09/02/2022
Semi-conducteurs : l'UE mise 43 milliards pour s'émanciper de l'Asie
Par AFP
(AFP) - La Commission européenne a proposé mardi de débloquer 43 milliards d'euros en faveur de l'industrie des semi-conducteurs pour réduire sa dépendance envers l'Asie dans ce secteur stratégique qui subit des pénuries.
"Nous nous sommes fixé l'objectif d'avoir 20% du marché mondial en 2030", soit deux fois plus qu'aujourd'hui, a déclaré la présidente de l'exécutif européen, Ursula von der Leyen. Dans un marché qui devrait lui-même doubler d'ici à 2030, cela signifie une multiplication par quatre de la production de semi-conducteurs sur le territoire européen.
L'Union européenne, à la pointe de la recherche sur les puces, a vu sa part de marché chuter ces dernières décennies, à seulement 9% de la production mondiale, a-t-elle souligné.
Mais la pénurie de semi-conducteurs, qui a freiné l'industrie automobile depuis trois ans avec l'arrêt forcé de nombreuses usines, a provoqué un électrochoc. Les tensions géopolitiques autour de la Chine, ainsi que la pandémie, ont fait prendre conscience de la nécessité de produire en Europe ces composants indispensables essentiellement importés de Taïwan et de Corée.
Au point de convaincre la Commission d'assouplir son strict encadrement des aides d'Etat et d'assumer une politique industrielle interventionniste dans un continent traditionnellement très ouvert à la concurrence mondiale.
"Pour la première fois, l'Europe fait évoluer les règles sur la politique de concurrence, notamment les aides d'Etat", a expliqué Thierry Breton, qui pilote l'initiative de l'UE.
Ces composants sont incontournables dans de nombreux objets du quotidien, comme les téléphones mobiles, mais aussi dans les centres de stockage de données, au cœur de l'économie numérique en plein boom. L'an dernier, les semi-conducteurs ont représenté un marché mondial de près de 600 milliards d'euros, selon le cabinet de conseil Yole Développement.
"Double dépendance"
Le projet de règlement, qui devra encore être adopté par les pays membres et le Parlement européen, prévoit 11 milliards d'euros de subventions, dont environ la moitié provenant du budget de l'UE et l'autre moitié des Etats membres, pour financer la recherche dans les technologies les plus innovantes et des lignes pilotes pour préparer leur industrialisation.
Pour permettre l'implantation d'usines de très grande taille, Bruxelles autorisera en outre 30 milliards d'euros d'aides publiques des États membres à des industriels du secteur, y compris des groupes étrangers, comme l'américain Intel qui envisage d'investir en Europe.
Un fonds de plus de 2 milliards d'euros viendra en soutien des start-up du secteur.
Ces financements essentiellement publics devraient entraîner un montant encore plus important d'investissements privés, espère la Commission.
Le plan européen rivalise avec celui des Etats-Unis, qui ont aussi engagé un rapatriement d'activités de production sur leur territoire. Vendredi, la Chambre des représentants a adopté un projet de loi qui prévoit 52 milliards de dollars (45 milliards d'euros) pour relocaliser la fabrication de puces électroniques.
"L'Europe est aujourd'hui très en retard en termes de moyens de production", souligne Emilie Jolivet, directrice semi-conducteurs pour Yole Développement. Le projet annoncé mardi est "un pas en avant, mais il faut le relativiser par rapport à ce qui se fait ailleurs dans le monde, surtout en Asie", a-t-elle expliqué à l'AFP, en soulignant que le groupe taïwanais TSMC allait investir à lui seul 36 milliards d'euros pour la seule année 2022.
L'Europe subit aujourd'hui "une double dépendance" en matière de semi-conducteurs, a expliqué cette experte. D'un côté, une dépendance aux Etats-Unis qui font le design des puces, avec des acteurs comme Intel, Micron, Nvydia et AMD. De l'autre, une dépendance à l'Asie où l'essentiel de la fabrication s'effectue, à Taïwan avec TSMC, mais aussi en Corée, avec des leaders comme Samsung et SK Hynix, et, de plus en plus, en Chine.
"L'Union européenne dépend de Taïwan pour plus de la moitié de ses besoins", a souligné M. Breton. D'où un risque économique majeur, par exemple si un conflit militaire survenait avec la Chine. "Si Taïwan n'était plus en capacité d'exporter, quasiment l'ensemble des usines du monde s'arrêteraient en trois semaines", a-t-il mis en garde.