04/08/2022
Oversize matters
Par Jean-Philippe Thery
Avec le mois d’Août, c’est le retour des chroniques estivales sur Autoactu.com ! Cette année, Bertrand Rakoto et Jean-Philippe Thery vous proposent leurs regards croisés sur l’Europe et l’Amérique automobiles, après avoir chacun traversé l’Atlantique en sens inverse.
On commence avec Jean-Philippe pour qui il est aujourd’hui question de très grosse bagnole totalement décomplexée. N’en déplaise aux adeptes de la psychologie bon marché…
Je suis récemment tombé sur un drôle de post, publié sur un réseau dit social et professionnel.
Imaginez une caricature représentant un type bedonnant qui ouvre son imper -ou peignoir- exhibant une grosse berline dégoulinant à la place de ses attributs masculins. Il vous faudra vous contenter de cette description puisque je n’ai aucune intention publier un truc aussi moche, sans compter que je n’ai pas envie d’être enquiquiné par son auteur. Au bas de son affreux dessin, une phrase en forme de légende qui se veut explicative et faisant référence à “la fonction de la voiture dans les société patriarcales“. Mais comme notre homme -du genre révolté de tout- ne l’a sans doute pas jugée suffisante, il en rajoute sur le site Internet où il publie ses œuvres, avec une logorrhée particulièrement indigeste stipulant qu’“on parle de circulation automobile comme si elle renvoyait exclusivement à des besoins de transport. C’est totalement faux et démenti au premier coup d’œil dans la rue. Il est en grande partie question de domination, de la loi du plus fort et d’exhibitionnisme“.
Qu’on puisse encore de nos jours faire appel à des poncifs aussi éculés me fait d’autant plus sourire que j’ai dernièrement parcouru pas mal de miles aux commandes d’un Ford F150 Lariat Supercrew Cab. 232 pouces d’acier et d’aluminium en longueur, 96 en largeur et 77 en hauteur, sans avoir pour autant constaté de modification substantielle de mon anatomie intime, même si les mauvaises langues (désolé) pourront toujours alléguer qu’il n’y avait pas grand-chose à retrancher. Mais revenons plutôt aux dimensions qui nous intéressent vraiment, pour lesquelles je vous éviterai de sortir la calculette, le pickup full size de Ford mesurant 5,9 x 2,21 x 1,96 en mètres bien de chez nous
Autant vous dire que ce truc est absolument énorme (je parle évidemment de l’auto). A tel point que lors de ma première sortie en ville, effectuée downtown à Detroit, Michigan, j’ai été pris d’un terrible doute en avisant une pancarte promettant les pires représailles au propriétaire de véhicule “oversized“ qui oserait s’aventurer dans le parking lot dans l’entrée duquel je venais de pointer le nez de mon gros capot. Je suis donc -littéralement- descendu de mon camion heureusement pourvu de marchepieds, afin d’aller consulter la conductrice de la voiture se trouvant derrière moi, laquelle -absolument hilare- m’a rassuré (ou pas) sur la taille tout à fait normale de mon engin. J’en ai donc été quitte pour grimper à nouveau dans l’habitacle afin de pénétrer dans les lieux tous capteurs de proximité hurlant entre le distributeur de ticket et la barrière latérale, et je me suis garé sur une place aussi éloignée que possible d’autres véhicules, dont j’ai tout de même dépassé les limites d’une bonne demi-benne.
Quoiqu’il en soit, on ne peut comprendre une espèce que si on l’observe dans son milieu naturel, ce qui vaut également pour les automobiles. Or vous connaissez sans doute la blagounette du Français en visite pour la première fois aux Etats-Unis, qui s’entend dire au bar de l’hôtel qu’“en Amérique tout est grand“ alors qu’il s’étonne de la taille du Hamburger qu’on vient de lui apporter. Même refrain pour la portion de frites supersized qui l’accompagne, puis avec l’énorme chope de bière qu’il commande alors pour étancher sa soif. Et voilà notre pauvre homme pris d’un besoin aussi pressant que compréhensible qui se trompe de porte et tombe dans la piscine de l’établissement alors qu’il croyait ouvrir celle des “restrooms“, criant désespérément “ne tirez pas la chasse !“. Je sais, la dernière fois que vous l’avez entendue, c’était à la récré. Et pourtant c’est vrai : en Amérique, tout est grand.
Tenez prenez le Michigan. Avec ses 252.000 km², celui qui n’est que le 11e Etat du pays par la superficie représente tout même l’équivalent de 45% du territoire de la France métropolitaine, pour une population de moins de 10 millions d’habitants. En admettant que celui-ci accueille l’ensemble des Etats-uniens, la densité de sa population serait encore près de huit fois inférieure à celle de New-York. Et puisqu’on en est aux superlatifs, sachez encore que l’Etat qui a vu naitre Burt Reynolds, Serena Williams, Robin Williams, Dita von Teese ou encore Madonna dispose de 20% des réserves mondiales en eau douce.
Cette impression de surdimensionnement ressentie par le nouvel arrivant de service se retrouve jusque dans les détails du quotidien. Ici, tout paraît “Heavy Duty“, des cuisinières dimensionnées pour accueillir une grosse turkey (celle de Noël, pas le pays) aux réfrigérateurs… américains. A l’heure tardive où je vous écris, je ne suis d’ailleurs pas certain de boucler cette chronique dans les délais, la superficie de la demi-pizza que je viens d’avaler pour mon dîner m’incitant à une digestion somnolente. Quant à la machine que je retrouverai au bureau demain, je sais qu’elle ne me délivrera ma dose matinale de caféine qu’à raison de 6 onces liquide mini, soit 177,44 millilitres. En Amérique, même les petites choses sont grandes.
Evidemment, ça marche aussi pour les routes. Moi qui ai toujours pensé que si je gagnais à Euromillions, ma première visite serait pour le concessionnaire Lotus le plus proche, je dois bien admettre qu’une Elise n’est pas la voiture idéale pour circuler sur les larges 4 voies ou plus qu’on trouve par ici. Non seulement parce qu’on n’est pas près d’y rencontrer les petits virolets pour lesquels la fille de Norfolk a été conçue, mais aussi parce je ne suis pas certains de vouloir ressentir l’impression de passer (ou être passé) au ras du sol à côté d’un de ces nombreux “18 wheelers“ qui sillonnent les Freeways du pays. Heureusement d’ailleurs que ce n’est pas avec l’une d’entre elles que je suis allée chercher Renata au Detroit Metropolitan Wayne County Airport.
“Mais c’est un appartement !“ m’a déclaré celle-ci à qui je m’étais bien gardé d’indiquer dans quel véhicule je passerais la prendre, histoire de ménager mes effets. Et à voir son sourire alors qu’elle se pelotonnait dans le siège ventilé (trois niveaux au choix), il était évident que le commentaire n’avait rien d’une critique. L’avantage avec le F150, c’est qu’il est effectivement possible de se déplacer en famille en respectant les normes de distanciation Covid. L’inconvénient, c’est que les types qui auront choisi un gros pick-up par logique de compensation auront du mal à poser leur grosse paluche sur le genou gauche de la passagère.
Je suis d’ailleurs bien obligé d’avouer que j’adore conduire ce truck-là. Qu’on le veuille ou non, dominer un engin de ce gabarit -ce qui n’a en fait rien de compliqué- vous procure le même plaisir inavouable que la dégustation du hamburger-frites dégoulinant de sauce qu’on ne manquera pas d’aller chercher à son bord au drive-in des “Cinq Gars“ du coin. Pour abattre du mile dans le countryside, je vous assure qu’il n’y a rien de tel qu’un tel outil calé à 85 MPH au Cruise Control (un poil au-dessus de la limite), coude dûment installé sur le haut du panneau de porte en se tapant un petit “Hot Chili“, non pas à la cuiller mais distillé dans les speakers par SiriusXM, tout en observant de haut le tarmac et ses occupants moins bien dotés.
Sans compter qu’a observer les autres spécimens du genre -et ils ne sont pas peu nombreux- on se dit que cet objet-là “fait sens“ dans le pays qui l’a vu naître. Le premier pick-up et le nom qui va avec furent semble-t-il imaginés par Henry Ford lui-même, qui proposa dès 1925 ce type de carrosserie sur la base du célèbre Model T, après avoir constaté que de nombreux fermiers transformaient leur auto en engin de transport (ce qu’il fit d’ailleurs aussi lui-même). Aujourd’hui, la plupart des propriétaires d’un modèle à “bed“ ne labourent plus la terre, et y transportent la plupart du temps de l’air.
Mais si on choisissait une auto sur son usage majoritaire, celle-ci ne disposerait dans bien des cas que d’une ou deux places et serait pourvue d’un coffre de la taille d’un vanity-case. Et le weekend venu, nombre de propriétaires de pick-up ne sont pas mécontents de jeter à la benne le matériel de camping, pêche ou chasse qu’ils pratiquent volontiers, quand ils ne déménagent pas l’un des nombreux trucs qu’ils gardent dans leur garage à la place des autos (pick-up compris) stationnées sur le driveway, à moins qu’ils ne tractent un bateau ou une caravane dont la taille peut dépasser celle du Ram 1500 ou du Silverado qui les emmène. J’ai d’ailleurs accompagné le propriétaire du F150 avant qu’il ne m’en confie ses clefs, afin de récupérer des machines lavante et séchante et un frigo. Et vu la taille des objets en question, il a fallu faire ça en deux trajets, même avec un camion du pays où tout est grand.
Bon, évidemment, si le pick-up représente pour les uns une certaine idée du nirvana automobile, d’autres ressentent volontiers une certaine rage against ce genre de machine. Et je dois bien avouer qu’à l’heure où on discute du 110 sur les autoroutes en France pour économiser quelques millions de litres d’un liquide précieux, envoyer joyeusement des pétrodollars dans les chambres de combustion du V6 2,7L Turbo de 325 chevaux m’a quelque peu chatouillé la conscience, d’autant plus que même en veillant à ne trop solliciter ni le Six-Banger ni les 10 rapports de la slushbox, je n’ai pas réussi à faire mieux que 19 miles per gallon (soit 12,4L/100 km).
Mais promis, une fois revenu en France, je tâcherai d’hyper-miler avec mon 1.800 cm³ et je me ferai un régime à base de laitue. Et qui sait si je ne retrouverai pas quelques centimètres bien placés en chemin…