07/09/2023 - #Alfa Romeo , #Bmw , #Lancia , #Maserati , #Stellantis
Dites 33
Par Jean-Philippe Thery
Dis Alfa, pourquoi tu tousses ?
Comme un bustier de soie rouge de chez La Perla, avec une double insertion de guipure "frastaglio" de couleur noire…
Je sais. Par les temps qui courent, je ne devrais sans doute pas oser pareille comparaison. D’autant plus que j’ai récemment pris une réflexion en ce sens sur le sujet a priori plus innocent de petites voitures plaisant aux femmes (évoqué dans "Adieu Lambert"). Mais que voulez-vous, avec sa carrosserie "rosso" rehaussée de détails aguicheurs en fibre de carbone vernie, l’Alfa Romeo 33 Stradale présentée la semaine dernière au musée de la marque à Arese fait vraiment tout pour nous séduire, et plus encore. Certains trouveront même qu’elle en rajoute, entre le "Biscione" qui se la joue hologramme derrière un simulacre de calandre 3D, des jantes comme plaquée à l’or rose et les tubes protubérant des ailes postérieures façon tuyère, pour aboutir aux feux arrière.
"Dis 33" semble-t-elle nous susurrer à l’oreille
Trente-trois, comme sa devancière. Non, pas la remplaçante de l’Alfasud au style boite à chaussures lancée dans les années 80, mais la première "stradaaaaalé". Celle de 1967 dont le petit nom nous rappelle l’injuste avantage compétitif dont disposent les Italiens au jeu de la séduction verbale, par la grâce d’une langue donnant aux mots les plus banals cette inimitable pointe de sensualité latine. Nous, on dit "route", les Anglais "Road" ou les Allemands "Strasse", alors qu’eux nous servent la Trentatré Stradale, dont il faut cependant bien admettre qu’elle méritait largement une dénomination excitant les sens, tant les volutes de sa musculeuse carrosserie se montrent suggestives. Dérivée de la "Tipo 33", cousine bossant au service compétition de la marque elle est considérée par les Alfisti -mais pas que- comme la première véritable "supercar", même si les 230 chevaux que délivrait son petit V8 de 2.0 l ne font aujourd’hui guère sourciller sur la fiche technique de modèles au pédigrée beaucoup moins prestigieux.
De nos jours, le V6 biturbo de la "nuova Stradale" délivre 620 fougueux cavalli, capables de l’emmener à une vitesse de pointe savamment calculée sur Powerpoint par des experts en Marketing à 333 km/h. Les mêmes qui ont cru bon de préciser sur le communiqué de presse que les freins carbone-céramique évidemment estampillés Brembo, arrêtent la belle depuis 100 km/h en "moins de 33 mètres". Heureusement qu’ils n’ont pas osé le 0 à 100 "en moins de 3,3 secondes" (elle fait mieux), même si je les soupçonne d’avoir sérieusement demandé à l’ingénierie de réaléser le bloc moteur à 3,3l.
Dites 33, et pas une de plus
C’est en tout cas ce qu’à indiqué Jean-Philippe (Imparato, le patron de la marque, pas moi), qui aurait également évoqué "une question de crédibilité pour la marque". A moins qu’il ne s’agisse de justifier le tarif qu’on dit pour le moins exclusif -même s’il n’a pas encore été révélé- puisqu’il correspondrait peu ou prou à 3,3 fois 330.000 euros. Quoiqu’il en soit, vous pouvez ranger le chéquier, puisque les heureux élus auxquels a été octroyé le droit de posséder la belle ont déjà été choisis. Et selon une tendance en vogue chez les constructeurs de voitures d’exception, ceux-ci ont été conviés à exprimer leurs désirs de personnalisation les plus profonds dans le cadre d’un programme dénommé "fuoserie", comme ça se pratiquait à l’époque où on envoyait se faire carrosser ailleurs les châssis roulants des modèles de grand luxe.
Mais les rois proposent et les Dieux lombards disposent. En conséquence, les desideratas en question seront traités comme autant de requêtes devant être soumises à l’approbation de la "Bottega", comité d’experts de la marque siégeant dans la salle du conseil du musée, et dont on nous dit qu’il est inspiré par rien moins que l’esprit des maitres carrossiers tels qu’ils existaient dans les années 60, ainsi que les chefs d’œuvre de la Renaissance. Une noble assemblée se réunissant sous l’égide de Jean-Philippe en personne, afin de décider pour chacune des demandes de ces clients très particuliers si elles sont respectueuses de la tradition historique comme du caractère iconique du modèle, et dont on imagine volontiers qu’elles feront l’objet d’une sentence prononcée au pouce levé ou tourné vers le sol.
Dites 33, mais pas à Maserati
Il se dit en effet que le responsable pricing de la marque au trident ne dort plus depuis qu’il a eu vent du tarif de la "33 Stradale", quand la MC20 maison qui lui a cédé ses soubassement et groupe motopropulseur s’échange pour la somme -somme toute raisonnable- de 235.000 euros. Un sujet sur lequel les responsable d’Alfa se gardent bien de communiquer, le carry-accross de plateformes ne faisant pas vraiment partie des sujets considérés comme glamours dans l’univers des GT d’exception. A en croire certaines rumeurs, il s’agirait pourtant d’un juste retour des choses pour une auto qui emprunterait sa structure carbonée à l’Alfa Romeo 4C, autre production milanaise ayant elle aussi oublié d’être moche. J’ignore ce que vaut ce bruit-là, mais sans doute aura-t-il été alimenté par les clichés des premiers mulets de la MC20 publiés il y a quelques années, pour lesquels ont été sacrifiées plusieurs 4C. Sans compter que Dallara -concepteur bien connu de châssis destinés à la compétition- a fait bénéficier les deux modèles de son expertise dans le domaine du précieux matériau fibreux.
Mais laissons-là les dessous de jupes pour ceux d’une autre affaire, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer à propos de la Maserati dans "Why MC ?" et du constructeur de la 33 dans "Le Mal Alfa". Parce que, quitte à ne pas me faire que des amis sur le sujet de modèles exclusifs censés jouer le rôle de locomotive d’image au bénéfice des gammes auxquelles elles appartiennent respectivement, je me demande si ce dont Alfa a le plus besoin en ce moment, c’est véritablement d’une auto telle que la marque en concevait avant-guerre, quand ses représentantes s’entrapercevaient principalement sur les pistes où l’on courent, et quelque fois dans les rues fréquentées par une jet-set avant l’heure, dont on ne traquait pas encore les aller-venues motorisées.
Alfa nous a d’ailleurs fait le coup à plusieurs reprises, entre la magnifique 8C Competizione de 2007, qui a elle-même enfanté la sublime Touring Superleggera Disco Volante de 2013 -avec là encore l’aimable participation de Maserati- et la 4C précédemment citée. Autant de modèles dont j’étalerais volontiers les photos en double page centrale sur les murs de ma chambre si j’étais encore ado, mais que je ne puis guère espérer rencontrer qu’à la faveur du hasard si ce n’est en foulant les pelouses de Bagatelle ou de Chantilly lors d’un "rasso" accueillant ce que l’aristocratie mécanique produit de plus élitiste. Quant à les conduire, en rêve seulement (à moins s’il me lit, que mon homonyme ne décide de me faire plaisir à l’occasion de mon anniversaire tout proche. J’dis ça, j’dis rien).
Dites 33.000
C’est à peu de chose près ce qu’Alfa aura vendu en Europe au cumul de l’année à la fin du mois d’août. De quoi repasser de peu Lancia qui l’avait devancé l’année dernière avec un modèle unique vendu quasi-exclusivement en Italie, mais un chiffre largement insuffisant pour remplir de façon significative les parcs de véhicules de fonction dont la marque aurait tant besoin. Et le communiqué publié le 4 août dernier par la marque a beau célébrer des volumes en hausse de 35% par rapport à 2022 -auxquels la hausse du marché et l’arrivée tardive d’un SUV compact dans la gamme ont évidemment contribué- ça ne change rien au fait qu’Alfa vend dix fois moins de voitures que BMW, alors qu’on nous avait habitués à penser qu’elle en constitue l’équivalent latin.
Certes Rome ne s’est pas faite en un jour, et il faut laisser aux nouvelles équipes d’Arese le temps au temps de travailler. Mais je ne puis m’empêcher de penser qu’il s’est déjà écoulé deux ans depuis que Carlos Tavares en a donné dix aux patrons des marques de Stellantis pour démontrer qu’elles étaient viables. Et j’attends avec impatience de voir ce qui sortira des autres comités présidés par Jean-Philippe, ceux où ne compte pas les numéros de châssis sur les doigts des mains.
Histoire de ne plus m’inquiéter pour sa santé la prochaine fois qu’Alfa nous dira "33".