01/12/2022 - #Audi , #Bentley , #Ferrari , #Lamborghini , #Lotus , #Mazda , #Mclaren , #Nissan , #Pininfarina , #Porsche , #Fiat , #Ford , #Chevrolet
Cheval (de trait) cabré
Par Jean-Philippe Thery
Je crois bien que Ferrari a un peu oublié de m’inviter pour le lancement du Purosangue. Mais ne comptez pour autant pas sur moi pour charger la mule…
Je vous ai récemment raconté comme je m’étais retrouvé il y a peu sur le parking d’un loueur de voiture à l’aéroport de Detroit, à choisir celle au volant de laquelle je repartirai parmi une quinzaine de grosses berlines alignées en épi.
Voilà le genre de traitement clientèle, autrement plus agréable que de se voir remettre les clefs d’un modèle non choisi, qui vous incite à revenir auprès de la même compagnie. C’est d’ailleurs précisément ce qui s’est produit deux semaines plus tard, même si je n’ai pas alors pas été surclassé, et qu’on m’a donc orienté vers l’allée des "compacts" plutôt que celle des "full size". Mon choix y a été vite expédié.
Bien sûr, c’est en partie parce que j’étais curieux de savoir ce que mes ex-collègues de chez Nissan avaient fait de l’ennuyeuse Sentra que j’ai opté pour le modèle, que j’ai bien connu comme véhicule de fonction dans sa précédente itération (bien joué, les gars : elle est significativement meilleure, bien que toujours ennuyeuse). Mais, seule voiture basse au milieu des Chevrolet Trax, Ford Ecosport, ou Mazda CX30 et autres SUV du même gabarit, c’est de toutes façons sur elle que j’aurais jeté mon dévolu.
Il faut dire qu’en matière de conduite, je préfère encore en indécrottable post-boomer me rapprocher du sol plutôt que d’être perché. C’est sans doute mon côté terre à terre, à moins que je ne préfère les véhicules qui -comme moi- maintiennent leur centre de gravité à une distance raisonnable de l’asphalte. A tel point que dans mes fantasmes automobiles les plus fous, je roule quotidiennement en Lotus Elise.
N’imaginez pas pour autant que je méprise ceux qui me contemplent de haut en roulant. C’est qu’il existe un principe qui m’est cher, bien que pas mal bousculé dernièrement, selon lequel les gens font bien ce qu’ils veulent.
Peut-être parce qu’ayant débuté ma carrière dans l’automobile au sein du service études de marché d’un grand constructeur, j’ai tendance à essayer de comprendre ceux qui représentent peu ou prou 40% des acheteurs de véhicules neufs plutôt que de les prendre pour des crétins. Et que les SUV n’aient pas ma préférence personnelle ne m’empêche pas de prendre fait et cause pour ceux qui les choisissent, détestés qu’ils sont par ceux qui détestent l’automobile comme par une partie de ceux qui l’adorent.
Voilà donc pourquoi, contrairement à certaines "têtes de pétrole", je ne suis nullement scandalisé par la Ferrari Purosangue, premier modèle de la marque que j’ai bien du mal à ne pas désigner au masculin. Et je prends donc le risque de choquer certains de mes aimables lecteurs en désavouant les gardiens du temple maranellesi autoproclamés, qui invoquent volontiers la dépouille d’Enzo comme s’il s’agissait d’une relique sacrée, persuadés qu’elle se retourne dans son caveau à chaque fois qu’un exemplaire du nouveau modèle tombe des chaines de production de l’usine modénaise.
A ceux-là, je rappellerais de bon gré que Monsieur Ferrari avait un sens aigu des affaires, et que si par je ne sais quel miracle celui-ci se trouvait encore parmi nous, je doute qu’il ait manqué la lucrative opportunité que représente la catégorie. D’autant plus qu’on dit volontiers de l'Ingeniere qu’il ne considérait pas autrement les voitures routières portant son nom que comme le moyen de financer la dispendieuse Scuderia, même si je le soupçonne personnellement d’y avoir sans doute prêté plus d’intérêt qu’il ne voulait bien l’admettre.
Au moins ceux qui n’approuvent pas ce mouvement pourront-ils reconnaître à la firme au "cavalino rampante" qu’elle a tout de même attendu le dernier moment avant de céder à ce qu’il faut bien considérer comme un impératif de marché, presque 20 ans après que Porsche a lancé le Cayenne.
Malgré le grand émoi qu’a provoqué à l’époque l’introduction du modèle dans la gamme stuttgartoise, on s’est depuis habitué à ce que la firme allemande soit devenue avant tout un producteur de "camionnettes", les moins résignés se contentant d’observer cyniquement que les rivières de cash qu’ils génèrent contribuent au développement des sportives traditionnelles. Et que sans eux, nous ne disposerions probablement ni des nombreuses déclinaisons de la 911, ni des Boxster, Cayman et Spyder qui composent désormais la gamme 718.
Si l’on exclut McLaren, qui semble néanmoins avoir inscrit un SUV 100% électrique dans son plan produit, Ferrari arrive donc volontairement bon dernier dans le segment, plus de 6 ans après le voisin Lamborghini, dont l’Urus monopolise désormais l’essentiel des chaines de production de Sant’Agata Bolognese. Un engin qui ne me paraît pas avoir suscité de grand rejet de la part des aficionados de la marque, peut-être parce qu’il bénéficie de la jurisprudence établie par le très original LM002, auquel personne ne trouva rien à redire quand il fut lancé en 1986, certains le situant même très haut sur l’échelle de la "coolitude".
Quant à l’Aston-Martin DBX, je n’ai pas souvenir qu’il ait agité les foules lors de sa mise en production il y a 2 ans, peut-être parce que le Covid nous avait alors déjà habitué aux changements incessants de paradigmes. Et je ne serais d’ailleurs pas étonné qu’un exemplaire de la version 707 (pour autant de chevaux, mais sans rapport avec Boeing) constitue la prochaine voiture de service du remplaçant de James Bond, après un passage obligé dans les ateliers du Major Boothroyd ("Q" pour les intimes).
Tout ça pour dire que huit ans après que Luca di Montezemolo a juré ses douze grands dieux romains qu’il n’y aurait jamais de SUV dans la gamme Ferrari, la présence du Purosangue y apparaît des plus logiques, même si l’ex-président de la marque a exprimé publiquement sa désapprobation avec véhémence.
Seulement voilà, Ferrari a fait un SUV, mais il ne faut pas le dire. A tel point que si l’acronyme prohibé est bel et bien mentionné par le communiqué de presse publié le 15 septembre dernier, c’est une seule et unique fois, entre parenthèses, et par la négative. Comme pour mieux se débarrasser du sujet, c’est d’ailleurs en page 1 du document qu’il est indiqué que "pour permettre à l'entreprise […] de créer une voiture qui soit digne d'occuper une place dans sa gamme, ont été adoptées une configuration complètement différente et des proportions innovantes par rapport à l’archétype des GT modernes (désignées comme Crossovers et SUVs)".
Bon, pas sûr que cette façon pour le moins étrange de désigner les modèles de la non-concurrence soit vraiment intelligible, mais ce qu’il faut retenir, c’est que le -pardon, la- Purosangue dispose d’une répartition des masses quasi-idéale ( 49/51) grâce à son moteur en position centrale accouplé façon "transaxle" à une boite de vitesse rejetée à l’arrière, alors que les "autres" doivent composer avec un train avant lourdement chargé par leur groupe motopropulseur. Pas étonnant donc, que la Purosangue dispose d’un capot dont la longueur permet presque d’accueillir un hélicoptère.
Ce qui est tout de même paradoxal, c’est que s’il existe une motorisation susceptible de justifier la première lettre de l’indicible sigle, c’est bien le magnifique 12 cylindres en V à 65° de 6.496 cm³ de la Purosangue, alors que le mot "Sport" appliqué à la catégorie nous aura toujours semblé bizarre de ce côté-ci de l’Atlantique. Une mécanique dont le communiqué précise qu’elle "fait ses débuts dans cette toute nouvelle configuration pour garantir que la voiture libère plus de puissance que tout autre dans le segment (725 cv)". Tiens donc, quel segment ? Surtout qu’il est indiqué quelques pages plus loin que "la Purosangue a créé un nouveau segment de marché dans lequel le Cheval Cabré ouvre de nouvelles frontières totalement inédites", et que le même document proclame "unlike any other" en titre. Pas facile, le jeu du "ni SUV ni Crossover" quand il faut tenir 15 pages…
Pour autant, c’est évidemment la deuxième lettre qui fait tache pour Ferrari, dont on se doute bien qu’elle n’a pas envie de voir son nom associé à la notion d’ "utilitaire", quand bien même son dernier modèle en date dispose de suffisamment d’espace dans l’habitacle et le compartiment à bagages (473 litres tout de même) pour embarquer 4 passagers au long cours.
Voilà qui sonnerait sans doute comme un aveu, celui d’avoir commis un cheval de labour, à l’opposé de l’image du noble étalon et de ses ruades furieuses sur fond jaune. Rappelons à ce sujet que c’est chez le voisin santagatesi qu’on fait des tracteurs, et que l’Urus -présenté comme un SSUV (Super Sports Utility Vehicle)- partage sa tripaille avec deux roturières allemandes et une fausse britannique (les Audi Q7, Porsche Cayenne et Bentley Bentayga, pour ne pas les citer).
N'imaginez pas pour autant qu’on a brainstormé à mort dans les bureaux du Département Marketing de la Via Abetone Inferiore, afin d’inventer le néologisme qui va bien pour désigner ce nouveau segment que le Purosangue est supposé avoir inventé, puisque Ferrari le désigne tout simplement comme "premier modèle 4 portes et 4 places de son histoire".
Heureusement pour le rédacteur du communiqué qu’en son temps, Fiat n’a pas voulu de la Pinin, sublime prototype de ce qu’aurait pu être la première berline Ferrari. Présenté par le Studio Pininfarina au Salon de Turin en 1980, pour commémorer son cinquantenaire, celle-ci disposait pourtant du soutien de Monsieur Ferrari lui-même, qui l’aurait sans doute bien vu remplacer la Fiat 131 à l’arrière de laquelle il lui fallait s’assoir lors de ses déplacements avec chauffeur. Et pan sur le museau des "puristes"…
Bref, Ferrari a conçu une auto à quatre portes qui culmine à 1.589 mm, offrant une position de conduite "plus dominante que celle des autres Ferrari", qui dispose d’une base roulante dont la transmission intégrale, la suspension active et les aides électroniques ont été optimisées pour la conduite sur la neige ou "autres surfaces présentant une faible adhérence", et dont le toit est en carbone afin d’abaisser le centre de gravité…mais qui n’est pas un SUV.
Et comme par crainte qu’on puisse en douter, elle lui choisit un nom qui n’ayant rien de fortuit, semble vouloir réaffirmer ostensiblement son appartenance à la "famiglia". Il n'empêche, s’il m’était permis -hypothèse d’école- de penser autrement, j’affirmerai volontiers que la marque peut se targuer d’avoir dessiné le plus beau spécimen de la catégorie.
Et ce du premier coup, en prouvant qu’il est possible d’y affirmer son identité autrement qu’avec une caricature de face avant colée sur une cellule générique, ce que Porsche n’a de mon point de vue véritablement réussi qu’avec le Macan,12 ans après son intrusion dans le segment.
Quoiqu’il en soit, je me verrais bien l’essayer, moi, le S… euh je veux dire la 4 portes de chez Ferrari. Mais j’ai eu beau regarder, je n’en n’ai pas vu sur le parking du loueur à Detroit.
Alors si on me lit du côté de Modène, qu’on n’hésite pas à me faire signe…