10/10/2024 - #Renault , #Daihatsu , #Peugeot , #Fiat , #Ford , #Suzuki , #Toyota
Faites "A"
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je rédige mon ordonnance pour de petites voitures à l’échelle 1 menacées d’extinction.
Il y a un an, je me suis rendu au Japon
Un voyage d’agrément dont je vous ai conté le volet automobile dans "Lapinou", titre faisant référence à la formidable Suzuki Lapin. Pour mémoire, ce Lapin-là -qui n’est pas de 6 semaines puisque lancé en 2002 et déjà dans sa quatrième génération- est une "kei-jidōsha" catégorie plus connue chez nous sous l’appellation de "Kei car". De petites autos très populaire dans le pays depuis qu’elles furent créées en 1949, soumises à des contraintes des taille s’établissant aujourd’hui à 3,4 m pour la longueur, 1,48 m pour la largeur et 2,0 m en hauteur. S’y ajoutent une cylindrée de 660 cm³ maxi, et une limite de puissance de 64 chevaux résultant non de la norme mais d’un "gentleman agreement" entre constructeurs qui évitent ainsi de se livrer à une dispendieuse course à la puissance
Citadines idéales, les Kei cars sont également très présentes dans les campagnes, où elles dispensent leur propriétaire de la détention d’une place de parking, obligatoire pour l’achat d’une voiture dans les villes de plus de 100.000 habitants. Un succès qui ne se dément donc pas malgré le bâton que le gouvernement a essayé de leur mettre dans les jantes en 2014, en augmentant de 50% les taxes à l’achat affectant la catégorie. Peine perdue en effet, puisque ces puces motorisées représentent plus d’un tiers du marché, même si elles ont pris un petit coup de mou dernièrement suite au scandale affectant Daihatsu, dont on rappelle que les responsables ont falsifié les résultats de tests de sécurité des modèles de la marque pendant trois décennies. Quoiqu’il en soit, les Kei cars démontrent que l’automobile est une espèce dont les spécimens s’adaptent à leur environnement, contrairement à ce qu’on nous serine volontiers sur le sujet.
Et comme chez nous, la mode est volontiers à la "grossautophobie", certains voient dans ces bestioles à roulettes japonaises la solution parfaite à nos maux de transport, particulièrement urbains. Il n’est donc pas rare qu’une publication qui leur est consacrée, chantant les louanges du minimalisme nippon appliqué à la mobilité individuelle, exhorte je ne sais qui d’ailleurs à "importer" la catégorie des Kei cars en Europe à défaut des voitures elles-mêmes, puisqu’en automobile aussi on prône désormais le circuit court. A ceux-là, il semble que si nous roulions tous en Lapin, le transit de nos villes s’en trouverait tout de suite fluidifié, l’air y serait plus respirable, et l’humeur plus légère, démontrant ainsi qu’on peut être petit avec de grandes oreilles et sauver la planète.
Mais à toujours considérer que l’herbe à brouter est plus verte ailleurs, on oublie un peu vite que nous avons nous aussi nos Kei cars, même si celles-ci ne correspondent à d’autre catégorie administrative que celle désignée par la Commission Européenne sous le vocable de "Segment A", et que leur acquisition n’octroie aucun avantage fiscal spécifique. Il n’en reste pas moins que les Citroën C1 (et ses cousines Peugeot 108 et Toyota Aygo), Fiat Panda, Ford Ka ou Renault Twingo pour ne citer qu’elles sont bel et bien elles aussi les représentantes d’une espèce qui a su se conformer au paysage européen dans un processus relevant d’une espèce de darwinisme automobile. Pour ceux qui les conduisent, qu’elles soient ou aient été la première ou deuxième voiture du foyer, elles représentent une forme de juste ce qu’il faut motoriser, affichant un ratio optimum entre un encombrement extérieur contenu et une habitabilité suffisante pour l’essentiel des usages au quotidien, qu’il s’agisse de navette, déposer la marmaille à l’école, se rendre au club de sport ou remplir le charriot -et donc le coffre- au Carrouf du coin.
Je sais, certains des modèles que j’ai cités n’existent plus. Et c’est précisément ce dont je veux vous entretenir aujourd’hui, puisqu’à en croire la liste des disparues ou de celles dont on sait d’ores et déjà qu’elles ne seront pas remplacées, nous avons toutes les raisons de nous préoccuper du sort qui attend le Segment A, inquiétude confirmée par la baisse constante de sa part de marché dans les ventes de voitures neuves en Europe depuis plusieurs années. Et puisqu’il est question d’espèce, nul doute que plusieurs des modèles concernés trouveront leur place dans l’une des catégories de la Liste Rouge établie par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) entre "vulnérable", "en danger", "en danger critique" ou pire encore, "éteinte au niveau mondial"
Le phénomène n’est pas nouveau, et ne traduit aucunement une désaffection des clients pour la catégorie, mais la traduction sur quatre roues de l’adage bien connu selon lequel "le mieux est l’ennemi du bien", aphorisme énoncé en 1726 par Montesquieu dans ses Pensées, mais dont on retrouve le principe philosophique du "juste milieu" dans les écrits de Shakespeare ou d’Aristote. Autant de sages qui n’ont certes pas connu l’automobile, mais qui s’ils revenaient parmi nous ne nieraient pas l’intérêt d’assurer aux voitures même les plus petites d’exigeant standards en matière de sécurité ou d’émissions, en même temps qu’ils nous alerteraient sur les inévitables conséquences auxquelles mènent leurs excès. Autrement dit, trop de normes tue non pas les normes mais l’objet auquel elles s’appliquent, privant de leur jouissance l’acquéreur potentiel.
J’entends d’ici les cris d’orfraie de vierges outragées qui ne manqueront pas de se manifester au simple énoncé d’une telle idée, mais je me demande en conséquence si une moindre sévérité normative à l’égard du Segment A, ne serait pas au final bénéfique en matière de diffusion de la sécurité et de baisse des émissions. Parce que le coût des normes n’est pas directement proportionné à la taille du véhicule qu’elles affectent, la production d’un modèle du Segment A est devenue progressivement aussi onéreuse que pour ses équivalents du Segment B, rendant souvent leur équation économique insolvable.
En donnant à l’instar des Kei cars une existence officielle au Segment A, assortie d’une exigence moindre en certains domaines, l’accès à la voiture neuve serait ainsi préservé pour ceux qui en sont aujourd’hui orphelins, n’ayant dès lors d’autre solution que se tourner vers une occasion moins protectrice et plus polluante. Certes, des études d’impact -c’est le cas de le dire- s’imposeraient afin de vérifier les différents points d’équilibre, lesquelles n’auront cependant jamais lieu au nom d’un égalitarisme faisant semblant de croire que les passagers d’une Twingo peuvent disposer du même degré de sécurité que ceux d’une Classe S. Considérant que le pragmatisme ressort très rarement vainqueur dans les matches qui l’opposent à l’idéologie, je crains donc que l’ordonnance du bon Docteur Thery invitant à "faire A" ne reste lettre morte (c’est le cas de le dire).
On ne manquera d’ailleurs pas de me faire remarquer que ce débat est aujourd’hui dépassé face aux impératifs de l’électrification. Et l’on ne peut que se réjouir de la venue annoncée de modèles comme les futures Twingo et VW ID1, que leurs constructeurs respectifs avaient d’ailleurs un temps songé à concocter ensemble. Le principe en parait logique, eu égard à leur vocation urbaine synonyme de trajets plus courts et moins consommant, et donc peu exigeants quant à l’autonomie. Ou pas, si l’on considère que faire porter le coût et le poids supplémentaire de batteries aux spécimens les moins dimensionnés et supposés plus abordables de la chaine automobile ne constitue pas forcément une bonne idée.
D’ailleurs, le prix d’entrée annoncé des deux modèles précédemment cités s’établit autour de 20.000 Euros, autrement dit un tier plus élevé que celui de leur équivalent essence à la sortie du Covid, période ayant pourtant connu une forte inflation des tarifs de l’automobile neuve. Et si on peut compter sur ces autos-là pour donner un coup de fouet salutaire à un marché de l’électrique à la recherche d’un second souffle, il est beaucoup moins sûr qu’elles permettent au ex-clients des modèles du segment A aux revenus les plus contraints de continuer à s’offrir une auto neuve.
Et je ne suis pas non plus certain qu’en 2035, ceux-là aient non plus les moyens de s’offrir un aller/retour à Tokyo pour aller voir de près ces Lapins qu’ils continueront sans doute à convoiter…