16/11/2020
Entre amertume et résignation, les salariés de Bridgestone veulent rester "dignes"
Par AFP
(AFP) - "On a l'impression qu'on ne sert à rien. Mais on doit continuer de travailler..." Amers, inquiets ou résignés, les salariés de Bridgestone à Béthune affichent la volonté de rester "dignes" au lendemain de la confirmation de la fermeture de ce site de 863 personnes.
Employée depuis 39 ans dans cette usine qui est "née en même temps" qu'elle, Catherine Lefebvre a vécu l'annonce de jeudi comme un "deuxième effet Kiss Cool". "On s'y attendait mais on espérait quand même... Aujourd'hui, on se rend compte que c'était programmé depuis des années. Il y a beaucoup d'amertume", confie-t-elle à l'AFP en quittant le site en voiture, sous un ciel gris et une pluie fine.
Deux mois après sa première annonce, le géant japonais du pneumatique a confirmé son départ du site courant 2021, rejetant le scénario alternatif proposé par l'Etat. L'heure est désormais à la quête de repreneurs.
"On a l'impression d'avoir travaillé pendant des années pour rien, qu'on ne sert à rien. Et là on doit continuer à travailler", déplore Mme Lefebvre, regrettant le "manque de considération" de la direction.
Pour autant, "je n'arriverais pas à saboter mon travail, ce n'est pas dans mon tempérament, donc je le fais" jusqu'au bout, dit-elle. Les salariés n'ont organisé aucune action de protestation. "Ce n'est peut-être pas plus mal car ça montre à la direction qu'on est des gens dignes à Béthune", estime-t-elle.
Début octobre, un millier de personnes avaient marché pour protester contre la fermeture de l'usine, inaugurée en 1961, et l'un des symboles industriels de la zone d'emploi de Béthune-Bruay.
Mettre la "barre très haut"
Les salariés sont "abattus" et "en colère" contre Bridgestone, qui "les jette comme des malpropres", affirme à l'AFP l'avocat de l'intersyndicale, Me Stéphane Ducroq. Il a rencontré vendredi après-midi une partie d'entre eux, désireux de "passer à autre chose et d'attaquer vraiment le plan social".
Contactés par l'AFP, les responsables syndicaux n'étaient pas joignables vendredi mais travaillent sur "une plate-forme revendicative qui sera prête lundi soir avec toutes nos demandes", a indiqué Me Ducrocq. "On va placer la barre très haut. (...) On va essayer d'obtenir un congé de reclassement le plus long possible", explique-t-il sans plus de détails.
"Ce serait trop simple de croire que parce qu'on est dans une usine de pneus, il suffit de les sortir et de les bruler. On a voulu faire exactement l'inverse, montrer que l'enjeu était de travailler, de conserver l'emploi (...) pour montrer au repreneur que les salariés de Bridgestone valent le coup".
Le gouvernement et la région Hauts-de-France ont d'ailleurs salué vendredi "la dignité et la responsabilité des salariés de Bridgestone Béthune, qui ont permis de maintenir un climat de travail et de dialogue social constructif sur le site".
Bridgestone a indiqué avoir identifié "10 opportunités dont quatre projets déjà bien définis" dans la recherche d'un repreneur, se disant prêt à "céder le cas échéant le site à un concurrent". L'intersyndicale a jugé jeudi ces projets "flous et lointains", évoquant en revanche ceux de quatre autres "entreprises de pneus basés à l'étranger", présentés par le gouvernement jeudi.
Frédéric Pinchon, salarié au service logistique process amélioration, attend désormais des négociations, pour "que tout le monde puisse partir avec quelque chose de correct et rebondir".
Embauché sur le site depuis 19 ans, Danny Lekeux, 44 ans, se dit lui inquiet après ce "choc". "Moi je suis marié, j'ai cinq enfants, je viens d'acheter une maison... La vie ne va pas être facile."