11/07/2024 - #Tesla
Cohabitation
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle de la drôle de situation dans laquelle nous sommes engagés. Non sans formuler mes recommandations…
Je crains que la période de cohabitation qui nous attend ne s’annonce particulièrement éprouvante.
Parce que le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle a démarré dans un climat de polarisation extrême. Aux uns criant à l’escroquerie utopique répondent ceux qui dénoncent un conservatisme réactionnaire, lors d’échanges en général peu aimables sur des réseaux n’ayant en l’espèce plus grand-chose de social. Bref, nous vivons dans une atmosphère électrique dont il apparaît bien difficile de distinguer le pôle négatif du positif parmi les faiseurs d’étincelles.
Ces écharpages en ligne à haute tension paraissent néanmoins d’autant plus inutiles que l’issue du débat est connue d’avance, puisque les véhicules légers mus par un moteur à combustion interne seront "machina non grata" dans les showrooms des concessionnaires dédiés aux véhicules neufs à partir de 2035. Une disposition entérinée par le parlement européen en date du 14 février 2023, consacrant sans la nommer la victoire de la voiture électrique, puisque confirmant l’obligation d’émissions de CO2 réduites à néant. Et une bien triste Saint Valentin pour des amoureux de mécaniques thermiques qui se raccrochent sans vraiment y croire à l’hypothétique promesse de carburants de synthèse à bas coût, produits à grande échelle.
Mais puisque le calendrier a été fixé, c’est désormais de transition dont il devrait être question, autrement dit un "passage d'un état à un autre, en général lent et graduel". C’est du moins ce qu’en dit le P´tit Robert, visiblement pas au courant (c’est le cas de le dire) des violentes altercations opposant les extrémistes des deux bords, entre ceux qui veulent 2035 là maintenant tout de suite, et leurs opposants jurant que jamais, au grand jamais on ne les verra au volant "d’un lave-linge ou d’un moulin à café". Des camps qui en l’état actuel des choses jouent perdant chacun à leur façon, puisque si les derniers seront bien obligés de faire "volt-face" s’ils veulent continuer à rouler en neuf, les adeptes de la pile motorisée n’ont guère lieu de se réjouir des performances commerciales actuelles de leur modèles favoris.
Je sais, certaines publications laissent à penser le contraire. Mais ceux qui suivent attentivement l’évolution réelle de l’électrification dans l’automobile n’ont que faire des annonces fondées sur les progressions de volumes ou vantant le succès de tel ou tel modèle, potentiellement affectées par l’évolution générale des marchés et la concentration de l’offre. Ce qu’ils surveillent, c’est le juge de paix que constitue la part des véhicules à batterie (et eux seuls) sur les ventes de véhicules neufs. Et que ce soit d’un côté ou l’autre de l’Atlantique, la forte progression initiale enregistrée à partir des années 2019/2020 s’est depuis sérieusement ralentie, laissant même place au recul depuis le début de l’année en Europe (12,5% au cumul depuis janvier contre 14,6% en 2023, selon l’ACEA).
Il faut dire que le temps des adopteurs précoces étant désormais révolu, il devient de plus en plus difficile de convaincre les automobiliste "mainstream" d’effectuer leur conversion. Je sais à l’avance que ce genre d’analyse me vaudra les foudres de certains promoteurs acharnés de la VE, qui ne comprennent pas forcément qu’énoncer les difficultés auxquels il est confronté ne signifie pas forcément qu’on "parle mal" de l’objet de leurs dévotions. C’est d’ailleurs à ceux-là que je veux m’adresser aujourd’hui, dont l’attitude contreproductive explique au moins en partie le rejet sans doute excessif que suscite la voiture électrique. Et je vous livre donc sans plus tarder la liste de mes conseils préparée à leur intention, visant non seulement à une cohabitation apaisée avec ceux qui ne se sont pas encore branchés, mais aussi -pourquoi pas- à les aider dans leur mission "EVangilatrice".
Descendez du prêchoir
D’accord, le Messie roule en Tesla et vous êtes missionnés pour sauver la planète. Mais tous les acheteurs de voitures neuves n’affichent pas nécessairement d’ambition aussi grandiose, certains prétendant même tout simplement…acheter une voiture (pour se déplacer par exemple). Et il y a de fortes chances que ces derniers s’intéressent davantage à ce que la voiture électrique en général ou tel modèle en particulier peuvent faire pour eux, ce qui n’empêche évidemment pas de citer aussi les bienfaits du zéro émissions pour la communauté. Autrement dit, lâchez les écritures sacrées et leurs injonctions morales pour les catalogues constructeurs ou configurateurs en ligne.
Oubliez Kodak et Jurassik Park
De grâce, épargnez-nous le cliché Kodak. Que l’ex-géant de la pellicule photographique n’ait pas su négocier le virage technologique du numérique est un fait connu de tous, mais comparer à son histoire celle de la voiture électrique n’a aucun sens. Parce qu’à ma connaissance, aucun texte législatif n’a entériné la fin de l’argentique, ni financé d’incitations à l’achat d’appareils numériques, alors que la VE est le fruit de décisions politiques et non d’une demande des marchés, quand bien même l’existence d’une offre a fini par susciter l’intérêt d’un certain nombre -encore insuffisant- de consommateurs.
Et pendant qu’on y est, abandonnez aussi les arguments préhistoriques. Ce n’est pas parce qu’ils remplissent leur réservoir de jus de triceratops ou de ptérodactyle que les pratiquants du thermique méritent le qualificatif de "dinosaure". Comme disait ma grand-mère, "On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre." et la fée électricité ferait bien de se parer de ses plus beaux atours plutôt que de jouer aux marâtres si elle tient à se montrer séduisante.
Ne jouez pas aux ingénieurs
Je lis encore régulièrement de doctes publications qui prétendent démontrer irréfutablement la supériorité de la motorisation électrique sur la foi d’un rendement de "90% ou plus", à comparer aux pitoyables "36 à 42%" de son équivalent thermique (suivant carburant). A ces apprentis ingénieurs, on rappellera que le principe même d’un véhicule automobile, c’est d’emmener l’énergie qui le meut. Et que c’est donc l’ensemble de la chaine de traction dont il convient de mesurer l’efficacité, incluant pour les VE des batteries à la densité énergétique très inférieure à celle d’un réservoir de carburant liquide. Si ce n’était le cas, il y a longtemps que la voiture électrique -qui constituait un tiers du parc roulant au début du siècle dernier- l’aurait emporté sur la siroteuse d’essence de pétrole…
Fichez la paix aux Lambos
Sérieusement, vous voudriez vraiment nous faire croire que c’est pour humilier les possesseurs de Supercars italiennes sur Youtube que nous devrions tous rouler en VE ? Certes, le couple immédiatement disponible des motorisations électriques leur confère des capacités d’accélérations avec lesquelles une ribambelle de pistons aura bien du mal à rivaliser, mais les gardiens de la planète n’ont-ils pas la frugalité sélective en promouvant une débauche de kW au Grand Prix des feux rouges ? Allez, un peu de cohérence dans l’argumentation ne ferait pas de mal (même si ça n’empêchera évidemment personne d’en profiter le moment venu).
Epargnez-nous le complotisme
Franchement, s’il existe vraiment un "lobby du thermique", celui-ci me paraît bien inefficace. A moins que ces constructeurs régulièrement accusés de retarder la transition ne cachent particulièrement bien leur jeu en investissant leurs milliards dans un outil de production dont il me paraît plutôt qu’il leur tarde de récolter les dividendes.
Quant aux distributeurs d’énergie de bord de route, je crois bien qu’il se fichent pas mal de ce que leurs clients soient de la pompe ou du chargeur, du moment qu’ils passent à la caisse. Celle de la boutique bien sûr, sur laquelle repose le business model de toute station-service qui se respecte, et dans laquelle il se dit que le consommateur en état de charge flânerait un peu plus longtemps que les autres…
Rangez vos calculettes à TCO
C’est vrai, l’entretien moins onéreux d’une électrique par rapport à son alter-ego thermique impacte favorablement le "Coût Total de Possession" (ou "Total Cost of Ownership" comme on dit même chez nous). Mais encore faut-il pouvoir s’offrir ce qui s’assimile à une véritable "économie de luxe", du moins tant que le tarif des VE sera significativement supérieur à celui des thermiques équivalentes. C’est la raison pour laquelle les autorités font fausse route avec un leasing social destiné aux "foyers à revenus modestes", à coup d’incitations à l’achat coûtant jusqu’à 13.000 euros par voiture au contribuable. A l’introduction d’une innovation sur un marché, il vaut souvent mieux commencer par "faire payer les riches", surtout lorsque ceux-ci sont consentants. C’est comme ça que nous disposons tous aujourd’hui d’ABS et d’airbags sur nos éconoboxes, grâce à ceux qui ont signé le chèque d’une Mercedes Classe S en 1981.
Bon, je m’arrête là, avant que certains d’entre vous ne proposent ma candidature à de prochaines élections. C’est qu’indépendamment de ce en quoi ils roulent, je tiens à m’entendre avec tous les automobilistes qui selon l’expression consacrée, font preuve "de bonne volonté".
Un truc dont il ne va vraiment pas falloir manquer dans les temps à venir…