26/08/2021 - #Volkswagen Vp , #Bmw , #Dodge , #Ferrari , #Jaguar , #Jeep , #Lamborghini , #Mg , #Nissan , #Porsche , #Fiat , #Ford , #Chevrolet
Aimer l’automobile à Rio
Par Jean-Philippe Thery
Cet été, nous vous proposons quatre chroniques sur deux thèmes partagés, rédigées à leur façon pas nos correspondants localisés à Détroit et à Rio de Janeiro. Aujourd’hui, nous arrivons au terme de la série avec Jean-Philippe Thery qui nous explique ce que signifie aimer l’automobile à Rio, donnant ainsi la réplique à Bertrand Rakoto qui s’est livré la semaine dernière au même exercice à Détroit.
Mon ami Jason possède une 2CV.
Une auto qu’il se refuse à laisser prendre la poussière de son garage, avec laquelle il roule régulièrement, comme lorsqu’il emmène Céleste à l’école à son bord. Et Céleste adore la drôle de voiture de son papa, dont la couleur porte justement le même nom qu’elle. Vous le croirez si vous voulez, mais c’est complètement fortuit.
Que Jason ne réserve pas l’usage de sa "deuche" aux expositions et sorties en club de voitures obsolètes mériterait déjà une mention dans le pays d’origine du modèle, où on ne la considère plus comme la bête de somme qu’elle était encore lorsque j’avais l’âge de Céleste. Le fait est donc d’autant plus remarquable que Jason habite à Rio de Janeiro. Et si je vous en parle, c’est parce qu’à bien des égards, notre homme et sa 2CV en disent long sur ce que signifie aimer l’automobile dans la "ville merveilleuse", ou tout simplement au Brésil.
A commencer par le fait qu’au pays de la Bossa Nova, aimer l’automobile c’est avant tout s’intéresser aux nationales. Non, je ne fais pas ici allusion à l’équivalent de notre réseau routier primaire, mais plutôt à la production locale, autrement dit l’exact contraire de la "deux pattes" de mon ami carioca venue de la voisine Argentine, à quelques 2.000 km de distance de Rio. Ou plutôt trois pattes, puisque le modèle qui y fut produit à partir de 1958 hérita de l’appellation 3CV en même temps que du fringant 602 cm³ de 32 chevaux, nomenclature qu’elle aurait d’ailleurs dû adopter en France si elle avait suivi l’onéreuse logique de notre taxation fiscale nationale, mais où on considéra que deux équidés suffisaient largement pour un nom.
Si les échanges d’automobiles entre les deux pays ont depuis été facilités par un accord bilatéral, le Brésil ne s’est pour autant pas départi d’un fort penchant pour le protectionnisme, taxant lourdement les marchandises qui traversent ses frontières. Le résultat, c’est qu’on y a régulièrement le choix entre des produits nationaux moins chers (ce qui ne signifie pas forcément bon marché), mais parfois dépassés et de qualité inégale, et leur équivalent importé affichant un tarif prohibitif, dont l’entretien peut coûter un membre ou deux à son propriétaire, en admettant que les pièces de rechange soient disponibles. Même si cette vision des choses est plutôt dépassée s’agissant d’une industrie automobile qui s’est largement renouvelée depuis l’arrivée en masse de nouveaux constructeurs dans les années 90, ne résulte pas moins de cette situation une offre peu diversifiée s’agissant des 85% des voitures achetées neuves sortant des usines locales.
Mais figurez-vous que le protectionnisme peut avoir du bon, principalement pour les amateurs d’automobiles désuètes qui trouveront à se faire plaisir avec une auto construite par l’un des multiples constructeurs artisanaux nés de la pénurie. Pendant une trentaine d’années, ces derniers ont en effet compensé l’absence de modèles de niche - principalement sportifs - dans les gammes des trois ou quatre constructeurs nationaux qui monopolisaient le marché, faisant preuve de l’ingéniosité indispensable à qui doit composer avec les moyens du bord.
Aimer l’automobile à Rio, c’est par exemple se pavaner à bord d’un coupé ou cabriolet Puma. Non content de peupler une grande variété de régions brésiliennes, le petit félin orne en effet le capot des automobiles de la marque qui obtint le plus grand succès sur le segment, avec pas moins de 20.000 autos sorties de ses chaines entre 1964 et 1993, dont une partie non négligeable trouva preneur aux quatre coins du globe. Son modèle-phare, la GT/GTE et son dérivé découvrable GTS arbore une élégante carrosserie de fibre, qu’on dit inspirée de la Lamborghini Miura, mais dont je trouve qu’elle évoque surtout la contemporaine Dino 206/246 GT. Son histoire est d’ailleurs pour le moins originale, puisque née traction avec une mécanique DKW trois cylindre deux temps située à l’avant, elle changea radicalement d’architecture pour adopter le tout à l’arrière de la Brasilia, elle-même issue de la Cox, dont elle adopta les dessous.
De façon pour le moins curieuse pour une réplique de MG TD, la MP Lafer emprunte la même mécanique que la Puma. Mais le résultat plutôt réussi séduit 4.300 acheteurs à partir de 1974, dont un bon millier hors du Brésil. Beaucoup plus rares sont les très élégantes Bianco S1600 aux air de Sport prototype, la cunéiforme Farus ML929 dont le compartiment moteur mangea à tous les râteliers de Fiat à Chevrolet en passant par Volkswagen, ou les bourgeoises Santa Matilde avec leur gros 6 cylindres en ligne d’origine Chevrolet.
Je vous laisse encore googler les Adamo CRX ou Miura Saga sans aucun rapport avec la célèbre Lambo homonyme, pour m’arrêter un instant sur l’extraordinaire et rarissime Hofstetter, dont j’ai eu le privilège de voir un exemplaire de près. Œuvre d’un certain Mario Richard d’origine suisse, celle-ci fait l’effet d’un véritable OVNI dans le monde des productions artisanale, avec sa carrosserie au style futuriste à la eighties, ses phares rétractables et ses portières de type ailes papillon. Sans compter qu’avec ses motorisations suralimentées de 1.8 puis 2.0, elle disposait en 1986 d’un ramage en rapport avec le plumage.
Aimer l’automobile à Rio, c’est aussi rouler en Chamonix 550 Spyder. Enfin du moins en ce qui me concerne, puisque pendant une dizaine d’années, la belle réplique de Porsche 550 Spyder - celle dans laquelle James Dean s’accidenta le 30 septembre 1955 - m’a permis de goûter au joies du cruising en plein air sur les avenues du bord de mer. J’en garde le souvenir de cuisants coups de soleil, quand la couleur de mon cuir rivalisait avec celui des sièges, d’un beau rouge vif. Mais surtout celui d’un plaisir brut, profondément mécanique et non filtré, à bord d’un engin pesant à peine 700 kg pour 125 chevaux, et dépourvu de la moindre aide à la conduite. Aujourd’hui, le beau Spyder fait les joies de mon ami Olivier, et moi j’ai les… enfin je veux dire la saudade.
Et puisqu’on a évoqué à plusieurs reprises sa mécanique, aimer l’automobile à Rio, c’est aimer ou détester la Fusca. J’avoue avoir pris un certain temps pour comprendre la signification de cet étrange appellation, jusqu’à ce que je découvre enfin le tortueux chemin phonétique ayant mené de "Faové" ainsi que les allemands prononcent VW, à "Fuchca" comme disent les carioca à l’accent chuintant. Bref, la Cox puisque que c’est bien d’elle dont il s’agit rappelle encore aux brésiliens les moins jeunes (genre mon âge) l’époque où elle représentait peu ou prou la moitié du parc automobile brésilien, symbolisant le choix restreint qui était le leur en matière automobile. Mais si certains lui en veulent, d’autres vouent un véritable culte à l’équivalent de notre Deudeuche national. Si vous venez à Rio et que vous souhaitiez emprunter la seule Cox Taxi encore en service - elle dispose d’une autorisation spéciale - faites-moi signe afin que je vous communique les coordonnées de Marcos, son propriétaire et chauffeur. En attendant, je vous invite à regarder la courte vidéo (30 secondes) que j’ai réalisée à son sujet.
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Aimer l’automobile à Rio, c’est aussi apprécier les petites cylindrées. Enfin, tout est relatif, puisque 1.000 cm³, c’est tout de même 66% de plus que la 2CV de Jason. 1.000 cm³, c’est aussi la cylindrée maxi de la catégorie des voitures dites "populaires", née en 1993 à l’initiative d’Itamar Franço, alors Président de la république brésilienne. Il s’agissait alors de rendre l’automobile plus accessible et d’aider l’industrie automobile alors en difficulté en créant une catégorie affectée d’un IPI (Impôt sur les Produits Industriels) symbolique de 0,1%. Un amour forcé donc, et un mariage de raison pour les millions de brésiliens qui acquirent une "popular" dont les ventes représentèrent jusqu’à 70% du marché des voitures neuves. D’une certaine façon, les Brésiliens ont donc été des pionniers du downsizing avant l’heure, et il est pour le moins ironique de constater que les motorisation 1.0 Turbo équipent désormais des versions haut de gamme de modèles du segment B. C’est par exemple le cas sur la VW Polo mue par un 3 cylindres 1.0 Turbo de 127 ch (alimenté à l’alcool) et accouplé à une boite automatique 6 rapports, qui regarde avec commisération le pauvre 1.6 atmosphérique des versions inférieures lui rendant 10 chevaux. Quant à la Chevrolet Onix mue par le même type de moteur que j’ai louée le weekend dernier, ses 116 ch (toujours à l’alcool) ont rendu tout triste le propriétaire de Jeep Renegade 1.8 qui a eu la mauvaise idée de me "coller" sur l’autoroute, et dont je me suis promptement débarrassé en réaccélérant .
Aimer l’automobile à Rio, c’est encore apprécier pêle-mêle :
L’adorable "Romisetta", première voiture construite au Brésil entre 1956 et 1961, à l’initiative d’un certain Monsieur Romi.
La Volkswagen SP2, superbe sportive au capot long comme celui d’une Jaguar Type E, mais n’abritant aucune motorisation. Si les initiales composant son nom font allusion à Sao-Paulo où elle fut produite à un peu plus de 11.000 exemplaires, elles sont aussi détournées pour moquer son manque d’allant mécanique quand on la qualifie de "Sem potência" (sans puissance). Un sarcasme compréhensible à contempler les 65 chevaux maxi de sa motorisation dérivée de … allez, devinez.
La VW Karmann-Ghia, encore plus poussive que la SP2 qui la remplaça, mais si mignonne. Les amateurs de performance et de rareté choisiront la version TC, moins élégante, mais plus puissante et destinée uniquement au Brésil.
La Ford Maverick, curieuse tentative de produire une "muscle car" au Brésil. Un ratage commercial qui fait néanmoins la joie des collectionneurs d’aujourd’hui, et dont je préfère la version 4 portes, généralement mal aimée, mais de mon point de vue plus équilibrée. Ford ne fut d’ailleurs pas la seule à se lancer dans l’exercice, puisque Dodge industrialisa en Terras Brasilis la Dart 69 sous l’appellation de Charger, la faisant bénéficier jusqu’en 1980 d’évolutions propres au pays. Ne le dites pas à Bertrand Rakoto, qui serait bien capable de venir s’approvisionner ici, surtout s’il entend parler de la rare version LS 75, fabriquée à seulement 55 exemplaires.
La Fiat Tempra Turbo 2 porte, la Ford Escort XR3 "Conversivel" ou encore la VW Passat LS. Autant de modèles qui témoignent de l’émergence d’une scène "Youngtimers", même si je n’ai jamais entendu le terme par ici.
Enfin, aimer l’auto à Rio, c’est traquer les raretés, plutôt ailleurs que sur les routes, où elles circulent malheureusement trop peu souvent. De rares expositions permettent de découvrir des merveilles insoupçonnées, comme cette sublime Mercedes 300 SL d’un vert très particulier mais d’origine, ou cette Cord 812 découvrable jaune pâles aperçues il y a 3 ans. Pour les modernes, c’est à Barra de Tijuca qu’on se rendra, espèce de Miami Carioca où quelques importateurs privés exposent devant leur boutique des Ferrari, Lamborghini ou Porsche affichées à deux ou trois fois le prix qu’elles vous coûtent en France. Et puis, il y a surtout Internet, avec par exemple une page Facebook Intitulée "voitures rares et exotiques au Brésil", dont les auteurs sont particulièrement bien renseignés. Vous saviez qu’il y a 5 exemplaires de la Nissan Skyline R32 au Brésil, 10 BMW Z8, et une seul Aston-Martin Vantage V600, localisée à Rio ? Eux, si. Et sans doute sauraient-ils me renseigner sur le nombre de 2 CV au Brésil
Bref, aimer l’auto à Rio, c’est tout un tas de truc qui vont bientôt me manquer.