24/11/2021
En Espagne, la reprise se grippe et met le gouvernement sous pression
Par AFP
(AFP) - Consommation en berne, inflation galopante et croissance fragile : les mauvaises nouvelles s'accumulent pour l'Espagne, à la traîne vis-à-vis de ses voisins en matière de reprise économique. Une source d'inquiétude pour le gouvernement de gauche, confronté à un début de grogne sociale.
Fini l'optimisme qui prévalait en début d'année, laissant espérer un redémarrage en trombe après des mois de crise sanitaire. "Peu à peu, le climat a changé" et "les nuages se sont accumulés", reconnaît Rafael Pampillon, chercheur à l'université CEU San Pablo de Madrid.
Dans ses prévisions initiales, Madrid misait sur une croissance de 9,8% en 2021, un chiffre parmi les plus élevés de la zone euro. Cet objectif a été abaissé début avril à 6,5% face à la troisième vague du Covid. Et la plupart des économistes s'accordent désormais pour dire que la croissance ne dépassera pas les 5%.
En cause : une série d'indicateurs décevants ces dernières semaines, tant sur le plan de la consommation que de l'investissement. Le produit intérieur brut (PIB) espagnol n'a ainsi progressé que de 1,1% au deuxième trimestre, au lieu des 2,8% initialement annoncés, et de 2% au troisième trimestre, au lieu de 2,7%.
"Dans l'absolu, ce n'est pas si mal", mais "on pouvait s'attendre à mieux", insiste Pedro Aznar, professeur à l'école de commerce Esade, qui rappelle que l'Espagne -- pays européen le plus touché par l'impact de la pandémie en 2020, avec une chute du PIB de 10,8% -- avait "une forte marge de progression".
Contre-performances
Pour les Espagnols, la page de la pandémie ne sera pas tournée avant 2023, selon Bruxelles. Le pays se trouve ainsi en queue de peloton européen, avec un PIB encore inférieur de 6,6% à son niveau d'avant-crise, contre 1,4% en Italie, 1,1% en Allemagne et 0,1% en France.
Pourquoi ces contre-performances ? Parmi les facteurs avancés figure l'envolée des prix de l'énergie. Un phénomène commun à l'UE, mais particulièrement marqué en Espagne, très dépendante de ses importations. "Cela a pénalisé la consommation" en tirant l'inflation au "niveau record" de 5,4% en octobre, souligne M. Aznar.
Autre explication : les tensions sur les chaînes d'approvisionnement, qui frappent de plein fouet l'industrie automobile. "Cela a obligé plusieurs usines à se mettre à l'arrêt (...) Or ce secteur est important en Espagne", où il pèse 11% du PIB, insiste M. Pampillon.
La forte dépendance de l'Espagne au tourisme est également mise en avant.
Le pays espérait, en effet, recevoir 45 millions de visiteurs en 2021. Mais avec les craintes persistantes liées à la pandémie, cet objectif est hors de portée, avec seulement 20 millions d'entrées recensées fin septembre.
"Le gouvernement a péché par optimisme", insiste Rafael Pampillon, qui pointe également les retards pris par Madrid dans la mise en œuvre du plan de relance européen, dont l'Espagne est l'un des principaux bénéficiaires avec 140 milliards d'euros de prêts et subventions.
Grogne et manifestations
Pour le gouvernement, qui avait promis un retour au niveau d'activité pré-pandémie d'ici à la fin de l'année, cette situation est un coup dur. Cela va "fragiliser" ses prévisions budgétaires et donc, potentiellement, "créer un problème avec Bruxelles", souligne Pedro Aznar.
Ces derniers jours, les mises en garde se sont multipliées dans les milieux
Economiques : il faut "s'attaquer à ce point de fragilité", a souligné le gouverneur de la Banque d'Espagne, Pablo Hernández de Cos ; il faut "plus de rigueur économique", a abondé le président de la CEOE (patronat), Antonio Garamendi.
Au-delà des craintes budgétaires, c'est surtout la montée d'un mouvement de ras-le-bol social qui inquiète l'exécutif.
Lundi, plusieurs centaines de salariés de la filière automobile ont ainsi manifesté à Madrid pour attirer l'attention sur les problèmes du secteur. A Cadix (sud), des ouvriers de la métallurgie sont en grève depuis la mi-novembre pour réclamer des hausses de salaires. Et à l'approche de Noël, les transporteurs menacent eux aussi de cesser le travail face à la hausse des prix des carburants.
"Nous n'allons abandonner personne en chemin", n'a cessé de répéter ces dernières semaines le Premier ministre socialiste Pedro Sánchez, qui se dit "confiant" sur les perspectives économiques. "L'Espagne va mieux et je promets que l'an prochain, elle ira encore mieux qu'aujourd'hui".