19/03/2020 - #Alfa Romeo , #Bmw , #Lancia , #Maserati , #Seat
Le mal Alfa
Par Jean-Philippe Thery
Après le Corona, c’est d’un autre virus dont j’ai décidé de vous parler, beaucoup plus sympathique celui-ci, mais qui ne m’en pose pas moins de grandes inquiétudes.
En ces temps épidémiques, c’est en thérapeute autoproclamé des pathologies automobiles que j’ai souhaité vous entretenir d’un virus pour le mieux curieux, puisque les apassionati qui en sont porteurs revendiquent fièrement leur infection. Mais je crains pourtant de devoir faire le constat que le "mal Alfa" -qui affecte principalement la gente masculine mais pas que- n’ait tendance à disparaitre, voyant s’amoindrir à vue de statistiques commerciales sa capacité à convaincre les détenteurs de chéquier dont la signature est pourtant indispensable au maintien du foyer viral.
Le fameux "virus Alfa" est cependant supposé affecter tout amateur d’automobile digne de ce nom, selon les dires du journaliste Jeremy Clarkson himself, qui à l’occasion d’un épisode de son ex-émission Top Gear déclara dans son style empreint de nuances habituel qu’"on ne peut être un vrai petrolhead sans avoir possédé d’Alfa-Romeo". Danazionne, me voilà donc exclu ! Je vous assure pourtant que je serais prêt à bien des vilenies pour mettre dans mon garage une Giulietta Sport Zagato "Coda Tonda" de 1960, ou pour évoquer un modèle plus récent, une 8C de 2007 dont la sublime carrosserie abrite un 8 cylindres aux envolées lyriques garantissant un véritable orgasme auditif, même si on feindra d’ignorer ses origines Maserati.
Bien sûr, Ma wish-list à en-tête du Quadrifoglio Verde comporte bien plus que deux lignes, mais je ne crois pas utile de vous en imposer le contenu détaillé, préférant évoquer deux nouveautés. Commençons par la Giulia GTA, disponible depuis peu chez tous les bons revendeurs de la marque, et pour laquelle je serais prêt à affronter les regards désapprobateurs que ses appendices aussi aérodynamiques qu’indécents ne manqueront pas de provoquer lors des promenades en ville, que ce soit pour profiter de son V6 biturbo de 540 chevaux, ou pour admirer son reflet (et le mien) dans les vitrines des magasins.
Et c’est bien là le problème. Parce que si tant la sportive GTA que l’élégante GTV constituent sans doute ce qui se rapproche le plus sur quatre roues d’une aventure amoureuse avec une starlette de cinéma italienne, ce dont Alfa-Romeo a vraiment besoin pour faire bouillir la marmite de pastasciutta, c’est de remplir les places de parkings réservés aux voitures de fonction de l’encadrement, ainsi que les flottes des sociétés de location longue durée.
Les ambitions n’ont pourtant jamais manqué pour Alfa, qui avait réussi après-guerre à passer du stade artisanal à la production industrielle, avec des modèles dont les superbes mécaniques alliées à d’agiles bases roulantes ne craignaient pas les provocations d’une arrogante BMW sur de petites routes montagneuses. Mais sur la période récente, entre 2009 et 2015, ce ne sont pas moins de 5 plans de sauvetage qui ont été présentés par les équipes de Sergio Marchionne, dont le plus musclé prévoyait 500.000 ventes en 2014. Las ! Les moyens n’ont jamais suivi pour assurer un plan produit en conséquence, avec une arrivée tardive dans le segment des SUV, l’abandon du segment B avec la fin de la Mito, une Giulietta qui accuse bientôt ses 10 ans, et des motorisations peu en phase avec les différentes restrictions imposées en matière d’émissions de CO2.
Je ne me lancerai pas dans l’examen détaillé des motifs et autres données chiffrées pouvant justifier la disgrâce d’Alfa Romeo, renvoyant d’ailleurs souvent au vieux dilemme de l’œuf et de la poule (à moins que ce ne soit l’inverse).
Il me manque l’essentiel, en avoir pris le volant. Mais à se fier aux nombreux essais que j’ai pu consulter, je crois savoir que Dame Giulia ne me décevrait pas. Il semble en effet que la promesse de sportivité exprimée par son physique avantageux ne soit pas vaine, qu’il s’agisse de son comportement, d’un train avant particulièrement directeur et de mécaniques enthousiastes associées à des boîtes performantes.
Je sais, vous ne partagerez sans doute pas tous mon enthousiasme, mais je suis persuadé qu’il s’en trouvera tout de même assez parmi vous pour se poser la même question que moi : L’Alfa Giulia mérite-t-elle vraiment de réaliser des scores commerciaux plusieurs fois inférieurs à ceux d’une BMW série 3 ou d’une Mercedes Classe C ? Que manque-t-il à la marque pour que le modèle rivalise véritablement avec ses germaines concurrentes ?
Cette interrogation vaut évidemment surtout pour la prochaine génération de produits dont le groupe nouvellement créé par la fusion entre PSA et FCA aura la charge. Certes, Alfa-Romeo bénéficiera de toutes les nouvelles synergies possibles en termes de plateformes, composants, organes mécaniques, industrialisation et politique d’achats. Mais celles-ci ne règleront pas la question de son positionnement qui me paraît d’autant plus cruciale dans un ensemble comportant désormais14 marques, et que je résumerais volontiers ainsi : Alfa-Romeo doit-elle être plus ou moins Alfa-Romeo qu’Alfa-Romeo ?
La réponse me semble-t-être : "i due capitano !". Observez BMW, le rival historique. La marque bavaroise a conservé "le plaisir de conduite" comme slogan, et continue à promouvoir autant qu’à mettre en scène les qualités dynamiques de certains de ses modèles. Mais elle parle aussi d’électrique, d’hybride, de vie à bord, de luxe même et j’en passe. A l’inverse, Alfa-Romeo me donne l’impression de s’être cantonnée dans un langage unique, parlant à un public de plus en plus restreint.
Sinon, la seule caractéristique qu’Alfa partagera bientôt avec un virus, c’est son invisibilité.