04/04/2024 - #Renault , #Audi , #Alfa Romeo , #Bugatti , #Ferrari , #Lamborghini , #Lancia , #Lotus , #Maserati , #Fiat
Brand eXperience
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle d’une voiture que j’ai longtemps cru détester. Et d’un grand artiste qui n’en n’aura jamais rien su…
Il fut une époque où je n’aimais pas la BX.
Je sais, ce n’est pas un truc très sympa à dire -ou écrire- alors que celui qui l’a dessinée nous a quittés le 14 mars dernier. C’est en effet l’auteur des lignes des Lamborghini Countach et Bugatti EB110, mais aussi de la Renault Super 5 et de l’Audi 50 (devenue VW Polo) qui signa également celles de la berline Citroën, en service dans le segment D de 1982 à 1994. C’est qu’en pareilles circonstances, on n’a généralement que des mots gentils à l’égard de ceux qui tirent leur révérence. Dans le cas de Marcello Gandini pourtant, il semblerait selon ceux qui l’ont connu ou simplement approché, que les éloges soient justifiés au-delà des propos de circonstances par une grande gentillesse associée à une vraie modestie.
Je ne peux pourtant pas dire que je n’apprécie pas les autos cunéiformes, après avoir à plusieurs reprises avoué dans ces colonnes un amour déraisonné pour l’Aston-Martin Lagonda, et roulé durant un temps au quotidien à bord d’une Lancia Beta HPE. Si l’on célèbre généralement les courbes -volontiers qualifiées de sensuelles – quand il est question de carrosserie automobile, il me semble que les décennies 70 et 80 ont démontré que les lignes droites et leurs intersections peuvent s’avérer tout aussi séduisantes. J’en veux pour preuve -en plus de celles déjà nommées- des autos comme les Ferrari 400, Fiat 130, Lancia Gamma Coupé, Lotus Esprit S1 ou encore Maserati Biturbo.
Rien qu’avec les Miura et Countach, autos qui ont défini le style Lambo si ce n’est la marque elle-même, Gandini a démontré qu’il s’avait jouer sur les deux registres. Mais question d’époque sans doute, c’est surtout dans l’équivalent métallique de l’origami qu’il a exercé son prolifique talent, comme en témoignent les spectaculaires Lancia Stratos Zero et Alfa Romeo Carabo dans l’univers des concept-cars, mais aussi les modèles de séries populaires comme l’Autobianchi A112 ou la Fiat Uno. Dans ces conditions, comment expliquer dans ces conditions mon désamour pour une BX qui appartient indubitablement à la lignée de ces modèles-là et d’autres encore qu’il serait trop long de citer ici ?
On a coutume d’entendre que "Les goûts et les couleurs ne se discutent pas". Une de ces "vérités" qui m’agacent prodigieusement, tant le contraire me paraît relever de l’évidence. Parce que s’il existe quelque chose de discutable -en dehors des opinions- ce sont précisément les goûts et les couleurs ! Surtout quand s’il s’agit d’essayer de comprendre comment ils se forment, ou de reconnaître humblement à quelles influences nous sommes soumis en la matière. Or, à bien y réfléchir, je crois pouvoir dire qu’il Signore Gandini n’est strictement pour rien dans le dédain qui fut longtemps le mien à l’égard de cette brave BX.
C’est que voyez-vous, la BX était ringarde. Pas qu’en ce qui me concerne, puisque nous étions un certain nombre de ma génération à la (dé)considérer ainsi, comme nous le faisions d’ailleurs aussi à l’égard de la marque Citroën elle-même. Parce que tel que nous l’imaginions, le conducteur d’un de ses modèles était forcément un individu d’un âge certain, au profil conservateur -voire réac- pourtant convaincu de posséder dans son auto ce qui se faisait de mieux en matière de technologie, et n’imaginant pas un seul instant considérer une autre marque au moment de renouveler. J’ignore dans quelle mesure ce charmant "persona" correspondait vraiment au profil socio-démographique de la clientèle du constructeur chevronné, mais je me souviens que chez le concurrent pour lequel j’ai un temps organisé des études clientèles, nous nous gardions de les inviter lors de tests-cliniques, considérant que l’évaluation d’un modèle futur demandait un minimum d’ouverture d’esprit…
Juste ou pas, tout ça n’avait évidemment strictement rien à voir avec le design de la BX, laquelle souffrait donc plutôt d’un problème de Brand eXperience. Pas dans le sens où on l’entend généralement à propos des clients d’une marque, mais s’agissant plutôt de ceux qui n’avaient strictement aucune intention de devenir l’un d’entre eux. En fait, c’est plutôt de "Brand Image" dont il était question, celle que nous avions construite de Citroën nous empêchant sans aucun doute de reconnaître les valeurs esthétiques de la BX. Mais en dehors du fait que l’opportunité offerte par l’acronyme était trop belle pour que je n’en profite pas, je m’interroge surtout sur la façon dont nous construisons nos jugements esthétiques, et comment ces derniers évoluent dans le temps.
J’ai compris que j’étais dans l’erreur il y a déjà des années en lisant ou écoutant l’interview d’un des membres fondateurs du "Blenheim Gang", une espèce de collectif dont on trouve encore trace sur les réseaux sociaux même s’il ne semble n’être plus actif, et qui revendiquait "une façon différente de parler des voitures". Celui-ci évoquait le fait qu’une voiture pouvait être "Blenheim" (entendez "cool") dans un contexte déterminé, prenant précisément l’exemple d’une BX au Japon par rapport à son équivalente en France. C’est sans doute ce jour-là que j’ai découvert la "coolitude" de la BX que j’avais jusqu’ici refusée, et dont je crois pouvoir dire qu’elle ne connait aujourd’hui plus de frontières, pas même dans son pays d’origine.
En d’autres mots, la BX figure au même titre que la Countach au rang des œuvres maitresses de Gandini. La preuve, c’est qu’elle ne ressemble à rien. Ou pour être plus précis, qu’il n’existe aucun modèle semblable, en dehors évidemment de la Volvo Tundra, concept-car présenté au Salon de Genève en 1979, et dont on a trop souvent dit qu’elle était issue alors qu’en pleine gestation, son style était déjà "gelé". L’affaire provoqua d’ailleurs semble-t-il un certain émoi chez les dirigeants de Citroën qui voyaient avec l’exhibition de la suédoise le dessin de leur futur modèle dévoilé avant l’heure. Au moins furent-ils rassurés par le succès d’estime que remporta cette dernière, signe annonciateur des 12 ans de carrière que connut ultérieurement la BX, durant lesquels elle fut produite à plus de 2,3 millions d’exemplaires avec à peine deux restylages légers.
Aujourd’hui, la BX fait partie de ma collection idéale -et malheureusement virtuelle- de youngtimers. Si possible en Phase II version 16 soupapes 160 chevaux, comme celle conduite par le maître en personne dans une publicité de 1989, où la Citroën apparait brièvement au côté d’une Countach. Voilà qui ressemble à une véritable réhabilitation, non pas pour le grand Marcello qui n’en n’a vraiment pas besoin, mais pour l’auteur de ces lignes qui reconnait aujourd’hui avoir été trop longtemps dans l’erreur.
Ciao Marcello. Si Dieu existe, je ne serais pas surpris que tu découvres en le rejoignant qu’il possède une Countach. Et qui sait ? Peut-être aussi une BX, pour ses déplacements quotidiens…