10/10/2019 - #Renault , #Alpine , #Mg , #Nissan , #Ford
Berlinette do Brasil
Par Jean-Philippe Thery
La chronique de Jean-Philippe Thery, consultant, fort d’une expérience automobile aussi bien dans le domaine du produit que de l’Intelligence de marché, avec des expériences chez Renault, Nissan et PSA. Installé depuis 2008 au Brésil, Jean-Philippe Thery est spécialiste des marchés automobiles en Amérique Latine.
Quinze ans. C’est le temps qu’il aura fallu pour produire les 7 176 exemplaires de l’Alpine A110 originelle, entre 1962 et 1977. Un chiffre qui nous a été rappelé très récemment par les communicants de la marque, après que la nouvelle itération de la célèbre berlinette ait atteint le même niveau de production, en à peine 22 mois. Un évènement fêté dignement dans la cour de l’usine dieppoise qui a donc déjà vu naître 14 352 unités des deux générations, et dont les collaborateurs avaient lâché momentanément la clé de 13 ou la souris pour former le « A » stylisé de la marque. Mais cette commémoration constitue également une excellente opportunité de vous parler des lointaines cousines brésiliennes de notre belle sportive nationale.
J’ai découvert l’Interlagos… à Interlagos. Lors de ma deuxième visite au Brésil, alors que j’assistai sur la célèbre piste à une épreuve rassemblant des voitures anciennes je découvris sur la grille de départ une auto ressemblant furieusement à une Alpine A108, dont le museau arborait cependant 10 lettres chromées et espacées au lieu des 6 habituelles : « I N T E R L A G O S ». Un bref dialogue en anglais avec le propriétaire et pilote, déjà casqué en raison de l’imminence du départ, me laissa entendre que j’avais bien identifié le modèle, et que celui-ci avait été produit localement.
Par sa dimension mythique, l’A110 a tendance à faire oublier combien elle doit à sa devancière. En commençant par on élégante silhouette et le dessin de la face avant, inaugurant le concept et l’appellation de "Berlinette" que l’A108 fut la première à adopter. Mais aussi ses dessous intimes, l’architecture châssis-poutre caractéristique de l’A110 étant introduite dès 1960 sur les versions cabriolet et coupé 2+2 de sa devancière. Construite de 1958 à 1965, l’A108 était disponible en trois carrosseries (en ajoutant un coupé en plus des berlinette et cabriolet déjà mentionnés), propulsées par autant de versions du moteur de la Dauphine. Affichant 845, 904 et 998cm³, celles-ci délivraient respectivement 37, 53, 70 chevaux en colère, bien aidés il est vrai par un poids d’à peine 520kg.
Comme vu précédemment, chaque exemplaire de l’A110 a été dûment répertorié. La situation parait bien différente pour l’A108, du moins pour les unités produites en Europe. Même Google y perd son latin, puisque plusieurs données sont disponibles pour la France, mais aucune pour l’Espagne qui a pourtant contribué à l’histoire du modèle par l’intermédiaire de la FASA, filiale de ce qui était alors encore "la Régie". En revanche, on sait avec certitude que 822 Alpine virent le jour au Brésil, fabriquées entre 1962 et 1967 "sob licença", comme indiqué sur une plaque située dans le compartiment moteur de chaque unité produite. Vous pouvez donc ignorer le chiffre de 1 500 exemplaires cité par certaines source pourtant supposées fiables, conséquence d’une certaine lettre rédigée par la direction de Willys à la demande d’Alpine, et destinée à la Fédération Internationale de l’automobile afin d’homologuer le modèle en compétition. N’en dites rien à Jean Todt, même s’il y a probablement prescription. Quoiqu’il en soit, le Brésil est de façon certaine le premier pays producteur d’Alpine A108 !
Dès l’après-guerre, Renault a en effet cherché à élargir ses horizons en exportant ou produisant ses modèles loin de l’Hexagone. A la fin des années 50, ça tombait bien pour Willys do Brasil, qui avait besoin de compléter sa gamme de grosses berlines américaines par un modèle compact plus adapté aux besoins et au portefeuille de la clientèle locale. La Dauphine, importée dans un premier temps, fut ensuite fabriquée dans l’usine de la marque à São Bernardo dans la banlieue de São Paulo, et vendue sous le nom de "Gordini". Mue par le brave moteur Ventoux, promettant comme le disait la pub de l’époque, "quarante chevaux d’émotion", elle narguait donc la pauvre Fusca (appellation locale de la Coccinelle), qui ne disposait que de 36 laborieux canassons. Willys devait par la suite vendre son usine brésilienne à Ford, qui en profitait pour récupérer le projet d’une autre Renault bien connue dont je ne vous dirai rien aujourd’hui, et dont je conterai l’histoire à l’occasion d’une prochaine chronique…
Rendons-nous donc plutôt à Curitiba, dans le sud du pays, où à peine établi vers la fin du siècle dernier, je me mettais à la recherche d’une Interlagos. Longue et difficile, la quête du graal motorisé me permit cependant de localiser non pas une, mais deux autos en même temps. Dans le garage d’un quartier du nord de São Paulo où je me rendis aussitôt que je fus averti de leur existence, je découvrais côte à côte une Berlineta 1964, et un cabriolet de 1966. Ayant jeté mon dévolu sur la première, resplendissante dans sa robe "rouge goyave" métallisée et parce qu’il s’agissait d’un des cent premiers exemplaires produits, je me mettais néanmoins en tête d’assurer l’avenir de la découvrable rouge vif lui tenait compagnie.
A l’occasion d’un déjeuner survenu quelque temps plus tard lors d’un séminaire interne organisé par Renault do Brasil, j’abordai sur le sujet Luc-Alexandre Ménard, alors Président de l’entreprise, arguant qu’il serait dommage de laisser tomber entre des mains hasardeuses un objet aussi rare, témoin de l’histoire locale de la marque. L’argument porta, puisque je me retrouvai responsable de son acquisition, avec pour instruction de négocier le prix demandé à la baisse. Connaissant l’âme commerçante du patron, je lui avais prudemment indiqué un prix précisément réévalué du montant sollicité. Que Monsieur Ménard -qui nous a hélas quittés depuis- me pardonne : c’était pour la bonne cause.
Le "conversível" se trouve toujours entre les mains de Renault au Brésil, et participe régulièrement à des manifestations promues par la marque. Quant à la berlinette, elle a également fini par intégrer la collection de l’entreprise, mais de l’autre côté de l’Atlantique, au sein du département "Renault Classic". Je l’ai en effet littéralement ramenée dans mes bagages, puisqu’elle a effectué la traversé dans le même container qui contenait mes effets personnels, au-dessus des cartons qu’elle a eu le bon goût de ne pas écraser. Peu après son arrivée, elle eut droit aux honneurs de "Global", la revue interne du constructeur. Comme elle se trouvait alors encore dans les entrepôts de l’entreprise ayant assuré mon déménagement, nous simulâmes une sortie de container, photographiée par Xavier de Nombel, dont les clichés sont bien connus des amateurs de belles automobiles.
Sans le savoir, je suis récemment repassé devant "mon" auto. Et peut-être l’avez-vous vous aussi aperçue, puisqu’elle était exposée dans l’allée des anciennes au dernier Paris Motor Show. Il faut dire qu’elle a depuis été superbement restaurée, arborant désormais la livrée de l’équipe de compétition de Willys, qui fit notamment débuter les frères Fittipaldi. Il me fallut donc attendre le Salon Epoq’Auto à Lyon quelques mois plus tard pour apprendre que sous la peinture jaune à bande verte -les couleurs du Brésil- se cachait en fait la voiture que j’ai débusquée il y a maintenant une vingtaine d’années dans son pays d’origine. Elle est évidemment magnifique et ne pouvait tomber en de meilleures mains, même si je dois avouer que je regrette quelque peu que n’ait pas été conservée sa belle couleur d’origine.
Je ne vous ai pas parlé de sensations de conduite, et pour cause. Elles se limitèrent à une brève prise en main, alors que la belle avait sérieusement besoin qu’on s’occupe d’elle. Ça vibrait, ça sentait l’essence et c’était plutôt bruyant. Et je suis bien sûr curieux de savoir comment elle se comporte aujourd’hui. Ce qui me fait d’ailleurs penser que je n’ai pas non plus conduit la nouvelle A110, dont je lis les commentaires dithyrambiques dans la presse.
Et si les responsables d’Alpine me lisent, qu’ils n’aient aucun doute sur le fait qu’il s’agit bel et bien d’un appel du pied…
Jean-Philippe Thery
PS : J’espère vous avoir donné envie de voir "ma" Berlineta. La voici, dans sa livrée actuelle.