15/12/2022 - #Audi , #Alpine , #Bmw , #Bugatti , #Ferrari , #Jaguar , #Lamborghini , #Maserati , #Porsche
Toutes premières fois
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle de mes premiers émois -imaginaires ou réels- à bord de belles automobiles. Mais rassurez vous, ça reste accessible à tout public…
L’histoire est un train qu’on prend en marche.
C’est ce que je me suis dit récemment à Montréal, en sortant de l’excellente exposition consacrée aux Pink Floyd, intitulée "Their mortal remains" (dépêchez-vous, c’est jusqu’au 31 décembre). Sans doute parce que sa muséographie chronologique m’a rappelé que j’ai attendu jusqu’à la sortie de "Division Bell" en 1994 pour acquérir enfin mon premier album de la formation londonienne. N’ayant évidemment pas vécu sur une autre planète jusque-là, il ne m’avait certes pas échappé que ces gars-là avaient commis auparavant deux ou trois morceaux importants, mais ce n’est tout de même pas un hasard si je suis resté trois heures à parcourir les différentes pièces présentant moultes memorabilias et vidéos consacrées à leur histoire : c’est que j’avais les concernant de sérieuses lacunes à combler.
A ma décharge, il fut une époque où l’ami Google ne permettait pas encore de tout savoir sur tout, quand un truc aussi simple à débusquer en ligne que les paroles d’une musique n’était disponible que si le label concerné avait bien voulu l’imprimer sur la pochette/jaquette du disque/CD (cochez les options correspondant à votre génération). Le reste du temps, il fallait se débrouiller pour les déchiffrer avec un anglais tout juste scolaire, ce qui ne rendait d’ailleurs pas le texte forcément moins hermétique en admettant qu’on y soit parvenu.
Les ados d’aujourd’hui n’ont donc aucune excuse pour ne pas être mieux informés que nous ne l’étions alors, même si j’ai récemment dû expliquer à la nièce de ma douce moitié que c’est Georges Michael qui avait écrit les paroles de "last Christmas" au siècle dernier et non pas Emma Thompson en 2019 dans l’oubliable film du même nom. La culture générale, c’est bigrement important…
Tout ça pour dire que vieillir, ça consiste en partie à récupérer sur le tard des trucs qu’on fait mine d’avoir connu à l’époque, et que ça s’applique également à l’automobile. Parce que s’agissant de la grande majorité des constructeurs, nous prenons aussi l’histoire en cours de route et que le premier de leur modèle auquel nous sommes exposés n’est pas forcément le plus important ni le plus significatif.
C’est fort de ce constat absolument renversant que je me suis amusé à répertorier mes "toutes premières fois" d’avec certaines marques, y compris s’agissant de leur premier modèle dans lequel j’ai roulé. Et pour donner un semblant de structure à cette drôle de compilation, je vous la livre dans l’ordre alphabétique :
Alpine
Bon, ça commence mal pour ma démonstration, puisque je n’ai pas échappé à l’incontournable Berlinette, même si le gamin haut comme trois pomme que j’étais alors ne garde pas forcément un bon souvenir de sa première rencontre avec une A110 à l’échappement très libéré. Au grand dam de sa gentille maman, qui croyait sans doute lui faire plaisir en l’amenant assister au départ d’une spéciale de rallye, sans se douter que les pétarades mécaniques de la belle bleue lui ficheraient une telle pétoche.
Heureusement, l’impression laissée par la 1600S que j’ai conduite bien des années plus tard fut bien meilleure, particulièrement sur les petites routes varoises qui tournicotent autour du circuit de Paul Ricard. Mais avant de m’en filer le volant, son propriétaire -moniteur d’une école de pilotage- m’avait emmené à bon rythme dans le baquet du passager. "Ça freine bien ?" lui ai-je demandé l’air faussement détaché alors que nous approchions d’une intersection à une allure que la morale d’aujourd’hui réprouverait. "Oh tu sais, ce sont des freins de R8", me répondit-il avant de taper comme une brute dans la pédale du milieu, prouvant qu’à cultiver la légèreté, on trouve forcément étrier à son disque.
Aston-Martin
Là, en revanche, j’ai fait dans le bizarre. Parce que la première Aston dont j’ai eu connaissance à une époque ou la production de la marque relevait du confidentiel, c’est la Lagonda de 1976. Une rencontre sur catalogue, puisque sa photographie était la seule illustrant le modeste article consacré à la marque de Newport Pagnell dans l’un de ces numéros spéciaux qu’éditent la presse spécialisée à l’approche des salons automobiles, annonçant "tous les modèles du monde" en couverture.
Quoiqu’il en soit, je me suis immédiatement amouraché de l’étrange berline cunéiforme dessinée par William Towns, à qui la marque doit également la superbe Bulldog. Et rien ne m’a depuis fait changer d’avis, même si j’ai eu le temps d’apprendre que la panne constitue le mode défaut de son électronique tarabiscotée, qu’elle visite les stations-service à la fréquence d’un Anglais son pub préféré ou que l’accessibilité arrière est particulièrement étriquée pour une auto destinée à des clients qui se font volontiers conduire. Bref, il y a une Lagonda dans ma collection idéale.
Pour autant, La seule Aston que j’ai eue en mains fut non pas la Lagonda, mais une Vantage GT4 destinée à la compétition, que j’ai adoré piloter sur une moitié du circuit d’Abou Dhabi. D’autant plus que la charmante instructrice italienne qui occupait le baquet de droite m’a suffisamment fait confiance pour me laisser prendre 6.500 t/mn au lieu des 6.000 initialement autorisés, passer sur les vibreurs ou freiner bien après le panneau des 150 mètres indiqué comme repère en bout de ligne droite. Autant de transgressions aux instructions délivrées lors du briefing que je ponctuai d’un "sorry" contrit, auquel elle me répondit invariablement par un "don’t worry, go, go, go !" libérateur. Autant vous dire que ce fut l’un des plus beaux jours de ma vie.
Bugatti
C’est également sur papier glacé que j’ai abordé Bugatti, mais d’ouvrages consacrés à la marque de Molsheim. A commencer par celui de la collection "Les grandes marques" édité chez Gründ, suivi par "Bugatti, l’évolution d’un style" publié en 1975 par Paul Kestler (qui nous a quittés il y a quelques jours), et beaucoup plus tard, "Fantastiques Bugatti" comportant les photos du très talentueux Xavier de Nombel. Entre temps, je m’étais rendu à suffisamment d’évènements pour enfin rencontrer quelques exemplaires incarnant le mythe, notamment la sublime type 55 dans une traditionnelle livrée noire et jaune vue sur la pelouse de Bagatelle, dont le très britannique propriétaire arborant blazer et cravate club échangeait les bougies froides contre des chaudes en gants blancs, après avoir fait chauffer son 8 cylindres en ligne immaculé.
Précisément inspirée de la 55, celle que j’ai conduite n’était pas exactement une Bugatti, même si la qualité de réalisation des automobiles De la Chapelle leur vaut davantage le titre de "reproduction" que de "réplique". Toujours est-il que la "Grand Prix" vint à moi dans le cadre on ne peut plus idoine d’un beau château où l’on célébrait un mariage, et que je m’arrangeais pour m’assoir à côté de son conducteur lors du dîner. "Et si nous allions plutôt faire un tour ?", me suggéra celui-ci, interrompant la conversation que nous menions jusqu’alors sur des sujets dont il est inutile de préciser la teneur.
Je me souviens des cadrans blanc illuminés dans la nuit, alignés sur l’aluminium guilloché de la planche, de la brume exhalée par les champs environnants dans l’air frais d’un matin encore pas tout à fait naissant, et de la vision de l’interminable capot entouré des ailes montant en volutes jusqu’aux deux phares chromés. Le tout au son crémeux du 6 cylindres en ligne BMW préparé par Alpina développant 210 nobles chevaux. Cette nuit-là, Gatsby le Magnifique n’était pas mon cousin…
Ferrari
Tout le monde sait qu’une Ferrari, c’est une berlinette avec un moteur douze cylindres situé à l’avant. Mais la 308 GTB (ou GTS, peu importe) me l’a fait ignorer pendant des années, avec son V8 en position centrale arrière. Parce que dès que j’ai été en âge de comprendre ce qu'était une voiture rouge, elle a symbolisé pour moi le meilleur des productions de Maranello. Surtout qu’au début des années 80, je n’aurais pour rien au monde manqué un des épisodes de "Magnum P.I." diffusés le dimanche après-midi, avec une évidente préférence pour les séquences montrant Tom Selleck pilotant "la voiture de Monsieur Masters".
Ma première "Féfé" au volant fut justement une descendante directe de la 308, dont elle reprenait le thème stylistique en le modernisant avec une incomparable élégance. Et si ma principale préoccupation fut de restituer intacte sa F355 à l’ami qui avait eu la gentillesse de me la prêter, ça ne m’a pas empêché de profiter pleinement sur les routes entourant Deauville des accélérations prodigués par les 380 ch de sa très mélodieuse mécanique, ni des claquements de la tige chromée du levier de vitesse sur la grille de sélection au changement de rapports. Un son mythique dont j’avais dû jusqu’ici me contenter de lire l’évocation dans les pages des magazines…
Jaguar
Si la XJS a longtemps été la mal aimée de Coventry, c’est que lui a incombé la très difficile tâche de succéder à la mythique Type E. Moi qui n’en n’avais pas la moindre idée, j’aimais bien cette voiture arborant un capot long comme un jour de grève des raffineries, et un drôle d’arrière avec ces "flying buttresses" dont j’aurais alors été bien incapable de mentionner le nom. Mais aujourd’hui, justice est enfin rendue à la XJS qui voit sa côte monter auprès des amateurs du félin bondissant, comme au précurseur que j’ai été sur le sujet.
Pas de XJS à mon palmarès de conduite, mais une XJR de 1995 (modèle X306), qui reste l’auto avec laquelle j’ai atteint la vitesse la plus élevée sur route ouverte. Un exemplaire tout neuf me fut prêté par le patron d’un institut d’études de marché allemand qui avait été choisi pour réaliser le clinic-test dont j’étais responsable. Que l’homme m’ai laissé conduire son auto sans juger bon de m’accompagner montre à quel point il était soit complètement inconscient, soit au contraire très prudent. J’opte néanmoins plus volontiers pour la première hypothèse, puisqu’avant de me laisser partir, celui-ci m’indiqua dans quelle direction pointer le capot abritant un 6 cylindres en ligne avec compresseur de 325 ch afin de trouver une portion d’autobahn sans limitation de vitesse, avant de m’avertir qu’un bruit aérodynamique se manifesterait à 220 km/h. Et il s’est bien marré quand je lui ai indiqué en restituant les clefs que le bruit ne m’était apparu qu’à 240 km/h.
Lamborghini
Si je me souviens d’une Countach blanche qui trainait parfois le samedi matin près de mon école pour récupérer le fils d’une sommité locale, je crois bien que la Jalpa en couverture du numéro 459 de l’Automobile Magazine l’a précédée. La revue, offerte par mes parents comme lecture de vacances consacrait un bel article à l’évolution de la Silhouette (elle-même issue de l’Urraco) qui reste un modèle rare avec à peine 420 exemplaires produits. Une auto peu connue donc, à l’esthétique typique des modèles des années 70 revisitée dans les 80’s à grands coups d’extension d’ailes bodybuildés et d’appendices aérodynamiques, et dont il me faut bien avouer honteusement que je les adore.
Avant de conduire moi-même une fille de Sant’Agata, j’eu l’occasion d’effectuer en passager le trajet de Villefranche sur Saône à Lyon à bord d’une Countach, en compagnie de celui chargé de la ramener à son propriétaire après qu’elle eut participé à une exposition. Je me rappelle évidemment les envolées lyriques du V12, mais aussi la tronche ahurie du pompiste encaissant le billet de 50 francs en paiement des quelques litres d’essence jetés dans le réservoir, tout juste suffisants pour arriver à destination. Peut-être celui-ci avait-il également perçu que nous avions oublié d’enlever les caches masquant les plaques d’immatriculation.
Quant à la Gallardo Superlegerra, je fus étonné de constater sa relative sagesse, comparée à la Ferrari 458 essayée le même jour, avec tout de même 570 ch pour chacune d’entre elles. Il s’agissait bien sûr de l’une de ces voitures à la conduite strictement encadrée qu’on loue à Maranello, non sans avoir au préalable signé le document rappelant les 10.000 euros de franchise à acquitter en cas de pépin. Mais comme j’ai décidément de la chance avec les Italiens, mon instructeur du jour me laissa profiter pleinement des capacités d’accélération des deux autos, qui revinrent à bon port sans la moindre égratignure.
Maserati
Là je sens bien qu’il y a des tridents qui vont grincer, parce que j’ai "commencé" l’histoire de Maserati avec la sulfureuse biturbo. Une voiture dont on disait que les dérobades du train arrière sur l’asphalte mouillé rivalisaient avec la rouille dans l’objectif d’en assurer une destruction rapide. Moi j’adorais cette auto dont l’élégance de la carrosserie au style hyperclassique contrastait avec un intérieur frisant le kitch entre cuir bicolore et montre à aiguilles elliptique en milieu de planche de bord. Une montre qu’on retrouvait à bord de la Maserati Quattroporte de cinquième génération (série M139), dont j’ai disposé dans le cadre d’un essai pour la revue Carwash (comment ça vous ne connaissez pas ? Pourtant, le projet auquel j’ai participé avec trois amis a tout de même connu deux numéros !). J’avais intitulé mon article "Portes d’Italie", et nous avions emmené la belle limousine Avenue de ... bon vous avez compris. Quoiqu’il en soit, il n’y a que de l’autre côté des Alpes que les moteurs chantent si bien, et que l’on peut appeler une voiture "quatre portes" sans que ça paraisse ridicule.
Porsche
Cette fois, il n’a pas échappé à la 911 allez-vous penser. Eh bien raté ! Parce qu’aussi loin que remontent mes souvenirs, "ma" première Porsche fut une 924 à l’échelle 1/64 de chez Majorette. Je me souviens qu’elle était gris métal, et que j’étais fasciné par son hayon ouvrant tout en verre (ou en l’espèce, en plastique) . A ceux qui font la moue à l’évocation du modèle, je rappellerai que pour un môme de 4 ou 5 ans, le fait que celui-ci ait été équipé d’un moteur d’origine Audi et considéré comme "la Porsche du pauvre" n’avait strictement aucune importance. Pour le reste, la pauvre miniature fut sacrifiée sur l’autel de mes premiers essais en maquettisme, grâce auxquels j’appris que la gouache n’a pas prise sur les carrosseries en zamac, mais que la peinture énamel adhère toutefois très bien aux doigts.
En revanche, 911 il y eut pour ma première expérience de conduite d’un modèle hergestellt in Zuffenhausen. En l’occurrence, une 964 d’une belle teinte hésitant entre le gris et le mauve, avec sellerie assortie, appartenant à l’associé de l’homme à la Jaguar précédemment mentionné. Plus prudent que son collègue, c’est dans le siège passager que celui-ci m’installa avant de se raviser et d’emprunter la bretelle d’accès à une station-service. "Benzin ?", l’interrogeai-je dans un allemand absolument impeccable. "Nein, wollen sie fahren ?", me répondit-il. Dois-je vous préciser quelle fut ma réponse ? Si les conditions de circulation ce jour-là ne m’autorisèrent pas à dépasser les 190 km/h, je n’en n’ai pas moins apprécié à leur juste mesure les accélérations et la sonorité caractéristique du six-à-plat qui utilisait joyeusement l’habitacle comme caisse de résonance, laissant à penser que le Blaupunkt enchâssé dans la planche de bord ne devait pas être souvent sollicité.
Si vous avez eu le courage de me suivre jusqu’ici, j’espère que ce petit pot-pourri aura ravivé en vous le souvenir de vos propres "toutes premières fois" automobiles. Voilà qui nous rappelle en tout cas que la clémence est de mise à l’égard de ceux qui débutent dans la passion automobile, disposant du même niveau de connaissance que celui qui était le nôtre (ou pas) à leur âge.
A moins que… Au regard de la façon dont a évolué l’automobile ces derniers temps, c’est probablement nous qui allons devoir nous accrocher pour rester d’actualité, et solliciter leur indulgence…