12/10/2021
Ecriture inclusive : "Don’t think with Google"
Par Florence Lagarde
Directrice de la rédaction et Directrice de la publication
Un article publié la semaine dernière dans la lettre branchée destinée aux gens de marketing, "Think with Google", promeut l’usage de l’écriture "inclusive". Une démarche politique qui pose un certain nombre de questions. Qui décide dans une entreprise de l’utilisation de l’écriture "inclusive" ? Est-elle compatible avec des enjeux commerciaux ?
Ces derniers temps, le "point médian" caractéristique de l’écriture inclusive (qui se dit neutre et non sexiste) se répand de manière insidieuse et on en trouve désormais des traces de plus en plus souvent dans des mails commerciaux ou sur les sites Internet des marques. Au lieu du masculin générique, il s’agit de promouvoir une nouvelle orthographe pour lutter contre un supposé sexisme de la langue française.
La semaine dernière "Think with Google" ("Pense avec Google"), la lettre à la page qui délivre la bonne parole aux équipes marketing, a annoncé qu’elle militait pour cette forme d’écriture. Dans cet article l’équipe marketing de Google France annonce qu’elle "a décidé d’inclure le langage inclusif à ses objectifs de diversité, d’équité et d’inclusion". L’entreprise a défini avec ses "agences partenaires (...) un certain nombre de principes pour utiliser le langage inclusif de façon opérationnelle".
Google annonce trois principes : féminiser les noms de métiers quand on parle de femmes, ne pas employer le masculin générique et ne pas dire l’Homme pour parler du genre humain.
A l’évidence, la féminisation des noms de métiers et des fonctions est une évolution logique et chaque mot peut trouver son féminin. Le guide publié en janvier 1999 et rédigé par l’Institut national de la langue française intitulé joliment "Femme, j’écris ton nom…", en donne une liste qui tient compte de la logique de la langue française et retient par exemple "auteure" plutôt que l’affreux "autrice" sélectionné par Google.
Google recommande aussi l’usage du point médian, marqueur de cette philosophie qui consiste, au lieu du mot générique de consommateurs, à mettre un point entre "consommateur" et "ices" pour faire apparaître la forme féminine que l’on a bien mieux dans "consommateurs et consommatrices", si l’on veut absolument citer les deux.
Quant à l’humanité : fait-on vraiment avancer l’égalité en n’admettant pas que dans la langue française l’Homme avec un H représente les hommes et les femmes ? Et que la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 concerne aussi les femmes ?
Puisque Google s’y met, le sujet sort des débats d’experts et du domaine politique pour aller sur le terrain commercial. Une entreprise a-t-elle intérêt à entrer dans ce débat idéologique ? Qui décide dans une entreprise d’utiliser l’écriture inclusive ? Le directeur marketing ? Le dirigeant de l’entreprise ? Un salarié de son propre chef ? Pour quelle motivation ?
Contrairement à ce que ses défenseurs prétendent, l’écriture inclusive n’est pas neutre. Elle a ses détracteurs et ses défenseurs. Elle est marquée politiquement comme le souligne un article de France Culture ("L’écriture inclusive, un débat très politique") qui note que les élus écologistes et de gauche l’utilisent souvent tandis que ce sont des partis de droite qui la combattent.
L’Académie française s’y oppose en écrivant dans une déclaration en 2017 que "la multiplication des marques orthographiques et syntaxiques" de l’écriture "inclusive" aboutit à "une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité".
Plus récemment, Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuel de l'Académie française et Marc Lambron, directeur en exercice de l'Académie française écrivaient le 5 mai 2021 en introduction de la circulaire du ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer : "En prônant une réforme immédiate et totalisante de la graphie, les promoteurs de l'écriture inclusive violentent les rythmes d'évolution du langage selon une injonction brutale, arbitraire et non concertée, qui méconnaît l'écologie du verbe."
"Notre langue est un trésor précieux que nous avons vocation à faire partager à tous nos élèves, dans sa beauté et sa fluidité, sans querelle et sans instrumentalisation", écrit le ministre de l’Education dans cette circulaire.
Le moins que l’on puisse dire est que ce déconstructivisme de l’écriture n’est pas consensuel. Et que dans un domaine, celui de l'égalité homme/femme, où il faut convaincre plus que contraindre ce nouveau diktat pourrait engendrer des réactions contraires.
Qui peut sérieusement penser que créer un nouveau mot avec un point entre "tous" et "tes" au lieu du terme générique "tous" aura un effet positif sur l’égalité homme femme ? Bannir les femmes objets dans les publicités, je pense qu’il était temps. Neutraliser les genres dans le langage marketing ne me paraît pas constituer une avancée.
Personnellement, je trouve cette manière d’écrire plutôt excluante avec ce « . » qui sépare les hommes et les femmes. Je la ressens comme une agression et étant une femme, je peux me permettre de le dire. Je peux d’autant plus me le permettre qu’avec d’autres (des femmes et des hommes), je suis engagée depuis des années, très concrètement, dans des actions visant à promouvoir la mixité avec l’association Wave, dont je suis vice-présidente. Ces dernières années, les efforts des entreprises automobiles pour attirer les femmes ont été considérables. L’égalité homme femme passera par des actes sur le terrain plutôt que par la manipulation de l’écriture.
Je me reconnais plus dans la vision de la langue française défendue par l’Académie française et le ministère de l’Education nationale que dans celle de Google. Il y a des chances pour que ce soit le cas d’une part non négligeable des clients des marques automobiles et leurs équipes marketing feraient bien d’y regarder à deux fois avant de se précipiter dans ce "women washing" de la langue française.