07/04/2022 - #Renault , #Alpine , #Ferrari , #Man , #Ford
Gimme (the) Five
Par Jean-Philippe Thery
Autant vous le dire tout de suite, c’est à séance de joyeuse nostalgie que je vous convie aujourd’hui. Et plutôt cinq fois qu’une, s’agissant d’une petite auto qui a compté pour moi.
Ma mère avait une Renault 5.
Ça fait partie des trucs que j’avais prévu de raconter en shootant le reportage que j’ai consacré à Rétromobile pour le compte d’"Auto Esporte", équivalent brésilien de nos "Auto-Moto" ou "Turbo". Mais cette courte séquence est passée à la trappe au montage, sans doute parce qu’il a été jugé que ma vie privée, toute automobile fût-elle, ne présentait pas grand intérêt pour les spectateurs de Globo (le TF1 local).
En revanche, a été conservé le parallèle que j’ai établi entre la fille de la Régie et la VW Gol (no typo : rien à voir avec la Golf), qui figura pendant plusieurs décennies au top de la hiérarchie des modèles les plus vendus de Chui a Uiramutã et de Mancio Lima à João Pessoa (comme ça, vous connaissez désormais les "municípios" situés aux points cardinaux du pays).
Il faut dire que la très attendue 46e édition de l’évènement consacré à la vieille bagnole…euh pardon, l’automobile classique, dont nous avons été privés l’année dernière par la faute d’un micro-organisme sournois, accueillait en vedette française la Renault 5 fêtant ses cinquante printemps. Un modèle complètement inconnu de mes amis brésiliens, bien qu’ayant visité Brasilia à l’occasion de son lancement, le temps d’y tourner un délicieux petit film mélangeant réflexions ésotériques sur la place de l’automobile dans la cité de demain -symbolisée par une capitale tropicale alors en vogue- et de joyeuses séquences au volant de la Cinq, lui dans la rouge avec toit ouvrant, elle dans la blanche d’entrée de gamme. Un véritable chef d’œuvre de cinéma publicitaire où l’on vous incitait encore à conduire votre voiture (et pan sur le museau de la dernière campagne Captur hybride…) dont je vous file le lien d’un extrait en bas de page. Mais ce court-métrage étant resté aussi méconnu en Terras Brasilis que la voiture dont il assurait la promotion -bien que n'y faisant référence explicite que tout à la fin- c’est par comparaison que j’ai donc choisi d’expliquer ce que cette dernière a représenté pour les jeunes de ma génération, qui ont tous forcément des souvenirs liés au modèle.
A vous je peux le raconter : ma mère en avait une. Rouge, reprise à ma grand-mère lorsque celle-ci la remplaça par une Ford Fiesta. Je me souviens que mon père disait d’elle qu’elle était "nerveuse" (la voiture, pas ma mère), ce qui ne constituait d’ailleurs pas un vrai compliment en comparaison de la Ford Taunus 1.3L qui lui servait de déplaçoir, et dont je reste persuadé que la couleur beige volait quelques dixièmes en reprises à un modèle qui ne l’avait déjà pas vraiment (le tonus).
La petite rouge était d’ailleurs ma favorite, dont j’écoutais la sonorité caractéristique de l’échappement depuis la banquette arrière, à une époque où on n’isofixait pas encore les mômes. Le seul truc qui m’embêtait, c’était qu’en finition TL, elle ne disposait pas des protections latérales en plastique de la GTL dans laquelle des camarades de classe plus chanceux que moi se la pétaient lorsqu’on les déposait devant l’école primaire de Sainte-Foy-lès-Lyon.
Tout ça m’a sauté à la figure quand je me suis retrouvé sur le stand monté à Rétromobile par Renault pour l’occasion, avec 13 voitures dont une grappe de Cinq de la première heure aux couleurs de bonbons acidulés. Dommage que ça soit passé de mode, parce que les rouges et vert pomme, jaune banane ou orange orange, ça a tout de même plus de gueule que le Beige Cordoba de la Ford Taunus, ou les cinquante nuances de gris pas sexy du tout qui sont devenues la norme aujourd’hui.
Bon je dis ça mais sur le moment, j’étais surtout préoccupé de mettre des images en boîte avec Matthieu pilotant habilement sa caméra entre les voitures, alors que les chariots élévateurs s’évertuaient à manœuvrer dans les allées adjacentes histoire de faire retentir leur horripilante alarme de recul au moment où je tentais de dérouler mon speech.
C’est donc après que me sont venues les réflexions un peu déprimantes que je m’apprête à partager avec vous. Parce que de revoir comme ça les voitures dans lesquelles on se trimballait quand on était gamin, ça a de quoi nous faire réfléchir sur notre rapport au temps, pour ne pas dire que ça file un sacré coup de vieux. En feuilletant quelques années plus tard mes premières revues consacrées à l’automobile ancienne, j’étais loin d’imaginer que j’y retrouverais -quelques autres années plus tard- les bagnoles que j’observais alors dans la rue. A l’époque, quand je dévorais avidement un article consacré à la 4CV, je me donnais l’impression de faire dans l’archéologie automobile en m’intéressant à une auto lancée au Salon de Paris 1947, autant dire au fin fond des temps. Et pourtant, 25 ans à peine séparent l’apparition des deux petites Renault, soit -histoire d’enfoncer en le remuant dans la plaie un clou sérieusement corrodé- la moitié de la période nous séparant de la naissance de la plus récente (ou de la moins vieille si vous tenez vraiment à vous faire du mal).
Tout ça pour dire qu’écrire l’histoire et la lire sont trois choses différentes. Parce voilà que pour vous délivrer le TBT du jour (ça tombe bien que je publie le jeudi), je me retrouve à enquêter sur une auto que je suis supposé connaitre intimement, puisque non seulement ma mère en avait une (vous l’avais-je déjà dit ?), mais aussi ma première petite amie, sans compter le fait que c’est au volant de l’une d’entre elle que j’ai connu mes premiers émois d’automobiliste sur un parking. Bon, on se calme, parce que ce à quoi je fais ici allusion, c’est à l’inévitable session de calages permettant de comprendre comment mettre une auto en mouvement, en dosant le relevage du pied gauche, quand on pensait qu’il suffisait d’écraser la pédale de droite.
Alors sachez pêle-mêle, que la Cinq a été produite a plus de 5 millions d’exemplaires dans 13 pays, que malgré le scepticisme initial de nombre de commerciaux de la marque au losange (dont elle fut la première à porter la version "Vasarely"), elle fit un tabac en France où elle occupa la tête du classement des ventes de voitures neuves pendant 10 ans et jusqu’à 16% du marché correspondant, ce qui ne l’empêcha pas de se vautrer aux Etats-Unis et de faire perdre de l’argent à son constructeur sur chaque exemplaire produit. Sachez encore que sa conception remonte à 1968 (comme moi), et qu’il était inscrit à son cahier des charges qu’elle devait arborer une "bouille sympathique". Enfin, côté boulons et rondelles, vous serez heureux d’apprendre ou de vous rappeler que ses différents moteurs n’étaient pas d’accord entre eux puisque le "Billancourt" tournait dans le sens des aiguilles d’une Kelton -véritable R5 des montres dans les 70’s- à l’inverse du "Cléon", et qu’à l’instar des 4, 6 et 16, son empattement était différent à gauche et à droite en raison d’un postérieur associant roues indépendantes et barres de torsion (si j’ai bien compris).
Toutes choses dont je n’avais pas conscience à l’époque, quand j’observais depuis ma place attitrée ma conductrice de mère jouant avec dextérité du levier au plancher (en option sur la TL) pour extraire la substantifique moelle d’un vaillant bouilleur dont j’ignorais également qu’il cubait 956 cm³. Tout ce que je sais, c’est qu’elle semblait exploiter jusqu’au dernier les 47 chevaux de son auto, qui n’étaient certes pas de trop pour attaquer la montée Saint-Barthélémy qu’elle préférait à celle de Choulans quand nous rejoignions les hauteurs de Lyon où nous résidions.
Et dans le fond, en dehors de la "nôtre" et des GTL des copains qui m’agaçaient avec leurs-bandes-latérales-qu’on-avait-pas, sans doute n’accordais-je pas autant d’attention à la Cinq que ce que je veux bien vous raconter, tant le modèle faisait partie de notre quotidien. Avec quelques exceptions tout de même, à commencer par la version Alpine, surtout la suralimentée qui arborait son lettrage adhésivé "Turbo" à la fois puéril et magique, sur sa lunette arrière. J’imagine qu’il lui fallait-il en rajouter pour exister à l’ombre de la 5 Turbo, dont la sobriété dans l’appellation contrastait avec l’exubérance presque indécente de ses ailes arrière, lesquelles ne laissaient aucun doute quant à la position de sa mécanique. Pourtant, je ne lui en voulais pas un seul instant d’avoir expulsé les occupants de la banquette arrière au profit du moteur, rêvant plutôt qu’un jour moi aussi je posséderai cette véritable auto de riche pour les pauvres, dont la trop rare apparition produisait sur moi et mes petits camarades -GTL ou pas- le même impact qu’une Ferrari, "bouille sympathique" en plus.
Et je crois d’ailleurs que c’est la Turbo qui a inspiré les passages de roue musclés de la "5 prototype" également exposée à Rétromobile, plutôt que les flancs plats de ses cousines plus roturières. Un concept-car dont Luca de Meo nous a expliqué il y a un an que loin de ne constituer qu’une banale étude de style, il annonçait un modèle de production et surtout un futur électrique qui se donne le droit au plaisir, loin du look apathique de la Zoe qui semble vouloir nous rappeler en permanence son allégeance à la propulsion décarbonée avec sa tronche "zéro émissions" (Euh, là c’est moi qui le dit, pas Luca).
Mouais, sur le moment, je dois avouer que je n’ai pas été convaincu. Ne pouvait-on faire mieux, s’agissant d’habiller la mobilité de demain et l’énergie prétendue nouvelle qui l’anime, que de ressasser le passé, ai-je alors pensé. Maintenant que la fée électricité se penchait sérieusement sur le berceau moteur de l’automobile, sa baguette magique ne savait-elle rien produire d’autre qu’une énième représentante du rétro-design, un truc né en 1994 avec le "Concept One" préfigurant alors la New Beetle ?
A l’époque, je maugréais par écran interposé en découvrant la nouvelle Cinq online. Mais depuis que je l’ai vue pour de vrai et surtout après cette rapide introspection que je viens de vous livrer sans pudeur, j’ai changé d’avis. Et je me suis aperçu que si j’ai d’abord rejeté la petite-fille de la Cinq, c’est sans doute parce que je n’avais pas envie qu’elle remue mes souvenirs, ni qu’elle ne me rappelle qu’après tout, j’étais devenu moi aussi une espèce de youngtimer. Mais là, je suis comme un vieux gosse qui redécouvre un jouet de son enfance, impatient de pouvoir enfin en disposer, et je me dis que le jour où je monterai pour la première fois à son bord, il n’est pas exclu que j’aille d’abord m’assoir derrière le siège de la conductrice.
Alors, pour conclure, je n’ai qu’un truc à dire à Renault :
Please, gimme (the) Five
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