15/10/2020 - #Alpine , #Lotus , #Man , #Peugeot , #Fiat
Confus Panda !
Par Jean-Philippe Thery
Un panda, c’est 100 kg de pure tendresse. Enfin ça, c’est ce que je croyais jusqu’à la semaine dernière.
Avouez-le, il vous arrive à vous aussi de regarder des vidéos d’animaux mignons.
En ce qui me concerne, ma préférence va aux loutres, particulièrement celles de mer. Saviez-vous que cet adorable petit mustélidé tient ses congénères par la papatte quand il dort en faisant la planche sur l’eau ? Recherchez donc "loutre se tenant para la main" sur ToiTube, et je vous défie de ne pas les trouver irrésistibles.
Mais il y en a pour tous les goûts. Les traditionnalistes choisiront sans doute les chatons, les amateurs de rongeur les belettes ou ratons laveurs, alors que les fans d’exotisme ne jureront que par les marsupiaux australiens genre wombat ou quokka. Quant aux gros durs qui haussent les épaules à la lecture de ces lignes, je leur ferai remarquer que la science est du côté des amateurs de bébêtes rigolotes, puisque j’ai trouvé au moins deux études démontrant les bienfaits des vidéos d’animaux mignons sur la santé des humains, celles-ci contribuant à combattre le stress en réduisant la fréquence cardiaque de 7% et la tension artérielle de 15%. Et tout ça à coût zéro pour la Sécu.
Et puis il y a le panda. Ah le panda ! L’ursidé noir et blanc est définitivement le roi des cuties à quatre pattes. Si vous n’avez pas encore assisté à la séquence des bébés pandas s’accrochant aux jambes de l’employé du zoo pour qu’il joue avec eux, c’est que votre footprint digital est inexistant. De tous les êtres vivants, le panda est celui qui se rapproche le plus de la peluche, dont il possède d’ailleurs l’influx nerveux, puisqu’il réussit le tour de force d’avoir une dépense énergétique très inférieure à celle du koala.
Tout l’inverse en somme de la géniale et pétillante Fiat Panda apparue en 1980. Incarnation latine de notre gauloise 2CV, la petite citadine démontre que c’est dans la catégorie des voitures populaires que la marque turinoise excelle particulièrement, même si c’est à Giorgetto Giugiaro que l’on doit son design ainsi que la conception de sa carrosserie. Si absolument tout en elle traduit sa vocation économique, à commencer par ses panneaux de tôle et vitrages plats, la Panda rejette l’austérité pour un minimalisme intelligent avec des solutions qui ne le sont pas moins, comme sa sellerie en tissu déhoussable et lavable en Zanussi, ou sa planche de bord en forme d’étagère de rangement. Bref une auto dont le caractère extrêmement appropriable justifie l’appellation, conservée sur les générations suivantes apparues en 2003 et 2012, certes moins géniales que leur devancière, mais qui n’en constituent pas moins d’excellentes autos pour les petits budgets.
Peut-être est-ce d’ailleurs le poids plume de la petite Fiat qui a inspiré la dernière campagne du WWF (World Wildlife Fund), organisation ayant justement choisi le Panda comme emblème et mascotte. Alors que le gouvernement Français a écarté du projet de loi de finances de l’année prochaine la taxe sur le poids des véhicules initialement proposée par la Convention Citoyenne pour le Climat, et soutenue par Barbara-Ministre-de-la-transition-écologique, l’ONG publie à son tour une violente charge contre les SUV, accusés entre autres maux de surcharge pondérale.
Du coup, je me sens moi aussi un peu obligé de remettre le clavier sur le sujet, ce qui est tout de même paradoxal pour un type dont les goûts en matière d’automobile l’emmèneraient plutôt chez un concessionnaire Alpine ou Lotus s’il devait gagner au Loto. C’est donc à mon corps défendant que je prends fait et cause pour les SUV et ses acheteurs, moi qui préfère rouler léger au ras du sol. Mais si je regrette leur part de marché grandissante, c’est avant tout par souci de préservation de la diversité alors qu’ils tuent progressivement d’autres espèces comme les berlines et breaks, et non pas pour expliquer à mon prochain dans quelle auto il doit rouler.
Alors, de quoi s’agit-il exactement ? Eh bien, le Kung Fu Panda du WWF revêt son kimono et part au combat contre ceux qu’il qualifie de "fléau pour le climat et le porte-monnaie" menant selon lui à un "boom de la démesure". Et notre animal lèche sa communication de sa grosse langue râpeuse, puisqu’en sus de ces formules choc, on a droit à une infographie mettant en scène une silhouette qui "Evoque" le modèle d’entrée de gamme d’un certain constructeur britannique spécialiste des véhicules tout-terrain, pour illustrer un message qui ne sort pourtant guère des sentiers battus : les SUV sont paraît-il "plus polluants, plus difficiles à garer, plus chers et plus dangereux".
S’il affectionne visiblement les pronoms comparatifs de supériorité, notre nounours énervé est en revanche beaucoup plus léger sur les références qui devraient logiquement les accompagner, qu’il faut rechercher dans l’indigeste littérature accompagnant la susdite infographie. Mais autant vous prévenir tout de suite, la science y a clairement abandonné l’animal que je trouve déjà moins mignon.
La séquence de grossophobie mécanique démarre sur un mode historique, puisqu’on s’y voit notamment rappeler que nos voitures sont passées de 778 kg en moyenne en 1960 à 1.262 kg en 2017, soit une augmentation de 62%. Sans vouloir chinoiser avec le Panda, je lui ferai néanmoins gentiment remarquer que si les 2CV ou Dauphine d’antan faisaient effectivement dans le léger (respectivement 575 kg maxi et 635 kg), les Peugeot 404 ou Citroën ID à vocation familiale dépassaient déjà la tonne pour s’établir à plus de 1.200 kg pour les versions les mieux équipées.
Et surtout, je lui demanderais volontiers s’il préfère risquer la peau de l’ours dans un modèle de 1960 plutôt que dans une auto contemporaine, sachant éviter l’accident autant qu’en amoindrir considérablement les conséquences lorsque celui-ci se produit. Or, la sécurité a un prix, qui se paye principalement en kilos supplémentaires, même s’il faut bien reconnaître que l’équipement pléthorique dont bénéficient nos autos d’aujourd’hui contribue lui aussi allègrement à l’embonpoint dont elles sont affectées. Il faut dire qu’on s’habitue à ce qu’un habitacle rafraichi à l’air conditionné les jours de chaleurs ne sentent pas l’animal de zoo après un long trajet.
Mais pour les comparaisons plus contemporaines, notre boule de poil se prend les pattes dans le tatami en faisant allusion à un modèle pour le moins mystérieux. "un SUV par rapport à une voiture standard, c'est 200 kg, 25 cm de long et 10 cm de large en plus !" nous dit-il. Ou encore : "Un SUV consomme environ 15% de plus qu’une voiture standard". Je vous épargne le reste, mais sachez que la fameuse voiture "standard" est au total mentionnée cinq fois.
Je me suis donc mis en quête de l’engin. Dans un premier temps, j’ai bien pensé à la Vanguard, brave berline de 1.190 kg fabriquée par la firme britannique Standard. Mais en dehors du fait que sa production a cessé en 1963, je me suis dit que le panda n’était pas du genre à oublier les majuscules. En fouillant un peu, c’est dans la ménagerie aux questions que j’ai fini par la débusquer : la voiture standard selon le WWF, c’est la Peugeot 308, comme indiqué dans ce passage : "le SUV le plus vendu en France (la Peugeot 3008) pèse 111 kg de plus, consomme 23 % de carburant en plus et émet 14 % de CO2 en plus que la berline la plus vendue en France (la Peugeot 308)".
Un peu confus le panda, sur ce coup-là ! Parce qu’évidemment, la 308 n’est pas la berline la plus vendue en France. Mais surtout, la comparaison entre un SUV et une berline d’un même segment, sous prétexte ou non qu’ils partagent la même plateforme, n’a pas grand sens pour l’acheteur, particulièrement en ce qui concerne l’habitabilité et l’espace dévolu aux bagages. L’intelligence d’un véhicule d’architecture haute, catégorie inaugurée en son temps par les monovolumes, c’est précisément qu’on récupère de l’espace en redressant les sièges, particulièrement pour les jambes des passagers Arrière et le coffre. Le client d’un SUV lorgnerait donc plutôt dans le segment du dessus s’il était contraint de revenir à une berline. L’acheteur d’un 3008 s’intéresserait ainsi davantage à une 508 qu’à une 308, celui d’un Captur à une Mégane plutôt qu’à une Clio.
Voilà qui met à mal une bonne partie de l’argumentation de notre bouffeur de bambou, quand il affirme par exemple qu’un SUV, c’est plus cher, que ce soit à l’achat (+40%, carrément !) ou à l’heure de faire le plein (+15%). Ces assertions relèvent d’ailleurs d’une logique plutôt curieuse, consistant à penser qu’une partie conséquente des acheteurs de véhicules neufs disposaient d’abondantes ressources financières cachées, brutalement révélées par l’avènement des SUV. On rappellera donc au panda qu’en 2008, il fallait l’équivalent de 14,3 mois de salaire minimum pour acquérir une voiture au prix moyen d’alors, soit peu ou prou la même chose qu’en 1968, avec cependant un contenu technologique et en équipements beaucoup plus riche, tout ça dans le contexte d’une forte montée en gamme. En Revanche, si nous sommes depuis passés à 17,4 mois, c’est sans doute le malus écologique qu’il faut "remercier" plutôt que la montée des voitures hautes sur pattes.
Dans la plupart des cas, le raisonnement inter-segment plutôt qu’intra-segment vaut également pour le poids, la consommation de carburant et les émission de CO2. Les SUV d’aujourd’hui, ayant depuis longtemps perdu toute velléité de crapahutage, même pour la minorité de ceux disposant d’une transmission 4x4, ne sont d’ailleurs guère que des monovolumes proposant un univers associé un poil de panda plus excitant que celui de la famille Bidochon. Et si notre ami velu prenait le temps de s’intéresser aux logiques de choix des acheteurs d’automobiles neuves il y trouverait justement une certaine logique, qui lui éviterait peut-être de traiter une part significative d’entre eux comme des ânes.
Mais je n’en ai pas fini avec notre mammifère. Parce qu’il ne consomme ni bière, ni soda, ni eau gazeuse, sans doute peut-on lui pardonner d’ignorer que les bubulles, c’est du CO2. Et qu’à moins de considérer un verre de Perrier (Jouët ou pas) ou une pression bien fraîche comme toxiques, l’adjectif "polluant" ne sied pas aux gaz à effet de serre, bien qu’il les associe dans ses publications. Je suis d’ailleurs curieux de savoir comment se comparent les émissions gazeuses d’un panda bien nourri avec celle d’une Panda motorisée. En rappelant que la première itération émettait jusqu’à 196 g/km de CO2 pour la version la plus lourde (820 kg), alors que l’actuelle ne dépasse pas les 139 g/km, même lorsqu’elle dépasse la tonne.
Le panda aime donc bien les raccourcis. Ça se vérifie aussi sur les questions liées à la sécurité lorsqu’il affirme, que le conducteur d’un SUV "a 10% de risque en plus d’avoir un accident", sur la base d’une étude réalisée en Suisse, pays passé sous la barre des 200 décès dus aux accidents de la route en 2019. Mais surtout lorsqu’il prétend qu’un piéton "a deux fois plus de risque d’être tué en cas de collision avec un SUV". Il faudra donc réprimander ceux qui ont oublié de passer de vie à trépas, puisque 471 d’entre eux sont décédés après avoir été renversés par un véhicule en 2018, alors qu’ils étaient 548 en 2008. Or, "dans l’Hexagone, les ventes de SUV ont été multipliées par 7 en dix ans" selon les dires du WWF lui-même. Je lance immédiatement une souscription en ligne pour offrir une calculette pour Noël à notre ami panda.
Les inconsistances du panda ne s’arrêtent pas là. Comme lorsqu’il avoue par exemple lui-même qu’une taxe au poids pour les véhicules de plus de 1.300kg ne toucherait en fait qu’un nombre limité de modèles, surtout étrangers. Xénautophobe, le panda ? En ce cas, on se demande alors pourquoi faire tant de bruit !
Un bruit qui contraste avec le silence des constructeurs, qui ont visiblement choisi de se taire sur le sujet. Certes, répondre au panda menteur relève d’un exercice de communication plutôt délicat, surtout depuis que le Dieselgate a jeté l’opprobre sur l’ensemble de l’industrie automobile. On notera en tout cas que les constructeurs n’on aucun intérêt à ce que diminue la part des SUV dans les ventes de voitures neuves, sous peine de voir leur rentabilité affectée, puisqu’un véhicule vendu au tarif de la catégorie au-dessus de la plateforme sur laquelle il repose est forcément plus rentable. Sans doute leur meilleure réponse consistera-t-elle à diminuer effectivement le poids des véhicules, déjà fortement taxé au travers des émissions de C02 qu’il impacte considérablement, en admettant néanmoins que les technologies et process nécessaire pour y arriver ne représentent pas un coût économique autant qu’écologique supérieur aux gains attendus. A titre d’exemple, l’usage de l’aluminium ou du carbone sont loin d’être sans impact.
L’argumentation du WWF et d’autres organismes, pour inexacte qu’elle soit, pourrait cependant trouver un écho grandissant dans un public dont on rappellera que les acheteurs de véhicules neufs constituent une minorité. Or celle-ci est de plus en plus habile, s’inspirant sans doute des préceptes du "Design Thinking" et des méthodes Agile pour mieux les détourner. Les "points de douleur" des propriétaires d’automobile sont en effet ici utilisés pour désigner l’acquéreur de SUV à la vindicte de ses concitoyens, comme lorsque le poids et les dimensions prétendument excessifs de ces véhicules sont présentés comme affectant leur capacité à se garer ou manœuvrer. De la même façon, leur consommation et leur tarif y sont présentés comme une véritable atteinte au pouvoir d’achat des ménages !
Mais parce qu’elle attaque le comportement des consommateurs plutôt que de viser à une diminution progressive du poids des véhicules en sortie d’usine, la diatribe de la secte au panda s’avère particulièrement pernicieuse. Appliquez-en le principe à d’autres sujets que l’automobile, juste pour voir. Tenez, par exemple le logement, pour lequel on pourrait vous reprocher d’occuper une surface supérieure à vos besoins, alors que d’autre que vous n’y ont pas accès. Même chose pour la nourriture, lorsque votre assiette pourrait être soigneusement screenée et son contenu ajusté en fonction de vos besoins nutritifs ou de son empreinte environnementale. L’idée consistant à vouloir le bonheur des gens malgré eux, ça vous dit quelque chose ?
Quand j’étais petit, le WWF c’était le photographe Christian Zuber et son émission "caméra au poing". Un gars qui nous faisait aimer les animaux et qui, vu les endroits qu’il visitait, a dû grimper plus d’une fois dans un Land-Rover. Je crois d’ailleurs que j’arborai alors un autocollant du fameux panda sur mon cartable. Mais depuis, le panda est devenu confus, pour ne pas dire un peu … (le même, une syllabe en moins)
Bon, je vous laisse. Je viens de recevoir le lien d’une vidéo avec une maman loutre jouant avec ses petits loutrons. Il me faudra bien ça pour oublier ce foutu panda.