17/10/2019 - #Renault , #Hyundai , #Nissan , #Fiat
Faites-moi une mauvaise voiture neuve !
Par Jean-Philippe Thery
La chronique de Jean-Philippe Thery, consultant, fort d’une expérience automobile aussi bien dans le domaine du produit que de l’Intelligence de marché, avec des expériences chez Renault, Nissan et PSA. Installé depuis 2008 au Brésil, Jean-Philippe Thery est spécialiste des marchés automobiles en Amérique Latine.
Une Hyundai 1.0 Intuitive, une Lada Priora 1.6 Luxe ou bien une Fiat Panda 1.2i Lounge. Voilà le cadeau qu’il vous faudra offrir à l’Etat français si vous comptez rouler en Mégane Renault Sport l’année prochaine. Ou du moins son équivalent en euros électroniques, les services de Bercy n’acceptant à ma connaissance pas les dons en nature.
Je sais que le raccourci est un peu grossier, mais c’est un fait : pour les 12 500 euros de malus écologique qui frapperont alors la sportive française, il est possible de choisir entre plus de 70 versions de 25 modèles, en recevant pour la plupart d’entre elles de la monnaie en échange, permettant suivant les cas d’effectuer plusieurs pleins de carburant ou de s’acquitter …du malus écologique. N’espérez néanmoins certainement pas que les véhicules affichés à ce tarif vous procurent le même niveau d’adrénaline que notre bombinette, dont la carrière se voit ainsi condamnée dans son pays d’origine.
Toujours chez Renault, Meggy n’est cependant pas la seule à faire les frais d’un contexte défavorable aux bolides cracheurs de CO2, puisque la sale gosse de service a carrément été exclue de la famille Clio, dont la 5e génération sera donc la première à se passer d’une version performante.
Une décision expliquée par Ali Kassaï, directeur Produit et Programmes du Constructeur au losange, qui mentionne le coût élevé des technologies à mettre en œuvre pour obtenir un niveau d’émissions acceptable sur une voiture purement thermique. Du coup, Il y a de l’électricité dans l’ère (sic) chez Renault Sport Technologies, la filiale en charge de développer les véhicules labelisés Renault Sport, puisque Patrice Ratti qui en tient les rênes ne cache plus l’idée d’une Zoe RS qui pourrait voir le jour avant la fin de la décennie, selon les confidences lâchées aux journalistes brexitanniques du magazine Autocar.
L’engin a du sens, n’en déplaise aux inconditionnels de la double sortie d’échappement. Commercialement, puisque l’Alliance Renault-Nissan ne représente pas moins d’un quart des ventes de voitures "branchées" en Europe, mais aussi techniquement, les moulins électriques offrant en effet du couple pour pas cher et immédiatement disponible à la moindre sollicitation du pied droit sur le potentiomètre.
Les performances obtenues devraient donc arracher un grand sourire jusqu’aux hydrocarbures-addicts les plus acharnés, et garantir que la Luciole motorisée représente bien un progrès significatif par rapport à sa devancière à pétrole, condition sine qua non pour assurer sa crédibilité. Reste la base roulante, pour laquelle on fait confiance au savoir-faire des ingénieurs maison pour contrecarrer la surcharge pondérale propre aux EV, et l’autonomie qui devra être suffisante pour que les amateurs de "track-day" puissent rouler à bloc sur circuit sans souffrir l’infamie d’un retour aux stands sur le plateau du camion-balai, voyant de batterie allumé (ou non). Pour autant, on imagine volontiers que la Zoe en survêt ne séduira pas d’emblée l’intégralité des clients de l’actuelle Clio Renault Sport, et que les volumes s’en ressentiront forcément. Alors ?
Alors il faut que je vous parle de la Triumph TR3.
Il y a quelque temps, j’ai eu l’occasion de prendre le volant d’un exemplaire millésime 1960 parfaitement restauré, grâce à l’anniversaire « point zéro » d’un ami proche, dont la famille avait fort judicieusement décidé de commémorer l’évènement en me chargeant de louer pour lui une auto rétro pour la journée. Et quelle journée ! Sur le journal de bord de l’engin s’il avait existé, nous aurions consigné les mentions "routes de campagnes virevoltantes, pause photo devant les grilles du château, halte gastronomique". En résumé, une sacrée dose de fun. Durant notre court périple, le petit roadster blanc ivoire nous gratifia des « goods vibrations » émanant de son moteur, faisant trembler la colonne de direction et le levier de vitesse, ou remontant de la route jusqu’aux assises des sièges en cuir. Bref, tout ce qu’on peut raisonnablement attendre d’une mauvaise voiture.
Oui, vous avez bien lu : la ravissante Triumph TR3 est une mauvaise voiture.
Pour le moins, dans le contexte de 2019. Il faut dire que la seule connexion qu’elle propose, qui ne doit rien au 4G ni au Bluetooth, est celle liant l’engin à la route, et qu’elle horrifierait l’ingénieur châssis d’aujourd’hui le plus conciliant, sans même parler de ses collègues du service NVH ("Noise, Vibration and Harshness", traduisible par "confort acoustique et vibratoire"). Et pourtant, lorsque vous démarrez le moteur d’une TR3, celui-ci jappe comme un chiot joyeux, vous rappelant constamment son existence. Vos oreilles vous informeront de toutes façons mieux que l’aiguille trépidante du compte-tours sur la vitesse de rotation du quatre cylindres, et vous serez constamment renseigné sur l’état de la route grâce aux messages trépidants parvenant de la suspension, du volant ou du pédalier. Vous aurez du vent dans les oreilles, des odeurs dans les narines, et un sourire béat sur le visage.
Entendons-nous bien : je ne suggérerais évidemment pas de concevoir une TR3 à nos amis de Renault-Sport, dont les berlines ont un profil de mission autrement plus étendu que de balader deux quinquas nostalgiques sur des routes de campagne au soleil d’une journée estivale.
D’aucun considèreront d’ailleurs que l’exercice a en quelque sorte déjà été réalisé avec le Spider, produit par l’officine entre 1996 et 1999. Mais ce qu’une auto plus âgée que ses conducteurs d’un jour peut sans doute nous rappeler, c’est qu’un moteur surpuissant n’est pas indispensable pour générer des sensations sportives.
Bien sûr, son équivalent moderne serait nécessairement plus lourd que les 900 kg de l’époque, en raison des normes de sécurité infiniment plus sévères, et des équipements dont l’homme moderne et connecté pourrait difficilement se passer. Mais une motorisation raisonnable, accouplée à une boite manuelle, peu gourmande en carburant et aux émissions contenues y pourvoirait sans doute, à condition de redécouvrir une certaine forme d’essentiel : Un rapport à la route moins filtré, sans doute même un peu plus "vibrant", une direction plus réactive, une base roulante plus incisive. La difficulté d’un tel concept n’est sans doute pas technique mais -osons le mot- philosophique, s’agissant de rédiger un cahier des charges essentiellement axé sur les "moins". Moins de performance, moins de consommation, moins d’isolement acoustique, moins de confort … pour plus de plaisir.
Une telle auto, sans doute accessible à un public plus large, n’aurait-elle pas de sens aux côtés d’une Zoe RS très affutée, en attendant que les sportsmen du futur n’adoptent tous la propulsion électrique ?
Bref, faites-moi une mauvaise voiture neuve !
Jean-Philippe Thery