12/03/2020 - #Toyota
Toyota Virus ?
Par Jean-Philippe Thery
Quel rapport entre le virus Corona et la Toyota du même nom ? Sans doute le même qu’avec l’ensemble de l’industrie automobile. Quoiqu’il en soit, celui-ci nous rappelle qu’à certains égards, nous vivons tout de même une drôle d’époque.
Quelque chose me dit qu’on ne reverra pas de Toyota Corona de sitôt. L’appellation est d’ailleurs éteinte depuis 2002, après plus de 40 ans et 10 générations de bons et loyaux services d’un modèle disponible en d’innombrables versions, dont je vous épargnerai la fastidieuse nomenclature. De toutes façons, Toyota n’est certainement pas en manque de vocables puisque selon une habitude propre aux constructeurs nippons, la Corona ("Couronne" en latin) a fait appel dans les nombreux pays où elle s’est disséminée (sic) à plus d’identités tout au long de son cycle de vie qu’un agent du Naichō (Services de renseignements japonais) sur l’ensemble de sa carrière.
La liste comprend notamment les désignations Coronaline, Tiara, Mark II, Celina, Carina, Carina II, Carina E, Caldina, Curren, vendues sous les marques Toyota et Toyopet, justifiant sans doute un département complet dédié au renouvellement du dépôt de noms au sein de la direction juridique du constructeur d’Aichi.
Mais je ne vous tiens pas en -mauvaise- haleine pour vous parler seulement de la malheureuse coïncidence entre l’appellation commune du Covid-19 et le petit nom d’une automobile, même si je profite de leur homonymie dans un titre que j’avoue honteusement racoleur.
Il semble néanmoins que je ne puisse éviter le sujet d’avantage, sous peine de faire honte à la qualité de chroniqueur à laquelle je prétends, catégorie dont un "collègue" affabulateur du XVIIe siècle dirait que sur le sujet "ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés". Que mes amis de chez Toyota me pardonnent donc, puisqu’il me faut comme tous mes confrères tomber le masque N95 et donner mon avis sur le virus du moment. Or il se trouve que leur entreprise par sa dimension globale, illustre bien ce que j’ai à dire à ce propos.
En premier lieu, je dois avouer que je suis particulièrement heureux d’être un citoyen du XXIe siècle, époque paradoxalement bénie puisqu’une épidémie n’y est plus considérée comme un châtiment divin, mais comme un défi posé aux scientifiques combattant les micro-organismes malins. Notez à ce sujet que si la 2nde pandémie du virus H1N1 a fait officiellement 17 171 victimes entre juin 2009 et août 2010, la première survenue en 1918 a plus ou moins tué autant qu’une seconde guerre mondiale qui n’était alors même pas envisagée, soit 50 à 70 millions de personnes.
Loin de vouloir pourtant diminuer l’importance de la contagion en cours pour laquelle "seulement" 3 400 décès ont été recensés à ce jour, je dirais volontiers à tous les épidémiologistes auto-proclamés des réseaux sociaux critiquant les mesures mises en place, qu’ils n’auront jamais accès au nombre de morts et personnes infectées auquel nous serions aujourd’hui confrontés si celles-ci n’avaient pas été décidées. L’inquiétude est d’ailleurs toujours de mise, puisqu’il n’existe pas de remède contre le virus, que nous ignorons combien de temps celui-ci continuera à sévir, s’il est susceptible de réinfecter ceux à qui il a déjà rendu visite ou encore d’effectuer de nouvelles mutations.
Mais la question n’est pas qu’épidémiologique, puisque malgré ces incertitudes, nous savons déjà que s’agissant des impacts économiques de la pandémie, il nous faudra probablement boire le verre de Corona jusqu’à la lie. Or, l’industrie automobile n’avait vraiment pas besoin de ça. Comme toutes les marques qui avaient encore choisi de participer au Salon de Genève, Toyota a dû remettre en container les modèles qu’elle avait prévu d’exposer, y compris son nouveau SUV urbain sur base Yaris.
Mais les annulations du salon helvète, de celui de São Paulo et autres évènements du genre paraissent presque anecdotiques en regard de la baisse déjà enregistrée des immatriculations sur plusieurs marchés et de l’arrêt des chaînes de production qui ne fait sans doute que commencer, en l’absence des composants produits en Chine alimentant l’intégralité des usines de véhicules dans le monde. On peut d’ailleurs se demander si le Coronavirus ne tuera au total pas plus d’emplois dans le seul secteur automobile qu’il ne fera de victimes dans les lits d’hôpitaux, puisque celui-ci n’est apparemment fatal que par comorbidité -autrement dit associé à une autre pathologie- expliquant un taux de mortalité inférieur à 3%.
Mais de grâce chers amis, ne désespérez pas, car il semble pour certains qu’il existe des raisons de se réjouir de l’apparition du Corona parmi nous. Je sais, cette soudaine félicité vous surprend sans doute après que j’aie peint un tableau aussi sombre, mais elle trouve sa source dans deux documents très sérieux, publiés à quelques jours d’intervalle. D’abord une étude, révélée le 19 février par le site britannique Carbon Brief, selon laquelle les émissions de CO2 chinoises ont diminué d’un quart en deux semaines, correspondant à une réduction de 100 millions de tonnes de bulles d’eau gazeuse. Quelques jours plus tard, le 28, c’est la NASA qui affichait des cartes montrant une baisse spectaculaire du taux de dioxyde d’azote (NO2) dans le pays, de 36% inférieur aux valeurs enregistrées à la même époque en 2019. La conclusion s’impose d’elle-même : Covid-19 est bon pour la planète bleue. D’ailleurs, Covid-19 est probablement un message pathogène envoyé par la Terre, nous enjoignant de changer immédiatement notre mode de vie.
Je sais ce que vous pensez. Que je passe sans doute trop de temps à lire les commentaires des facebookers, ce qui n’est pas totalement faux, et que ce genre de raisonnement est le fait de quelque original post-animiste ou antispéciste. Alors permettez-moi de citer quelques manchettes de presse glanées au hasard : "Coronavirus : les surprenants bienfaits de l’épidémie" (France24) ; "Des réels bienfaits du Coronavirus" (Le Dauphiné) ; "L’épidémie de Coronavirus va-t-elle provoquer la démondialisation ?" (France Culture) ; "Coronavirus et fin de la mondialisation" (Journal de Montréal) ; "Le Coronavirus pourrait représenter la fin de la Chine en tant qu’usine du monde" (Forbes) ; "Coronavirus et le changement climatique : histoire de deux crises" (DW). Bon, je m’arrête là, mais sachez que la liste est loin d’être exhaustive. D’ailleurs, la presse n’est pas la seule concernée. Notre ministre des Finances, Bruno Le Maire, a par exemple estimé que "l’épisode du Coronavirus devrait inciter la France à produire davantage de biens stratégiques à l’intérieur de ses propres frontières". En ce qui me concerne, j’attends la liste des produits en question avec une certaine curiosité…
Mais surtout, laissez-moi vous présenter Amy Jaffe. Madame Jaffe, dont j’admets piteusement que j’ignorais l’existence encore hier, est directrice du programme de sécurité énergétique et de changement climatique au sein du "Council on Foreign Relations", un Think tank new-yorkais. Là, si vous n’êtes pas impressionné(e), je ne sais plus qui vous citer en référence. Quoiqu’il en soit, Madame Jaffe a récemment déclaré sur le sujet : "Imaginez que vous soyez un décideur politique, et que vous réfléchissiez à ce que vous devriez faire pour réduire les émissions – Vous venez de recevoir à ce sujet une assez bonne indication". Et encore : “Il faut vraiment qu’elles (les compagnies) réfléchissent à tous les évènements qui pourraient vraiment interrompre leur chaîne logistique et penser à ce qu’ils doivent faire pour la rendre plus résiliente."
Essayons de voir si j’ai bien compris, avant que je n’appelle Akio Toyoda, CEO de Toyota, pour lui expliquer que ses hybrideries, c’est bien gentil, mais qu’il y a beaucoup mieux à faire pour la planète : D’abord on coupe une partie de la production, puis on relocalise ce qui reste. Ça paraît simple. Oui, mais alors, ça veut dire quoi pour l’Usine de Valenciennes qui si j’en crois les pubs du constructeur, fait des voitures bien de chez nous ? Elle est locale ou pas locale ? Et si on arrête d’acheter des pièces à l’étranger pour alimenter les usines bien de chez nous comme celle de Valenciennes, pourra-t-on toujours exporter dans les pays à qui on n’achètera plus rien ? Non, parce que ce qui serait bien tout de même, c’est qu’on puisse faire du local pour nous et pour les autres, mais que les autres fassent du local pour eux. Enfin pas trop puisqu’on va continuer à leur vendre nos voitures faites localement chez nous. Et puis, tant qu’à réduire la production, j’aimerais autant que ce soit l’une des 62 autres usines du groupe dans le monde plutôt que la nôtre. D’ailleurs, on peut les aider un peu si on n’importe plus les voitures qu’elles produisent.
Bon, si quelqu’un peut me communiquer le numéro de portable de Bruno Le Maire, je vais peut-être plutôt lui demander qu’il s’en occupe. Après tout, c’est lui le décideur politique, n’est-ce pas ? De mon côté, je commence sérieusement à questionner ce que j’ai écrit plus haut sur le XXIe siècle, tant la pensée magique moyenâgeuse que je croyais disparue semble finalement persister chez certains, les autorisant à se féliciter des effets positifs d’une saloperie qui a tout de même déjà tué quelques milliers de personnes. Que le pangolin, cet animal en voie d’extinction qui pourrait avoir transmis le Covid-19 à l’homme en atterrissant dans son assiette se frotte les pattes depuis que sa chair est interdite à la consommation, je le comprends volontiers. Mais nos semblables ?
Du coup, je songe très sérieusement à fonder un Think tank carioca où l’on développerait des idées rétrogrades comme celle consistant à faire confiance à Toyota en particulier et à l’industrie automobile en général pour continuer à faire ce qu’elle a accompli jusqu’à aujourd’hui. C’est à dire développer des voitures de plus en plus efficaces s’agissant de réduire les émissions de gaz carbonique, consommant et polluant de moins en moins. Tout cela sous la contrainte législative des Etats et celle de consommateurs attentifs à la conservation de l’environnement. Parce qu’on peut être rétrograde sans pour autant céder à la naïveté.
Je pourrais même suggérer à Toyoda-san de relancer la Corona.
Non, là je plaisante.
Jean-Philippe Thery