29/06/2023 - #Renault , #Peugeot
Bilskam
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je me mets au suédois. Et c’est trop la honte…
A peine présenté, le dernier modèle de Renault a essuyé une rafale de critiques sur ces réseaux qu’on prétend sociaux.
Pas-beau-trop-gros-on-dirait-un-Peugeot-encore-un-SUV et autres amabilités du genre dont je vous épargne les moins dicibles. De fait, les fustigeurs en ligne ne manquent jamais d’imagination quand il s’agit de balancer des noms d’oiseaux, y compris s’agissant d’un modèle arborant celui d’un avion. Rien qui ne mérite en principe notre considération tant la pratique est devenu banale dans les mondes virtuels. Pourtant, une violente charge a tout de même retenu mon attention, tant par son contenu qu’en raison de son auteur, conseiller auprès de la première magistrate de notre capitale.
Je laisse d’ailleurs la parole à celui qui s’est érigé en David (ça tombe bien) contre ce qu’il décrit comme un véritable Goliath motorisé : "une aberration climatique" explique notre homme avant de poursuivre : "4,71 mètres de long, 1,86 mètre de large, 300 chevaux en transmission intégrale, voici le nouveau haut de gamme de chez Renault, un SUV façon char d'assault (sic)".
J’imagine que notre homme voulait signifier "char d’assaut", mais qu’il s’est un peu pris les pieds dans le tapis avec un certain avionneur, qui bien que disposant lui aussi d’un Rafale au catalogue ne produit ni blindé léger, ni voiture particulière. Mais je ne suis pas là pour jouer les correcteurs orthographiques, puisque l’essentiel est ailleurs.
Qu’un écologiste -élu ou pas- donne dans la grossophobie mécanique ne constitue certes pas un phénomène nouveau. Mais il paraît tout de même surprenant qu’un véhicule de 471 cm provoque un tel émoi, alors que la Laguna III qui affichait la même longueur à 1,5 centimètre près n’a sauf erreur de ma part jamais suscité l’indignation des gardiens de la planète. Quant aux 300 chevaux vapeurs qui le font monter sur les grands siens, une lecture un peu attentive de la publicité qu’il a lui-même republiée lui aurait permis de vérifier qu’ils sont réservés à la version haute, et que celle qui assurera sans doute l’essentiel des volumes en affiche à peine 200 tous distribués au train avant. Sans compter que sur l’ensemble de la gamme, le moteur thermique se contente d’en délivrer 130, le reste étant aimablement fourni par son complément électrique, puisque le Rafale est hybride.
Pas sûr pour autant que ça le fasse changer d’avis, et quelque chose me dit que quelle que soit l’écurie qui les fournit, 200 équidés lui paraitront encore excessifs. Dans ces conditions, je propose à David d’éclairer notre lanterne (à défaut de la prendre pour un V6), et de nous indiquer quelles sont selon lui les limites acceptables pour un véhicule qu’on n’osera pas qualifier de tourisme, tant pour la longueur hors tout que s’agissant de la puissance moteur. Même si j’imagine volontiers que tout ça finira forcément par une de ces formules complexes dont nos administrations ont le secret, considérant qu’une famille avec enfant(s) dispose logiquement d’un droit d’encombrement supérieur à celui d’un jeune couple n’ayant pas encore garni les places arrière.
Ou pas. Même en imaginant que David me lise- ce qui avouons-le, constitue une hypothèse farfelue- je me doute bien que celui-ci ne manifestera pas l’intention de me répondre. Parce que dans le fond, ce qui l’intéresse véritablement, c’est de provoquer le "Bilskam".
Je ne suis pas peu fier de moi. Parce que pour mes débuts en langue viking, je commence par un néologisme par traducteur interposé, dont Google m’a ensuite permis de vérifier qu’il existait véritablement. D’ailleurs, les plus perspicaces d’entre vous comme les très nombreux suédophones qui me lisent auront reconnu dans le "Bilskam" l’équivalent automobile du "Flygskam", cette honte de voler (dans les airs) mise à la mode par une certaine écolière militante bien connue, quand elle a juré par tous les Dieux du Valhalla qu’elle ne mettrait plus jamais ses sabots dans un aéronef.
"Flygskam", ça fait tellement 2018 me diront certains. Il n’empêche que le thème est toujours d’actualité, même si Jean-Marc se montre plus mansuet que Greta, en accordant à tous les représentants de l’espèce humaine 4 vols (en avion) pour toute une vie. Et c’est forcément le chemin à suivre, puisqu’il est ingénieur et qu’il a calculé ça sur Excel. Même si Janco 1er nous révèle avec cette trouvaille toute l’étendue de son ambition, puisque c’est ni plus ni moins qu’une gouvernance mondiale qu’il se propose de mettre en place.
Et David semble lui emboiter le pas sur le plancher des vaches, avec cette salve finale tirée sur le Rafale (la voiture) : "Et on nous dit qu'il faut faire confiance au marché pour trouver des réponses au changement climatique ? Qui peut encore y croire ? oui, qui peut encore croire que sans action forte sur l'offre, nous pourrons bifurquer vers un autre modèle économique plus sobre ?". Ou comment redécouvrir les charmes de l’économie planifiée, même si à l’époque où en trouvait encore quelques-unes sur la planète, je n’ai pas souvenir qu’elles aient produit une voiture particulièrement amicale à l’égard de l’environnement.
Quoiqu’il en soit, et dans l’attente du grand soir écolo planétaire, il s’agit donc de mettre trop la honte. A Renault, évidemment, qui commet le terrible crime de commercialiser un modèle susceptible d’augmenter ses marges en visant un segment haut de gamme. Pensez-donc, une entreprise industrielle qui prétend gagner de l’argent ! Mais bien sûr, le "Bilksam" vise également à instiller par répétition un sentiment de culpabilité chez les utilisateurs de l’automobile, selon le même modus operandi que pour les passagers d’aéronefs. Et s’agissant des futurs propriétaires de Rafale, nul doute que certains verront les deux catégories réunies dans la même personne…
Plaisanteries mises à part, moi je trouve que c’est trop, la honte. Et que pas plus David, Greta que Jean-Marc ne sont fondés à nous dicter nos choix, ce qui ne signifie évidemment pas qu’il ne faille pas améliorer les performances de nos voitures s’agissant d’émissions polluantes. Mais contrairement à la défiance que nombre de ceux qui moralisent démontrent à l’égard du progrès technologique, je fais confiance aux ingénieurs pour continuer à avancer dans la bonne direction, du moins ceux qui ont obtenu des résultats autrement plus significatifs que certaines élucubrations sans lendemains.
Sur ce, je vous laisse. J’ai une voiture et un avion à prendre (mais pas pour la Suède).