08/06/2023
Vent debout
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je peste debout à l’encontre de quelques-uns qui protestent assis…
“Ça fait douze minutes que je vous attends“
Visiblement, l’agente administrative du Bürgeramt du quartier de Steglitz n’est pas du tout contente. Il faut dire que nous sommes en retard, même si ça aurait pu être pire si je n’avais garé l’auto dans le parking mitoyen, à côté de la sortie la plus proche du "bureau d’enregistrement des citoyens", l’honnêteté m’obligeant tout de même à avouer que ce fut complètement par hasard (ne le dites pas à ma femme, elle me prend pour un GPS). Il n’empêche que j’ai bien cru repartir sans effectuer l’anmeldung de ma chère et tendre, démarche administrative obligatoire en Allemagne quand on emménage, et pour laquelle il faut s’y prendre très à l’avance pour obtenir un rendez-vous. Mais c’est avec le sourire que notre interlocutrice a finalement délivré le précieux document à Madame, à qui j’ai donc pu annoncer solennellement en Goethe dans le texte : "du bist eine berlinerin". Et loin de moi donc l’idée de fustiger notre fonctionnaire pour son exigence de ponctualité, d’autant plus que je sais très bien à qui m’en prendre.
Pourtant, j’avais prévu une bonne marge. Mais celle-ci a subi son premier grignotage dès le départ, quand j’ai eu la mauvaise idée de faire le tour plutôt qu’un demi-tour, voulant pointer l’étoile du capot de la Benz vers le sud. Impossible pourtant d’en vouloir au malheureux désarçonné de sa trottinette électrique par un véhicule plus lourd que le sien, et pour lequel l’ambulance stationné au milieu de la route ne semblait rien augurer de bon. J’espère néanmoins que les conséquences de la collision seront restées bégnines, et que celui-ci s’est depuis remis sur pied.
Encore dans les temps après ce premier incident, je me croyais enfin libéré des affres d’une circulation habituellement plutôt fluide dans la capitale allemande, quand le premier véritable embouteillage m’a pris par surprise sur la Grünerstrasse. Un nom a posteriori ironique puisque traduisible par "rue verte", mais qu’on doit en fait à un certain Justus, politicien et ancien chef de la police de Berlin, ce qui ne manquera pas non plus de faire sourire, dès la prochaine phrase. De fait, en maugréant contre les travaux paralysant le carrefour situé à hauteur du très beau Rotes Rathaus (un bâtiment de la mairie en briques rouges) j’étais complètement à côté de la plaque d’égout. Exactement comme ceux qui, assis par terre au milieu de l’intersection, empêchaient sciemment le flot de véhicules de s’écouler normalement. Une scène répétée quelques kilomètres plus loin après une longue période au ralenti, générant une nouvelle attente qui achevait de mettre à mal ce qui me restait de minutes additionnelles. Sur le reste du parcours, j’allais passer plus de temps le regard fixé sur l’écran GPS de mon portable ventousé au pare-brise, qu’au-delà de ce dernier.
"Deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche" entend-on dire François Gensac au Docteur Samuel Goldman (respectivement interprétés par Maurice Biraud et Charles Aznavour) dans Un taxi pour Tobrouk (réalisé par Denys de la Patellière en 1961), alors que le brigadier Théo Dumas -alias Lino Ventura- s’éloigne de leur véhicule en feu au milieu du désert libyen. Une réplique souvent répétée et déformée quand la brute est remplacée par un c*n, et prise en défaut quand ce dernier est coincé dans une voiture empêchée d’avancer par des "intello" appartenant à la succursale locale du mouvement intitulé "Dernière Génération".
Une méthode dont il faut bien reconnaître la redoutable efficacité, du moins s’agissant de paralyser le trafic, puisque peu consommatrice en militants, quatre ou cinq d’entre eux -parfois moins- suffisant à bloquer une trois voies. Ces derniers sont d’ailleurs en principe moins nombreux que l’aréopage qu’ils déplacent entre journalistes, fonctionnaires de police ou pompiers. Sans compter le nombre conséquent de témoins involontaires de leurs sittings en tailleur et gilet de sécurité, qui fulminent dans leur véhicule pendant que les échappements fument.
D’autant plus que, l’immobilisme actif n’excluant pas le progrès continu, nos militants au ras du sol perfectionnent régulièrement leur technique dans l’objectif d’en améliorer le pouvoir obstruant. C’est ainsi qu’après s’être un temps collé une main au sol avec un mélange de sable et de cyanoacrylate, il se la gluent désormais aux pneumatiques de voitures louées pour l’occasion, démontrant ainsi -littéralement- un attachement à des automobiles de passage qu’on était loin de soupçonner au vu de leur mépris pour l’objet automobile. Mais il faut croire que la gomme est moins rugueuse pour l’épiderme de la paume que l’asphalte, même si cette méthode nouvelle oblige à des contorsions demandant certaine souplesse si ce n’est d’esprit, du moins corporelle.
Alors me direz-vous, pourquoi s’infliger tant de souffrances ? Pour le climat bien sûr ! Même si celui qui règne entre les représentants de la gente assise et la tribu des jantes à l’arrêt n’est pas franchement des plus cordiaux à l’issue de ces petites sauteries immobiles. Dans la liste de leurs revendications, je n’ai guère pu recenser de compréhensible que l’instauration d’une limitation de vitesse à 100 km/h sur autoroute et le ticket de bus et train pour tous à 9 Euros. Autant la première semblera cohérente avec la fin des énergies fossiles qu’ils appellent de leurs vœux, autant la deuxième consiste bizarrement à subventionner les "riches", puisque les détenteurs de revenus modestes et d’une "S-Karte" (S pour "sozial") bénéficient déjà de ce tarif-là. Sans compter que toutes les expériences de gratuité ou de tarif très réduit en matière de transports en commun ne se sont jamais traduites par un report modal significatif de l’automobile vers les bus, métros et consorts.
Et puisqu’il est question de cohérence, l’homme ordinaire questionnera surtout le bien-fondé de l’épandage sur des sols -même imperméabilisés- de substances adhésives toxiques favorisant la formation d’ozone de basse altitude. Et sans doute ne manquera-t-il également pas de s’interroger sur la relevance d’actions provoquant une augmentation immédiate d’émissions gazeuses polluantes et réchauffantes, comme sur l’usage de véhicules recourant à la combustion interne d’hydrocarbures. C’est que le citoyen lambda -qui ne voit sans doute pas plus loin de la sonde du même nom- ignore sans doute qu’il existe pour les porteurs de message un régime d’exception.
Il n’est d’ailleurs rien qui ne puisse être justifié au nom d’un bien supérieur, ou d’une cause suprême. Tenez, prenez les ambulances par exemple. Lorsque l’une d’entre elles s’est récemment trouvé coincée par les "mains collées" berlinoises, le porte-parole du mouvement s’est contenté d’indiquer que celle-ci se trouvait précisément là pour accompagner la manifestation, malgré le démenti des services concernés confirmant qu’elle était bien attendue sur les lieux d’un accident, ajoutant même que ce jour-là une quinzaine de véhicules d’urgence avaient été gênés dans leur action par les embouteillages revendicatifs. Quelques jours plus tard, un homme âgé est même décédé en Autriche d’un arrêt cardiaque en attendant d’être transporté à l’hôpital, alors que la voiture venue le chercher était immobilisée par la manifestation d’un groupuscule similaire. Même si rien n’indique qu’il aurait survécu si l’ambulance était arrivée avant, rien ne démontre non plus le contraire. Mais après tout, que représentent quelques voitures médicalisées face au devenir de la planète ?
Pourtant, il semble qu’il y a tout de même dans l’attitude de ceux qui s’assoient pour empêcher la masse des citoyens motorisés de tourner en rond plus que la manifestation d’un sentiment de supériorité à leur égard, et que le danger ne réside pas uniquement dans les conséquences immédiates de ces manifestations, mais surtout dans la « doctrine » supposée les justifier. On a vu ça a plusieurs reprises, dans nos livres d’histoire, et ça n’a jamais bien fini. Une minorité d’individus éclairés -illuminés diront certains- qui ne considèrent pas d’autre méthode que d’imposer leurs vues aux ignorants, pour leur bien évidemment. La méthode, insidieuse, instille chez certain un sentiment diffus de culpabilité, finissant par les convaincre que pour une bonne cause, certains écarts sont après tout justifiables.
J’y vois pour ma part une forme de pensée aux relents nostalgiques d’une époque où nul n’était besoin d’instrumentaliser l’environnement pour justifier certaines formes d’absolutisme, et promouvant une logique de la punition. Celle que ceux qui se bousillent crânement les mains s’imposent à eux-mêmes comme à des automobilistes n’ayant d’autre tort que d’être passé au mauvais endroit au mauvais moment. Mais surtout les châtiments qu’ils souhaitent nous imposer au quotidien au nom du dérèglement climatique, sans doute persuadé que c’est par l’expiation de nos péchés environnementaux que nous y mettrons fin, dans le rejet total d’un progrès technique considéré comme suspect. Et peu leur importe que les ingénieurs -de l’automobile mais pas que- aient obtenu en matière de dépollution des résultats autrement plus probants que les leurs.
C’est la raison pour laquelle, faisant appel à une énergie renouvelable, je me dresse vent debout face à ces inactivistes pot-de-colle qui n’ont jamais rien apporté de bon au climat.
Et pas juste pour arriver à l’heure au Bürgeramt…