16/09/2021 - #Renault , #Bmw , #Daihatsu , #Fiat
Coincer la bulle
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui on descend en ville, à la rencontre d’un guépard, des lapins éteints de la Porte Maillot, et d’une petite voiture aussi rigolote au Brésil que dans les rues de Paris… ou de Rome.
Tout le monde sait que le guépard est l’animal terrestre le plus rapide au monde, capable de pointes à 110 km/h, voire un poil de fourrure tachetée en plus.
Mais avez-vous une idée de qui arrive en deuxième position de ce ranking ?
Eh bien sachez que si -contrairement à une légende tenace- l’autruche d’Afrique ne met pas la tête dans le sable, elle atteint allègrement 97 km/h, ou plutôt 60 miles per hour lorsque chronométrée par les sujets de sa gracieuse majesté. Ceux-là mêmes créditent le Springbok de 55 mph (88 km/h), ce qui paraît bien insuffisant pour que le guépard n’en fasse pas son quatre heures, mais l’antilope sauteuse d’Afrique -puisque c’est ainsi qu’elle s’appelle chez nous- peut compter sur une résistance supérieure (alors que son prédateur ne tient que trois ou quatre-cents mètres en VMax) et sa capacité à effectuer des bonds dignes d’un marsupial, à l’infra-classe duquel elle appartient justement. Si le félin qui convoite sa chair prétend s’alimenter régulièrement, il a donc intérêt à potasser la trigonométrie en plus d’être un athlète accompli. Saluons encore les lions et les gnous, qui malgré leur physique pataud mais presque, tapent allègrement les 80 km/h quand ils jouent au chasseur et au chassé.
Même si l’idée vous paraitra probablement saugrenue, imaginez un instant que toutes ces braves bestioles soient lâchées sur le périph parisien, et qu’elles décident de s’y taper une bonne bourre. Nul doute que celles-ci feraient crépiter le flash des cinémomètres qui en équipent les bas-côtés, offrant un moment de distraction bienvenu aux employés du Centre National de Traitement des Infractions Routières (CNT), qui en recevront les clichés à Rennes (la ville, pas l’animal).
Ou pas. Parce que même si on se représente la scène avec certaine délectation, celle-ci relève d’une fiction pour le moins farfelue, et pas seulement parce que les mammifères africains sont habituellement plutôt rares sur les axes de circulation parisiens. D’ailleurs, quand bien même Esha, superbe panthère des neiges et sociétaire la plus rapide du Jardin des plantes, parvenait à s’échapper de son enclos en dépassant les 55 km/h auxquels plafonnent habituellement celles de son espèce, elle serait bien en peine d’émouvoir des radars routiers ne réagissant qu’au passage de masses métalliques.
Et c’est bien dommage, car depuis que Paris s’est mise au 30 km/ maxi, la photo souvenir officielle est désormais à portée du genre humain, du moins de ses représentants les plus véloces. Comme Usain bolt qui lorsqu’il pulvérisa le record du monde du 100 m en 9,58 s le 16 août 2009 à Berlin, effectua une pointe à 44,72 km/h pour une moyenne de 37,58 km/h. De quoi faire réagir -du moins théoriquement- les pandores électroniques qui sanctionnent à partir de 36 km/h, en tenant compte de la "marge technique" de 5 km/h appliquées aux limitations de vitesses inférieures à 100 km/h pour les installations fixes. De quoi donner des idées aux communiquants d’un concept-store du "running", dont une campagne joliment orchestrée met en scène des coureurs surpris en plein effort par les Mesta et Gasto de service, au cours d’un rodéo nocturne organisé le 31 août dernier, date de mise en place de la nouvelle limitation. Avec cliché granuleux à l’appui, comme ceux de mauvaise qualité qui échouent dans la boîte aux lettres des délinquants routiers.
Tout ça pour dire que dans cette nouvelle configuration, l’automobiliste traversant la capitale à bord de son véhicule ABSisé, ESPisé, et traction controlisé est désormais susceptible de se faire dépasser par un paquet de trucs en mouvement qui seraient restés dans son sillage avant la date fatidique. Comme les lapins du terre-plein central de la Place Maillot, qui s’ils n’en n’avaient été chassés par les travaux, seraient maintenant en mesure d’en faire le tour à 48 km/h sans être inquiétés par des auto pas très mobiles. Ou encore des vélibs, skate-boards et patinettes auxquelles il suffit de péter un câble pour les débrider.
Ce qui nous amène sans transition à la première voiture particulière fabriquée au Brésil.
Le 5 septembre 1956, quelques habitants de São-Paulo assistèrent probablement ébahis au passage pétaradant de ce qui semblait s’apparenter à une douzaine d’œufs motorisés. Sans doute la plupart d’entre eux ignoraient-ils que les véhicules en question -en fait au nombre de seize- composant l’étrange procession étaient les représentants de la toute première voiture de tourisme industrialisée au Brésil, avec un taux de nationalisation (au poids) atteignant 72% dès le démarrage de la production. Si j’ajoute qu’en dehors de sa carrosserie particulière, l’engin disposait de deux place, d’une voie arrière particulièrement étroite et surtout d’une portière unique comportant le pare-brise et basculant vers l’avant en emmenant la colonne de direction et le volant, les plus érudits d’entre vous auront reconnu la fameuse Isetta.
Ou plutôt, la Romi-Isetta comme elle fut rebaptisée au Brésil (prononcer "Romisetta"). C’est qu’à l’origine du projet, il y eut un certain Américo Emílio Romi, fondateur des Industries du même nom, installées dans la ville de Santa Bárbara d’Oeste (Etat de São Paulo), dans les installations desquelles fut bien sûr fabriquée la petite auto. Mais il y eut aussi Carlos Chiti, son beau-fils, qui lors d’un voyage en Italie obtint la licence de fabrication de l’Isetta, dont les caractéristiques lui parurent particulièrement adaptées au contexte urbain brésilien, à une époque où la croissance économique alimentait celle du parc auto, et par conséquence, des embouteillages qui vont avec. De 1956 à 1961, ce sont ainsi quelques 3.000 exemplaires qui naquirent des chaînes de production de la société Romi, dont l’histoire est également marquée par la fabrication du premier tracteur national (dénommé "Toro"), et de la première machine-outil de conception brésilienne. Avant que vous ne me posiez la question, sachez que la Société Romi existe toujours, produisant des machines-outils ainsi que des équipements pour l’injection plastique.
Le meilleur moyen de voir une exemplaire de Romi-Isetta dans son pays de production consiste à se rendre au tout nouveau musée dédié aux "microcars" situé dans la ville de Bento Gonçalves, au sud du Brésil. Une initiative pour le moins courageuse, puisqu’une bonne partie des 35 autos qui compose la collection a été importée, avec tous les tracas qu’on peut imaginer dans un pays où l’administration est particulièrement tatillonne et le fisc sans pitié avec tout ce qui vient de l’extérieur. Rendons donc à César Cini l’hommage qui lui revient, lui qui est à l’origine de cette belle aventure, auquel j’apporterai une bien modeste contribution en indiquant à la fin de ce texte le lien du website du musée, ainsi que celui d’un reportage s’y rapportant signé de mon ami Jason Vogel[1]. Si vous ne lisez pas le portugais, c’est un tort, mais ça ne vous empêchera pas de visualiser les photos, et de constater la qualité des autos présentées autant que de la muséographie.
Les microcars justement, catégorie à laquelle appartiennent l’Isetta et sa cousine brésilienne. Si très tôt dans son histoire, des industriels visionnaires ont cherché à populariser l’automobile, ce n’est qu’après la Seconde Guerre Mondiale que s’est véritablement développé la motorisation de masse. Mais pas avant que les décombres du conflit ne soient progressivement effacés, et que ne reviennent un minimum de prospérité. Dans l’intervalle, les microcars apparues au début des années 50 firent le lien entre la moto qui fournissait l’essentiel du transport individuel de l’immédiat après-guerre, et les populaires modernes comme l’Austin Mini, la Fiat 500 ou la Renault 4, offrant une plus grande sécurité et une protection -parfois relative- à ceux qui se déplaçaient jusqu’alors à deux-roues. Elles s’appelaient Bond Minicar, Biscúter 100, Daihatsu Bee, FuldaMobil, Goggomobil, Heinkel Kabine, Messerschmitt KR 175, Trojan 200, Peel Trident, Subaru 360 ou Soviet SMZ et disposaient d’une motorisation inférieure à 700 cm³ souvent piquée à un fabricant de moto. Et si vous trouvez ma liste un peu rébarbative, c’est que vous n’avez pas idée du nombre incroyable de modèles du genre qui furent développés principalement en Allemagne et au Royaume-Uni, mais aussi en France, en Italie, au Japon ou en URSS.
Pour autant, l’Isetta reste la plus célèbre de toutes les microcars. Née en 1953 en Italie, elle fut imaginée par Renzo Rivolta, fondateur de la Société Iso, celle-là même à qui on doit aussi de surpuissantes GT mues par de gros V8 d’outre-Atlantique. Mais beaucoup connaissent l’Isetta au travers de sa cousine Germaine fabriquée par BMW, qui l’équipa de motorisations maison et la reconçu à tel point que ses pièces ne furent bientôt plus interchangeables avec le modèle originel. De plus, l’Isetta fut aussi produite en France (par Velam), en Argentine, en Grande-Bretagne et bien sûr au Brésil, où elle finit d’ailleurs par adopter elle aussi une mécanique BMW. Mais quel que soit l’endroit d’où elle vient, ou les versions qui en furent développées (elle exista par exemple en 4 places, avec un empattement allongés), l’Isetta s’est toujours caractérisée par son inimitable bouille rondouillarde, qui ne peut que provoquer un sourire chez les enfants, et ceux qui prétendent être adultes. Un physique sympathique qui justifie l’appellation de "Bubblecar" attribuée à certaines microcars, et dont je ne serais pas étonné qu’elle fût l’instigatrice.
Et là, je sais ce que vous pensez.
Que l’Isetta constituerait un excellent antidote à la morosité générée par un trafic urbain de plus en plus contraint, et que je vais sans doute vous conseiller d’en trouver une pour rouler dans Paris.
Et vous avez raison, mais pas tout à fait. Alors laissez-moi plutôt vous présenter la Microlino 2.0, véritable Isetta du XXIe siècle, qui vient d’être lancée officiellement dans sa version de série au Salon de Munich (IAA Mobility), 5 ans après sa première présentation à Genève. Bien sûr, elle est électrique. Son moteur de 11kW est suffisant pour emmener ses 513 kg et ceux de deux passagers à 90 km/h, sur une distance de 125 km avec une batterie de 8 kWh (rechargeable en 4 heures avec une prise domestique) ou 200 km avec celle de 14,4 kWh en option. Elle est moderne, puisque bénéficiant d’une rassurante structure monocoque emboutie, mélangeant l’acier et l’aluminium. Elle dispose d’un intérieur minimaliste, mais tel que l’entendent les architectes d’intérieur, avec une planche de bord accueillant un smartphone en complément de l’instrumentation montée sur la colonne de direction. Et surtout, son design est une vraie réussite, reprenant sans les caricaturer les lignes craquantes de sa devancière, en y ajoutant juste ce qu’il faut de contemporanéité. Enfin, et bien que née Suisse chez Micro Mobility Systems, elle sera fabriquée dès cette année là où il faut, c’est-à-dire en Italie.
Je sais, à 12.000 euros environ pour la version d’entrée, la Microlino n’est pas exactement donnée. Mais avouez que si elle est aussi fun à conduire à basse vitesse que mignonne à regarder, c’est sans doute exactement l’auto dont nous avons tous besoin pour traverser Paris. Parce tant qu’à se retrouver piégé dans les embouteillages que certain.e.s édiles parisien.ne.s s’évertuent à entretenir, autant coincer la bulle urbaine dans une jolie bulle automobile. Ça n’empêchera pas son conducteur de se faire dépasser par les lapins pas crétins, Porte Maillot ou ailleurs, ou de se faire prendre en photo par surprise. Mais ça lui rendra probablement le sourire.
Et puis j’espère que bientôt, il sera également possible de louer la Microlino en Italie. Le temps d’un weekend à Rome par exemple, en bagnole de (petite) fortune.
"Oh j'voudrais, j'voudrais, j'voudrais coincer la bulle dans ta bulle" nous dirait Etienne Daho
Le site du musée des "microcarros" à São Bento Gonçalves
L’article de Jason à son sujet.
[1] L’homme de Rio à la 2CV, dont je vous parlais récemment dans "aimer l’automobile à Rio".
Week-end à Rome, par Etienne Daho :
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