17/12/2020 - #Man , #Nissan , #Porsche
Godzilla a un boss…et des fans
Par Jean-Philippe Thery
J’ai conduit un monstre de 600 Chevaux ! A moins que ce soit l’inverse…En tout cas, la bestiole plaît au grand public.
Une tête de tyrannosaure posée sur un cou d’iguanodon, la queue et la peau d’un alligator et des plaques dorsales rappelant celles d’un stégosaure, ça vous parle ?
Dans l’affirmative, je vous tire mon chapeau, parce qu’en ce qui me concerne, j’ai dû effectuer des recherches. Ça m’a permis d’apprendre que Godzilla était un "kaiju", autrement dit une "bête étrange" en japonais, et qu’il était né en 1954 comme personnage principal du film produit par un certain Tomoyuki Tanaka. Bien avant Fukushima, le monstre antédiluvien était réveillé par des essais nucléaires sous-marins dont les radiations expliquent probablement ses mutations constantes au cours des 36 épisodes cinématographiques composant sa saga. En chroniqueur consciencieux, je suis allé jusqu’à visionner quelques scènes de l’un d’entre eux sorti en 2014, devant lesquelles je dois bien avouer que je me suis passablement ennuyé.
Avant de me renseigner, je n’aurais pas été loin de me demander pourquoi un dinosaure de pacotille portait le nom d’une voiture. Bon, j’exagère, mais Godzilla restera avant tout pour moi la Nissan GTR. L’origine de son surnom remonte au début des années 90, lorsque la quatrième génération de la sportive nippone alors dérivée de la berline Skyline (la fameuse R32 pour mes lecteurs les plus pointus) décima littéralement la concurrence en différents championnats, dont l’Australian Touring Car Championship qu’elle remporta à 3 reprises de 1990 à 1992. Sa domination fut à ce point outrecuidante qu’elle provoqua l’interdiction de la suralimentation et des quatre roues motrices, et lui valut surtout le fameux sobriquet reptilien, trouvaille d’un journaliste spécialisé local.
Bien qu’elle se soit affranchie de toute filiation avec la Skyline, l’actuelle GTR (la R35), n’en revendique pas moins elle aussi l’appellation dinosauresque, autant pour son apparence musculeuse que ses performances hors du commun, surtout s’agissant d’un modèle enfanté par un constructeur généraliste. Mais figurez-vous que Godzilla a un boss, et que nous avons passé trois jours en ensemble.
Et ça tombe bien, parce qu’après avoir conduit il y a quelques années deux GT italiennes affichant chacune 570 cavalli, je m’étais promis de monter d’un cran en visant la barre symbolique des 600 chevaux. C’est désormais chose faite depuis la semaine dernière, grâce à la Nissan GTR dans sa version superlative concoctée par NISMO.
Fondé en 1984, le département NISMO pour Nissan Motorsport fut responsable d’à peu près tout ce qui a depuis posé ses pneus sur une piste de compétition, une spéciale de rallie ou une étape de rallie-raid au nom du constructeur japonais. Mais Nismo s’intéresse aussi de temps en temps aux modèles de série, avec des résultats inégaux. Et si ça nous vaut parfois des modèles plus adhésivés que véritablement vroum-vroum, le coup de fil passé au début des années 2010 par le Chef de Produit de la GTR à ses responsables, expliquant que l’engin dont il avait la charge avait besoin d’un petit "up" en performances, a été pris très au sérieux.
A sa sortie en 2014, la GTR préparée par Nismo affichait 50 chevaux supplémentaires. L’écart s’est depuis réduit à une trentaine d’unités, les différentes évolutions ayant régulièrement affecté la gamme n’ayant pas modifié la puissance de la version la mieux-disante. La Nismo ne s’en affirme pas moins aujourd’hui encore comme le boss de Godzilla, ne serait-ce que par son tarif s’affichant à 212.500 euros, deux fois supérieurs à celui du modèle "entrée de gamme".
Pour ce prix-là, on a du carbone à profusion. A l’extérieur, tout ce qui y ressemble est du carbone, qu’il s’agisse du spoiler avant, du toit, des jupes latérales, de l’extracteur fonctionnel, ou de l’impressionnant aileron. Mais une partie importante de ce qui n’y ressemble pas fait également appel à la précieuse fibre, comme les boucliers, le capot, les ailes avant ou même le couvercle de coffre. D’ailleurs, on s’aperçoit à les regarder de plus près que les prises d’air type NACA sur le capot, et les petits extracteurs à la Porsche GT3RS au-dessus des passages roues avant ne sont pas des pièces rapportées, mais le résultat d’une séance de marouflage avant peinture savamment exécutée. Chez Nissan, ce n’est pas parce qu’on emploie de coûteux matériaux qu’on renonce au chasser les coûts.
La cure d’amaigrissement se poursuit avec des sièges baquet siglés Recaro qui font appel à …devinez quoi, et concerne également les jantes Rays de 20 pouces et 9 branches, dont vous serez probablement déçu(e) d’apprendre qu’elles sont en bête aluminium forgé, mais rassuré(e) par les énormes disques qu’elles abritent -en carbone évidemment- pincés par des étriers dont on se demande qui a bien pu décider de les peindre en jaune Caterpillar, alors que le tout est inévitablement signé Brembo.
Avec une telle débauche de matériaux légers, j’ai été tout de même un peu déçu par la différence de seulement 27 kg entre les photos "Avant" et "Après". Ce qui constitue un score tout à fait honorable pour une ménagère de moins de 50 ans adepte de potions amincissante parait tout de même un peu "léger" pour une voiture sportive dépassant la tonne sept.
Et puisque j’en suis au paragraphe où je me montre désagréable, il me faut bien reconnaître que l’habitacle rappelle avant tout que le design de l’intérieur n’a jamais constitué le point fort de la GTR. Nismo y a néanmoins ajouté sa patte, avec l’aide précieuse de l’acheteur responsable de l’alcantara gris clair, qui a dû négocier un prix canon auprès de son fournisseur. Mais si on en trouve à l’excès dans l’habitacle, du dessus de planche en passant par les montants de pare-brise, les sièges ou encore le ciel de toit, l’ensemble s’accorde plutôt bien aux parements rouges caractéristiques du label sportif. Une couleur qu’on retrouve également sur un compte-tours qui saute littéralement aux yeux, et dont la position bien au milieu de l’instrumentation rappelle ce qui est vraiment important dans la vie.
J’en reste là sur le cockpit, et je vous épargnerai donc la visite détaillée de la boîte à gants, parce que tels que je vous connais, ce qui vous intéresse véritablement c’est de savoir ce qui se passe quand on met le pied à la moquette bouclée et que déboulent les 652 Nm de couple aimablement fournis par une paire de turbos piquée à la GTR GT3 de compétition. Eh bien la poussée n’est pas immédiate. Il se passe en effet une fraction de seconde le temps que le patron du lézard préhistorique ne se remplisse les poumons. Mais lorsqu’il souffle d’un coup dans les bronches du V6 3.8, permettez-moi de vous dire que ça envoie du lourd !
Je sais, j’aurais dû trouver mieux qu’un cliché éculé pour vous décrire l’explosion effectivement nucléaire produite par la bête en phase d’accélération, et son impact sur les organes internes de ses occupants. J’ai bien pensé à des expressions comme "ça pousse velu" ou "ça envoie du p’tit bois", mais je ne suis pas sûr que celles-ci aient mieux rendu une sensation difficile à transcrire pour qui ne l’a pas ressentie personnellement.
Ce que je puis néanmoins vous en dire, c’est que pour une raison qu’il m’est difficile de verbaliser, on "sent" le poids contre lequel le moteur doit lutter pour arracher la bête avant de la catapulter. Tout cela est à la fois brutal et très maitrisé, par la grâce d’une transmission intégrale à l’architecture particulière. A l’arbre de transmission (en carbone, évidemment) reliant le moteur à la Boite de vitesses séquentielle localisée dans l’axe du pont arrière, s’en ajoute un autre qui en repart pour distribuer si nécessaire jusqu’à 50% de la force du moteur aux roues avant.
Au-delà, notamment sur sol humide, c’est l’antipatinage qui prend le relais de façon à la fois efficace et discrète, le temps à peine nécessaire de corriger, sans la sensation de castration généralement associée à ce type de dispositif. Le monstre carboné se dandine alors un peu sur ses trains en esquissant un semblant de dérive, avant de reprendre aussitôt sa course infernale, manifestant à peine sa réprobation par le clignotement d’un voyant.
Vous imaginez bien que lorsqu’on dispose d’une auto de ce calibre pour un temps limité, on a des envie d’Ile de Man ou de portion libre d’autobahn, afin de solliciter sans arrière-pensée le contenu de la salle des machines. A défaut, on emprunte avec un enthousiasme peu habituel les couloirs de péage d’autoroute, pour le plaisir d’un zéro à cent-trente qui fera prestement oublier le délestage préalable de porte-monnaie.
Mais je dois à la vérité d’avouer avoir passé l’essentiel du temps à rouler à un rythme qu’on qualifiera de conventionnel, en effectuant quelques séances de commuting bien connues des banlieusards ou en allant chercher mon pain quotidien à la boulangerie (deux tradi bien cuites s’il vous plaît). Du coup, je me suis surpris à évaluer dans quelle mesure la Nismo serait adaptée à un usage au quotidien, dans l’hypothèse farfelue où je gagnerais au loto national dont je ne coche jamais les grilles.
Les premiers éléments de réponses pourraient ne pas être favorables. D’abord parce que l’abondance de carbone sur tout ce qui délimite les contours de l’auto provoque une préoccupation constante, ainsi que les jantes qu’un automobiliste pourvu d’un minimum de sensibilité n’a aucune envie d’entendre racler sur une bordure de trottoir. Je n’ai sans doute jamais été aussi lent de ma vie à effectuer de créneau ni à passer les ralentisseurs de tout poil, même si la hauteur de caisse parait suffisante pour éviter la torture auditive d’une lame aéro à quelques milliers d’euros pièces se frottant le vernis sur des granules d’asphalte (promis, je n’ai rien touché !).
De plus, le hiérarchique de Godzilla’ n’aime pas rouler à toute petite vitesse, et sa transmission le fait volontiers savoir entre à coups et bruits de rumination mécanique. S’y ajoute une suspension plutôt duraille, la position "confort" de l’interrupteur portant un logotype d’amortisseur situé en bas de console n’apportant d’autre soulagement que celui purement visuel d’un voyant vert allumé. Mais tout cela se calme volontiers dès que prend un peu d’allure. De façon d’ailleurs surprenante, la voiture est plutôt plus agréable aux limites parfois ridiculement basses imposées par loi, parce que plus vivante que la plupart des berlines mazoutées, gommant toute sensation à force de tout filtrer, et pas seulement les particules. Reste à savoir contenir un pied droit constamment tenté par l’abondante force de dissuasion disponible, surtout si comme moi, vous n’arrivez pas à enclencher le cruise-control.
Ces réserve énoncées, l’expérience du "daily" me paraît tout à fait envisageable, à la seule condition de disposer d’une place de parking au départ et à l’arrivée. L’habitabilité à l’avant est plutôt généreuse, et les places arrière accueilleront volontiers la sacoche de votre laptop ou les baguettes précédemment mentionnées, à défaut d’enfants pourvus de membres inférieurs. Les commandes sont plutôt bien disposées, et le visuel de l’écran de la "nave" a beau évoquer une version périmée de Forza ou Gran Turismo, le système n’en est pas moins très réactif, permettant d’y entrer un nom de destination à rallonge sans attendre 3 secondes entre chaque lettre (j’ai des noms). Enfin, les entrées et sorties sont particulièrement aisées pour un coupé sportif, à condition de faire gaffe au seuil de porte en-carbone-évidemment, critère d’autant plus important lorsque l’on considère l’âge moyen des jointures discales destinées à occuper un auto de ce prix. Au final, la GTR Nismo s’acquittera beaucoup mieux de l’exercice du quotidien qu’une Lambo orange.
D’autant plus que, et c’est ce qui m’a probablement le plus surpris, l’engin génère un capital sympathie inattendu, à laquelle certaines voyantes productions transalpines ou même d’outre-Rhin n’auront pas forcément accès. Il y a évidemment ce trio de motards qui m’a suivi sur de petites routes sinueuses (en sortie de péage), dont les intégrants ont montré le plus grand respect pour la carrosserie de Nismo, bardés de cuir et de fermetures éclairs qu’ils étaient, alors que je m’étais garé pour discuter le bout de gras avec eux.
Et puis il y a JK.
JK, c’est le gars qui s’est arrêté alors que nous filmions l’auto en statique (eh oui, je m’essaye à la vidéo), en s’approchant avec la discrétion de ceux qui ne veulent pas déranger, alors qu’il nous avouait quelques instants plus tard que la GTR -surtout Nismo- était la voiture de ses rêves. Et il tombait sacrément bien, JK ! Lui et son break Laguna. Parce que j’avais justement besoin de ce genre de voiture et de son vaste coffre pour y loger Eliot (le gars à la caméra, pas le dragon) pour faire des images en dynamique.
Du coup, celui-ci a passé une bonne partie de sa journée à nous aider, en roulant à petite vitesse devant et derrière son auto favorite alors que nous la mettions en boite. Evidemment, je l’ai emmené faire un tour, et évidemment il a aimé. Et dire que le soir, c’est lui qui m’envoyait un WhatsApp pour me remercier du boulot que nous lui avions donné !
Mais surtout, il y a tout ceux qui n’étant pas nécessairement des fondus de mécanique, se sont laissé séduire par ma GTR de trois jours. Comme cette mère de famille qui s’est empressée de quitter la scène que nous shootions pour ne pas nous gêner, tout en regrettant que son petit garçon ne soit pas avec elle pour admirer la "jolie voiture", ou la "petite dame" venue aspirer l’intérieur de sa Supercinq à la station-service ou j’abreuvais la bête. Après m’avoir abordé à la caisse, elle s’est arrêtée pour contempler l’auto de plus près, et c’est moi qui ai dû ouvrir une portière qu’elle se refusait respectueusement à manipuler malgré mes injonctions, afin qu’elle puisse en découvrir l’habitacle.
Et vous savez quoi ? En ces temps obscures pour une automobile accusée de tous les maux -surtout planétaires- et faisant l’objet de décris permanents, ces réactions de sympathie de la part de fans parfois inattendu(e)s m’ont fait chaud au cœur. Du coup, et malgré son mufle qui ne fait pas vraiment dans le subtil, j’ai presque commencé à voir dans la GTR Nismo une espèce de monstre gentil.
Rassurez-vous, quand j’ai redémarré le moteur, celle-ci n’a pas oublié de me rappeler de sa grosse voix qui était le boss de Godzilla …