23/11/2023 - #Bentley , #Bmw , #Smart
(Cen)sus aux SUV !
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je me lance en politique. Mais rassurez-vous, c’est juste pour le temps d’une chronique…
Un jour, on m’a demandé de poser une question.
Très embêté, le gars de l’ingénierie à l’autre bout de la call m’avait expliqué que dans le cadre d’une campagne de decontenting probablement inspirée du jugement de Salomon, le modèle dont il avait la responsabilité devrait se passer de la moitié de la garniture située sur le passage de roue avant gauche, servant de repose-pied aux conducteurs ne laissant pas trainer le mocassin sur la pédale de gauche. Une décision à l’emporte-pièce (c’est le cas de le dire) le tourmentant d’autant plus que lui avait été laissée la lourde responsabilité de décider de la pointe ou de la talonnette laquelle des deux ferait les frais de cette économie de bout de semelle. C’est alors qu’il avait eu l’idée géniale d’appeler le gars des études de marché pour lui demander de demander au client "ce qu’il voulait".
Autant vous dire qu’il a été pour le moins déçu de s’entendre dire que "le client" ne voulait probablement pas choisir quel bout de moquette allait s’user plus vite que l’autre. Et sans doute ai-je achevé de m’en faire un ami après lui avoir expliqué que le principe d’une enquête ne consistait pas à faire bosser "le client" à sa place en lui sous-traitant la responsabilité d’une décision qui ne lui appartenait pas. Comme notre homme ne m’a étonnement jamais rappelé, j’ignore lequel des deux morceaux de plastoc a fini par l’emporter. Mais peut-être mon interlocuteur d’un jour a-t-il pressenti, que contrairement à ce qu’affirme l’adage, il existe bel et bien de mauvaises questions entre les mal formulées et celles qu’on ferait mieux de ne pas poser.
Et ça vaut aussi en politique.
Tenez, prenez par exemple les référendums. Même quand il s’agit de n’y répondre que par "oui" ou par "non" -ce qui est généralement le cas- ceux-ci requièrent que la question posée bénéficie d’une rédaction sans faille afin d’être compréhensible de tous, que les termes employés fassent référence à des concepts précis et que les électeurs ne soient pas tentés de se prononcer sur un sujet autre que celui concerné. En bref, toutes les cases que le référendum sur "le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat" du 27 avril 1969 n’a pas cochées, ayant provoqué le départ à la retraite anticipée du Grand Charles.
Des principes aujourd’hui bien connus, dont je ne suis pourtant pas certain qu’ils aient été pris en compte pour la consultation d’intérêt local à laquelle sont convoqués les Parisiens le 4 février prochain. Même si les mauvaises langues ne manqueront pas de faire remarquer que durant la vingtaine d’heures de vol carbonées reliant PPT à CDG, sa promotrice aurait eu largement le temps de réfléchir aux questions méthodologiques. Le sujet est pourtant essentiel, puisque pour la première fois dans l’histoire du suffrage démocratique, des électeurs sont appelés à se prononcer sur le tarif d’un ticket de stationnement. De quoi vexer assurément nos voisins helvétiques, pourtant champions incontestés de la démocratie directe à main levée, qui n’y ont pas songé plus tôt.
On ne peut d’ailleurs que saluer l’opiniâtreté de la première magistrate de la capitale, qui n’hésite pas à coiffer de nouveau le phrygien bonnet d’Anne, après les 7,46% de participation enregistrées lors de la précédente opération du genre, ayant permis de bouter les trottinettes en libre-service hors les murs de la cité. Il faut dire que c’est à une catégorie de véhicules beaucoup plus gros que s’attaque cette fois Madame le maire, qui souhaite voir appliquer aux propriétaires de SUV et 4x4 un tarif de stationnement non résidentiel "préférentiel", en quelque sorte proportionné à leur gabarit (celui des véhicules, pas de leur propriétaires). Si aucun chiffre n’y est mentionné, la pénible vidéo de promotion dont je me suis farci la visualisation au nom de l’information de mes lecteurs fait allusion à une augmentation "très significative".
Comme je ne suis pas vache, je ne souhaite ni à la principale occupante de l’hôtel de Ville, ni à son service juridique que le "oui" l’emporte. Parce que dans le cas contraire, il lui faudra répondre à une question sur laquelle même les experts des réseaux sociaux les plus chevronnés s’écharpent très régulièrement : celle de savoir ce qu’est véritablement un SUV. Et qu’elle ne compte pas pour lui filer un coup de main sur les rubriques J2 et J3 de la carte grise, correspondant respectivement aux codes européen et français de carrosseries (on n’allait tout de même pas les uniformiser). Le langage administratif a en effet ceci de merveilleux qu’il dispose d’une dizaine de cryptogrammes pour désigner les citernes ou les véhicules avec ou sans impériale (articulés ou pas, à toit ouvert ou fermé), mais pas un seul pour la catégorie représentant désormais 45% des ventes de véhicules neufs.
Néanmoins, l’affaire est à ce point malaisée que Madame 1/le maire 2/la maire 3/ la mairesse (cochez la case qui vous convient) a fait appel au World Wildlife Fund (WWF), éminent cabinet de consulting bien connu pour sa double expertise en matière automobile et de sino-ursidés. Même si, allez savoir pourquoi, j’ai tendance à faire davantage confiance à ces gars-là sur les pandas qu’à propos de véhicules motorisés. Je vous livre d’ailleurs sans plus tarder -français approximatif compris- ce qui constitue à l’évidence le résultat de longues séances de réflexion, disponible sur le site de la mairie parisienne : Un SUV, c’est "un type de véhicule qui combine des caractéristiques d'une voiture de tourisme avec celles d'un véhicule utilitaire, souvent caractérisé par sa taille plus grande et son poids plus important : un SUV pèse 200 kg de plus qu’un véhicule standard, mesure 25 cm plus long et 10 cm plus large".
Ne reste donc plus qu’à déterminer ce à quoi ressemble une voiture "standard", quelque part entre une Twingo et une Mercedes Classe S. Blague mise à part, ne tirez pas sur l’ambulance du malheureux rédacteur-Ouaibe, qui a sans doute dû se débrouiller entre Gégé Translator, Kiwipedia et "Chat j’ai pété la def" pour nous pondre cette véritable petite merveille. Il faut dire que pour un sujet non averti, un "utilitaire sportif" évoque sans doute davantage un plombier en survêt que la voiture des familles. Et que celui-ci n’est pas supposé savoir que la plupart de ces autos-là se sont débarrassées il y a bien longtemps du châssis en échelle et de la transmission intégrale.
Le néophyte est également en droit d’ignorer qu’un SUV urbain, compact ou mini a quelque chose d’oxymoronique, alors que leurs gros SUV d’ancêtres relevaient du pléonasme. Les premières études que j’ai organisées sur un sujet qui préoccupait alors plutôt les marketeux que les politiques, montraient en effet que pour les répondants de l’époque, un "Sport Utility Vehicle" était indissociable de la notion de taille. Mais la génétique automobile évoluant à vitesse accélérée sur une échelle darwinienne qui lui est propre, ces autos-là s’appellent aujourd’hui Captur ou 3008 sur notre marché national. Des modèles dont j’ai eu plusieurs fois l’occasion d’expliquer dans ces colonnes qu’ils étaient très souvent choisis à la place de berlines plus grosses, dont ils offrent les mêmes prestations en volume intérieur -tant pour les passagers que pour les bagages, grâce à leur architecture haute. Les SUV d’aujourd’hui correspondent donc aux monospaces d’hier que personne ne songeait alors à fustiger, sans doute parce ceux-ci ne faisaient pas semblant de participer au Paris-Dakar, quelque part entre Lima et Riyad.
On est donc très loin du Range-Rover noir montré d’une souris accusatrice sur le website de la mairie (pardon, surmulot), photographié -avec toute la subtilité caractérisant la communication de nos verts représentants, devant trois Smart en enfilade. Si c’est à ce type de véhicules que ces derniers souhaitent s’en prendre, il leur faudra probablement établir -et actualiser en permanence- une liste nominative des modèles concernés, mais aussi constater que les euros issus de l’augmentation "significative" de leur droit de stationner ne sont pas près de combler le déficit municipal, tant ceux-ci constituent un marché de niche. Mais après tout, si ça permet à leurs propriétaires de les remplacer par des Bentley, BMW Série 7 ou Mercedes Classe S, et de revendre à l’étranger leur "gros SUV" sérieusement dévalorisé, la planète aura été sauvée, et les Pandas pourront grignoter tranquillement le bambou dont on assène régulièrement l’automobiliste de coups.
En conclusion, permettez-moi donc de réitérer le conseil cousu de filigrane blanc tout au long de cette chronique, consistant à éviter de poser des questions dont la réponse pourrait s’avérer gênante. Pensez-y la prochaine fois que vous poserez votre soulier gauche sur le demi-repose-pied de votre SUV parisien.