01/06/2023 - #Renault , #Volkswagen Vp , #Audi , #Buick , #Peugeot
CLS que j’préfère
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je coupe les carrosseries en 4 portes. Pour la beauté du geste…
Il y a des jours comme ça où on tombe amoureux. Moi, ça m’est arrivé en 2003.
C’était forcément par écran interposé ou dans les pages quadrichromiques d’un magazine spécialisé, puisque je ne me suis pas rendu à Francfort cette année-là. Tout ce dont je me souviens, c’est que j’ai eu une Vision. Celle que Mercedes présentait sur son stand du salon de l’automobile comme un prototype, même si tout le monde avait alors bien compris que la Vision CLS n’était pas bien loin de la présérie. Non pas en raison de son style, digne d’une vraie show car, mais parce qu’il ne lui manquait visiblement pas grand-chose pour être en conformité avec les normes alors en vigueur.
On sait ce qu’il en est advenu, puisque la CLS produite en usine s’est installée dès l’année suivante dans les showrooms, s’intercalant entre les Classe E et S à qui elle vola la vedette. Mais c’est dans la rue qu’il me tardait de la voir, espérant que le charme agirait encore loin des éclairages de salon. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que je n’ai été déçu ni lors de notre première rencontre, ni lorsque j’ai pu enfin consommer une relation jusqu’alors platonique sur les départementales environnant Rambouillet. C’est au volant de la CLS 350 gentiment prêtée par mon ami Philippe que j’ai pu savourer les 272 chevaux du crémeux 6 cylindres en V, même si je dois bien avouer qu’il a manqué à cette prise en main le moment magique où passant au ralenti devant la vitrine d’un magasin, j’aurais pu nous admirer tous deux en dynamique. Vous, je ne sais pas, mais en ce qui me concerne, c’est l’effet que m’a produit la ligne du premier coupé 4 portes de la maison de Stuttgart.
Je vois d’ici les "puristes" monter sur leurs grands chevaux-vapeur, s’apprêtant à pédanter. Un coupé 4 portes, mais vous n’y pensez pas ! Ces autos-là en ont deux et pas une de plus ! Alors permettez-moi de pontifier à mon tour, et revenons à l’origine -autrement dit à l’ère hippomobile- quand l’encombrement des carrosses et autres berlines parut bien peu commode à une clientèle ne pratiquant le covoiturage que de façon passagère, autrement dit avec une seule à la fois. Pour ceux-là, on "coupa" dans l’empattement, virtuellement bien sûr, aucun fiacre n’ayant été maltraité lors de la rédaction de cette chronique. Mais une paire de sièges n’en ayant pas moins fait les frais, un "coupé" comportait donc deux places, plus rarement une seule.
Or, voilà une définition à laquelle nombre de "coupés" des temps motorisés n’obéissent plus, entre vraies 4 places ou 2+2, voire plus si affinité dans ces américaines où l’on fait volontiers banquette à trois. Et si l’on pousse l’exégèse du code des carrosseries vers plus de rigueur encore, on rappellera que seules les automobiles comportant une seule glace latérale auraient droit à cette demi-appellation, les autres étant assimilées à un "coach". Un vocable à ma connaissance à peine utilisé par Volkswagen pour sa Polo break, et Renault au Royaume-Uni pour une série limitée sur base de Cinq, ou pour désigner la Mégane dans sa version… Coupé.
Bref, tout ça pour dire aux gardiens de je ne sais quel temple coupant les cheveux en quatre et les carrosseries en deux, qu’en matière d’automobile aussi, les termes évoluent, et qu’ils seraient bien inspirés de montrer certaine souplesse intellectuelle sur le sens dans lequel on passe la scie sauteuse. Surtout que l’affaire commence tout de même à dater, puisque le premier coupé 4 portes remonte à 1962. A l’époque, allez savoir ce qui a pris aux décideurs de la marque Rover, plutôt alors connue pour le conservatisme de ses productions, de ratiboiser sa berline P5 par le haut à l’occasion de son restylage, en lui ôtant 2,5 pouces, soit tout de même 6,4 centimètres. Une technique directement empruntée aux pratiquants du custom et constructeurs de Hot Rods, lesquels recouraient alors volontiers au "chopping" -technique consistant à rabaisser le pavillon par tronçonnage des montants- avec ces caisses carrées qu’ils affectionnent, histoire d’améliorer leur coefficient de pénétration pour chasser les records de vitesse sur les lacs salés de l’Utah, ou tout simplement parce que "ça fait course".
Toujours est-il que le coup de rabot fit grand bien à l’altière Rover dans laquelle on pouvait désormais garder les bottes de cuir mais plus le chapeau melon. Sans oublier qu’à partir de 1968 le ramage s’accorda au plumage grâce aux 160 chevaux du V8 Buick cédé à la vénérable marque britannique, apportant un surcroît de puissance et de performances bienvenu par rapport au 6 cylindres en ligne qui développait de 115 à 134 chevaux selon l’année et l’humeur de son carburateur SU HD8.
Mais revenons à Mercedes, qui a donc le chic pour exhumer les carrosseries chics et disparues. Rappelez-vous en effet que la marque nous avait déjà fait le coup en 1996 avec le coupé-cabriolet SLK, dont le toit en dur rétractable reprenait le principe développé par Georges Paulin pour Peugeot, qui le commercialisa sur plusieurs modèles sous le nom d’"Eclipse" (voilà au passage une belle opportunité de revoir "Le Schpountz" avec Fernandel, dans lequel apparait la 601 Eclipse de Marcel Pagnol, lequel réalisa le film en 1938). Mais qui songerait à accuser la marque à l’étoile de plagia au vu du résultat ? Sans compter que la CLS inspira les concurrents directs de son constructeur, avec des modèles aussi allurés que leur appellation "Gran Coupé" chez Béhème, ainsi que les élégantes A5 et A7 de chez Audi, ou la Passat CC chez Volkswagen.
Vous l’aurez compris, je roulerais volontiers avec chacune de ces autos, même si CLS que j’préfère. Afin d'occuper les longues soirées d’hiver berlinoises, j’ai même il y a quelques mois traqué un modèle de première génération par le biais des petites annonces d’un site spécialisé, en rêvant à la perle rare pas trop kilométrée. Il faut dire qu’à l’heure où plus que jamais, on "monte en voiture", la CLS nous rappelait qu’on pouvait encore y descendre avec classe, au prix de contorsions que les propriétaires de SUV ont sans doute oubliées. Et que rouler en coupé 4 portes, c’est faire fi de toutes considérations pratiques au profit de l’esthétique, si ce n’est bien sûr à l’égard des passager arrière qui ont droit à leurs propres ouvrants, même s’ils leur faudra composer avec une ligne de pavillon privilégiant la fluidité à la garde au toit. Bref, c’est se donner le droit de se sentir beau ou belle au volant, parce que la vie ne se limite pas à la capacité d’emport des cartons de chez Ikéa, en choisissant une auto sur laquelle on se retournera systématiquement après l’avoir stationnée, pas juste pour vérifier qu’on l’a bien verrouillée mais parce qu’on la trouve aussi séduisante qu’au premier jour.
A tous ceux que ces lignes ont fait vibrer (les autres peuvent fermer cette page et reprendre une vie normale), il me faut pourtant annoncer une bien mauvaise nouvelle puisque Mercedes arrête la CLS, et que la troisième génération (Type 257) n’aura donc pas de descendance. Ce sont les suspects habituels qu’il faut incriminer, entre les investissements massifs liés à l’électrification ou le développement de motorisations conformes à la norme Euro 7, en raison desquels il ne fait pas bon nicher dans les segments de marché où les volumes sont plus rares.
Mais je me demande également si la CLS n’était pas d’une certaine façon arrivée au bout de l’exercice. D’abord parce que remplacer la première du nom (type 219) relevait de mon point de vue d’une mission impossible, tant le coup de crayon de Mickael Fink -qui en fut l’auteur- était réussi. Mais aussi parce que sans vouloir jouer les experts en la matière, j’ai l’impression que l’évolution stylistique d’un modèle, qu’il s’agisse d’une simple phase II ou d’une nouvelle itération, passe quasi-systématiquement par sa masculinisation, sans doute parce que les constructeurs ressentent le besoin de renforcer la sensation de robustesse au fil du temps. Or, même si celle-ci était loin de suggérer la fragilité, il y avait dans le dessin de la CLS originelle une grâce toute féminine, doublée d’une latinité échappant quelque peu au registre habituel de la marque. Autant d’éléments qui s’assortissent particulièrement au thème stylistique du coupé 4 portes, expliquant en grande partie la plastique superbement réussie de la première CLS.
Non pas que celles qui ont suivi soient de vilaines voitures, loin s’en faut, mais disons qu’elles n’ont pas provoqué en moi la même émotion. Pas plus que la CLA qui en décline le concept en entrée de gamme, mais dont le format plus compact rend difficile son aboutissement, tant les coupés 4 portes ont besoin de s’étirer en longueur pour s’exprimer tout à fait.
Rien à faire donc. Il sera dit que la CLS restera pour moi un amour de 20 ans…en arrière.