’est-il soudain intéressé à l’avis des clients sur le sujet ? quoiqu’il en soit, après m’être imaginé qu’un peu d’uniformisation en la matière ne ferait pas de mal, je me suis ravisé. Pour impratiques que puisse être certaines commandes, elles participent à la personnalité de ces automobiles dont j’aime bien changer régulièrement, et dont la découverte constitue pour moi un plaisir sans cesse renouvelé.
A l’heure de clore cette chronique, je m’interroge sur ce qu’est devenue l’Avalon, après que je l’ai restituée, et dans quelles mains elle se trouve en ce moment. Mais voilà une question bien inutile, puisque les histoires sans lendemain -fussent-elles automobiles- s’apprécient dans l’instant et sans regret.
D’ailleurs je vous laisse, j’ai une voiture à réserver pour la semaine prochaine…