08/07/2021 - #Audi , #Bentley , #Bmw , #Jaguar , #Lexus , #Maserati , #Mercedes-Benz , #Porsche , #Fiat , #Ford
La Mercothèque
Par Jean-Philippe Thery
C’est une chronique de riches que je vous propose aujourd’hui. Mais avec des trucs auxquels auront peut-être droit demain, ceux qui n’ont pas forcément la bonne étoile aujourd’hui…
A quoi servent les riches ?
Voilà une question à laquelle Edward Walter Conard a répondu sans complexe dans son ouvrage intitulé The upside of inequality (le bon côté des inégalités), publié fin 2016. Selon lui, l’accroissement des inégalités qui a vu ces dernières années le 1% des plus riches le devenir plus encore, loin de s’être produit sur le dos des pauvres comme on l’imagine volontiers, aurait au contraire profité à l’ensemble de la population, particulièrement à la classe moyenne. Il faut dire que l’ami Walter prêche pour sa chapelle, lui qui fait partie du haut du panier du pourcent en question pour avoir transformé Bain Capital, société d’investissement bostonienne, en business multimilliardaire. Voilà qui devrait donner de l’espoir à un certain nombre d’entre vous, puisque notre homme a débuté sa carrière comme ingénieur chez Ford.
Sauf erreur de ma part, le bouquin de Conard n’a pas connu de traduction en France, et c’est sans doute mieux ainsi. Quelque chose me dit qu’en terres gauloises, ses théories lui auraient valu plus de noms d’oiseaux que de sympathie, que les esprits les plus fins ne seraient sans doute pas allés chercher très loin. Pour ma part, je me garderais bien de tout avis éclairé sur le sujet, d’autant plus que je n’ai pas lu Conard et que je n’ai aucune intention de le faire. En revanche j’ai des idées très arrêtées sur ce à quoi servent les bagnoles de riche, principalement la plus "populaire" d’entre elles, grâce à laquelle on retrouve aujourd’hui sur la plus modeste des éconoboîtes à roulettes une carrosserie avec zones à déformation progressive, l’ABS, des airbags ou l’ESP pour ne citer qu’eux. Autant de trucs dont elle fut la première équipée, et qu’elle contribua à diffuser grâce au succès commercial qui ne lui a jamais fait défaut.
Officiellement, l’appellation "S-Klasse" est née en 1972 avec la troisième génération de la berline/limousine haut de gamme de Mercedes, même si ses origines remontent à 1951 avec la 300/300S. La "Sonderklasse" (quelque chose comme "Classe Spéciale") représente depuis lors le summum du luxe de série, accessible à ceux qui peuvent consacrer l’équivalent du salaire annuel d’un cadre supérieur à leur voiture, en incluant primes de résultats et bonus de fin d’année pour qui a l’intention de taper dans l’indispensable et généreuse liste d’options. Que ceux qui sont un peu short en capital se rassurent, puisque Mercedes-Benz Financement leur permettra d’accéder à l’objet de leur convoitise pour un loyer mensuel comparable à celui d’un trois-pièces parisien très bien localisé (un crédit vous engage et doit être remboursé).
Bien sûr, on peut aussi se tourner vers la concurrence, mais les modèles capables de rivaliser avec la S se comptent sur les trois doigts de la main, à commencer par les six générations de la BMW Série 7, seule capable de lui donner la réplique sur les rapports d’immatriculation depuis 1977. Lancée en 1995, l’Audi A8 n’en est donc qu’à sa troisième itération, alors que la Porsche Panamera entrée en lice en 2009, propose un concept différent aux pères de famille ayant renoncé à torturer leurs rejetons aux places arrière d’une 911. Quant aux autres sociétaires du segment F, qu’il s’agisse des modèles de chez Bentley, Jaguar, Lexus ou Maserati, ce ne sont pas leurs résultats commerciaux qui empêcheront de dormir le responsable volumes de la marque à l’étoile.
Difficile donc de contester la suprématie de la Classe S, à tel point que Mercedes-Benz elle-même s’y est pris les roues dans le tapis avec le relancement loupé de Maybach, ex-gloire de la première moitié du XXe siècle, qu’elle prétendait positionner au-dessus du dessus du panier. Le constructeur de la superlative Zeppelin, limousine ultra-luxueuse produite de 1928 à 1934, aurait en effet mérité mieux que les vilaines 57 et 62 qui se vendirent - heureusement- au compte-gouttes jusqu’en 2013. Que les dénominations de ces dernières fassent référence à leur longueur hors-tout (respectivement 5,70 et 6,20 mètres) en dit long sur le manque d’imagination des services marketing qui en avaient la charge, autant que sur les motivations d’une clientèle qu’on préservera des mauvais clichés sur le sujet, histoire de rester dans les limites d’un bon goût dont elles étaient généralement dépourvues.
L’appellation Maybach a tout de même subsisté, comme label de luxe réservé à la version crème de la crème de la Classe S. D’ailleurs, certains de mes lecteurs auront probablement du mal à contenir leur joie en lisant le communiqué de 41 pages récemment publié par la Daimler-Benz AG, détaillant le contenu produit de la dernière Maybach développée sur la base de la W223, septième génération de la Classe S lancée en septembre dernier. Avec un empattement allongé de 18 centimètres par rapport à la limousine, elle-même plus longue de 11 centimètres que la berline occupant à peine 5,18 m de chaussée, celle-ci permettra aux nostalgiques de la "57/62 Touch" de commander une superbe peinture biton (avec filet de séparation peint à la main s’il vous plaît) sans oublier de choisir la finition des jantes pleines de pouces, entre "polissage céramique" et "naturel brillant", afin que celles-ci s’assortissent au mieux aux grilles d’entrées d’air chromées du bouclier avant, ainsi qu’à une calandre elle-même généreusement recouverte d’une épaisse couche de la brillante finition.
En ce qui me concerne, et bien que n’ayant pas l’intention de passer commande dans l’immédiat, j’ai tout de même soigneusement épluché le document susmentionné, dans l’espoir d’y dénicher ce qu’on retrouvera demain sur les prolétariens modèles composant l’essentiel du parc automobile. De fait, la Mercedes Classe S constitue depuis ses débuts une véritable "Mercothèque" de technologies et autres équipements susceptibles de quitter un jour l’univers restreint du luxe pour celui de la grande diffusion. Voilà qui justifie une analyse prospective de ses caractéristiques, à laquelle la Maybach se prête particulièrement puisque disposant de tout ce qui est "offert" sur l’ensemble de la gamme. En d’autres termes, je vous propose une petite séance de futurologie, au travers du prisme de ma boule de Crystal.
On commence par l’extérieur où il n’y a pas grand-chose à signaler, à moins de regarder la Benzie droit dans ses phares bleutés, dont les reflets trahissent la présence de la technologie "Digital Light". Avec 1,3 million de micromiroirs pour chacun d’entre eux offrant une résolution de 2,6 millions de pixels à la voiture, on se dit même sans y comprendre grand-chose, que ça doit illuminer grave. Mais surtout, ceux-ci agissent comme de véritables rétroprojecteurs embarqués, capables de pointer les piétons en bord de route d’un spot de lumière, et de projeter flèches et autres symboles d’alerte pour mettre en exergue panneaux de stop, sens interdits ou feux tricolores. Tout ça est bien sûr synchronisé avec l’affichage tête haute façon réalité augmentée, dont on vérifierait volontiers qu’il ne donne pas dans la cacophonie visuelle (Oui, Mercedes-Benz France, c’est bien un appel du pied). Si on rajoute la fonction d’éclairage topographique qui module les faisceaux des phares en fonction du relief de la route grâce aux informations transmises par le GPS, on se dit qu’on n’est pas près de voir ce genre d’optique sur une populaire, dont la paire coûterait probablement le prix de la voiture en question s’il fallait les remplacer suite à un accrochage. Mais si le coût de production du toutim devait sérieusement baisser dans un avenir plus ou moins lointain, je ne donne pas cher de l’instrumentation logée dans une planche de bord qui deviendrait alors obsolète.
Mais passons à l’intérieur, où on est accueilli par l’éclairage d’ambiance actif, mobilisant 253 LED pour offrir 64 teintes différentes, auxquelles s’ajoutent le "rosé gold" et l’"amethyst glow" spécifiques à la Maybach. De quoi offrir un véritable show chromothérapeutique, avec plusieurs scénarios en fonction de ce qui se passe dans la voiture (On se calme : je fais juste allusion à l’ouverture des portes, la mise en route du moteur ou autres actions du même genre). A ceux qui invoqueraient le gadget, Mercedes répondra "fiat lux !"[1], et je ne peux qu’approuver. Parce que même si on aime les anciennes (voitures), personne ne regrettera l’ambiance plafonniers blafards avec curseur-trois-positions-dont-on-ne-sait-jamais-si-c’est-la-bonne. De toutes façons, c’est trop tard pour les détracteurs : le mouvement est en marche et nos voitures suivent déjà le sentier lumineux. Et erat lux[2].
Après cette entrée en matière éclairée, venons-en au plat de résistance avec la première actualisation du système d’infodivertissement MBUX (autrement dit "Mercedes-Benz User eXperience" pour les boomers) depuis son lancement en 2018. Maintenant qu’on trouve plus d’écrans dans nos voitures que dans les cinémas de quartier, personne ne s’étonnera que la Classe S en comporte cinq, dont certains avec technologie OLED. Mais que celui qui supporte l’instrumentation virtuelle s’affiche en 3D sans recourir aux lunettes colorées qu’on distribue dans les salles obscures paraîtra plus surprenant. Un miracle opéré grâce à deux caméras repérant la position des yeux afin d’adapter l’image en conséquence. On n’arrête pas le progrès même si on se demande parfois à quoi ça sert, et les malheureux sujets à la labyrinthite feraient donc bien de se préparer à l’instrumentation holographique qui ne manquera pas d’ornementer les modèles du futur.
Mais le plus extraordinaire est sans doute que MBUX 2.0 est capable de lire dans vos pensées comme d’anticiper vos désirs, en interprétant la direction d’un regard, les gestes d’une main et même le langage corporel, notamment grâce à des caméras laser 3D situées dans la garniture de toit. C’est ainsi qu’il tendra aimablement la ceinture de sécurité au bout d’un bras articulé, aux passagers arrière ayant manifestement l’intention de la boucler, ou qu’il ouvrira la portière motorisée à celui qui aura esquissé le souhait de descendre du véhicule, non sans prévenir le ministère de l'Intérieur de ses coordonnées GPS. Bon, je plaisante, mais la diffusion probable de systèmes prédictifs même sous des formes simplifiées, ne manquera pas d’inquiéter ceux qui voient dans la moindre caméra de surveillance une menace potentielle aux libertés individuelles.
Ceux-là se demanderont probablement pourquoi le document de Mercedes ne fait aucune allusion à la 5G (comme par hasard), et ne seraient pas surpris d’apprendre par post interposé que Bill Gates a déjà passé commande de sa Maybach. Que les réseaux sociaux ne s’en soient pas fait le relais prouve d’ailleurs à quel point l’information est confidentielle. Je dis ça, j’dis rien. Mais à votre place, je ne serais pas rassuré de savoir que le descendant de HAL 9000 (les entendeurs entendront) est capable d’identifier jusqu’à sept occupants à bord d’un véhicule homologué pour cinq passagers, et d’accéder à leur pedigree complet comportant pas loin de 600 critères, comme les réglages de siège, leurs stations de radio préférées et je ne sais encore quelle information hautement confidentielle. Et comme tout ça est stocké dans un nuage, les individus concernés seront évidemment reconnus dans n’importe quel véhicule de la marque. Comme vous êtes malin(e), vous avez déjà compris que la probabilité que le dispositif équipe à terme l’ensemble de la flotte mondiale motorisée est totale. Il se dit d’ailleurs que la CIA y travaille avec les représentants les plus éminents de Big Auto.
Pour oublier tout ça, rien de tel qu’une bonne séance de relaxation. Et ça tombe bien, puisqu’à condition d’avoir coché les bonnes cases sur la liste des packs optionnels, il est possible de disposer à bord de la plus grande des Merco de sièges "multicontours" actifs, ajustables dans toutes les dimensions possibles en actionnant ses coussins d’airs sur un menu interactif. Une fois bien calé, ne reste donc plus qu’à sélectionner un des dix programmes de massages, dont certains s’occupent même des mollets des passagers arrière. Ajoutez-y le léger souffle chaud dispensé par l’appuie-tête sur la nuque et les épaules, et zzzzz…
Bon d’accord, il est temps de mettre le contact et de faire un peu d’exercice, histoire d’étirer les douze bielles de la mécanique (ou huit si vous êtes un peu contraint(e) en budget). Mais pas sûr que la petite balade réveille le passager pour peu que celui-ci soit installé -comme il se doit- à l’arrière. En premier lieu, grâce à la compensation active (elle aussi) des bruits de roulement, qui "réduit les nuisances sonores basse fréquence à l'aide d'ondes acoustiques en opposition de phase". Diffusées par les 16 haut-parleurs du système audio Burmester 4D, celles-ci se chargeront de lui épargner le désagrément sonore que les pneumatiques à réduction de bruit garnis de mousse laisseraient encore passer. Un dispositif qui trouverait toute sa place dans les voitures électriques que nous conduirons tous demain, dont les bruits de roulage apparaissent d’autant plus qu’ils ne sont plus couverts par ceux de la mécanique. Du coup, on dispensera logiquement l’EOC (Engine Order Cancellation) qui reprend le même principe afin de dissimuler le son des pétroeuros circulant dans les durites.
Et puis il y a surtout l’E-Active Body Control, qui assure un confort à faire pâlir de jalousie un tapis volant, grâce au Road Surface Scan, dont la caméra informe du moindre obstacle se trouvant sur la route les amortisseurs adaptatifs et coussins d’air qui composent la suspension pneumatique active Airmatic, afin qu’ils prennent pour chacun d’eux les mesures de détente et compression qui s’imposent. "Grâce à cette régulation anticipatrice" nous explique le communiqué, "la carrosserie survole littéralement les obstacles à ondes longues". Bon, le chef de produit Classe S pour la France aurait pu avoir la gentillesse d’informer le traducteur qu’on dit "haute fréquence", mais il était probablement occupé à définir les tarifs des options. Et puis, ce qui nous intéresse vraiment, c’est de savoir si les voitures les plus modestes disposeront demain elles aussi d’une suspension active lorsque quelques centaines de milliers de W223 auront contribué à en diminuer le coût. Si j’éviterai soigneusement de m’avancer sur un délai, je n’hésite néanmoins pas à pronostiquer un grand retour de la valeur confort, à l’heure où l’ensemble des voitures disponibles à la vente disposent de qualités dynamiques surdimensionnées par rapport à l’usage de plus en plus contraint que nous en faisons. Comme il y a bien longtemps qu’on ne voit plus d’auto avec une mauvaise tenue de route, il paraît logique de mettre l’accent sur la préservation des vertèbres de conducteurs de plus en plus âgés.
Allez, pour finir, je vous offre un petit choc latéral. Mais pas de panique, puisque là encore l’E-Active Body Control s’occupe de tout. Figurez-vous que dans l’imminence d’une collision sur le flanc, le système se charge de soulever le véhicule de quelques degrés, afin que le choc soit absorbé par le bas de caisse dont la rigidité assure une meilleure résistance. Bon, j’ai réveillé notre passager un peu brutalement, mais tout va bien pour lui, merci. Il faut dire qu’avec des airbags frontaux à l’avant et aux deux places arrière (une première mondiale), latéraux, rideaux, dans les ceintures de sécurité et les assises de siège pour éviter le sous-marinage, et même entre les passagers avant, celui-ci et ses compagnons de route sont particulièrement bien protégés. Et si dans mon rôle de devin, je ne devais retenir qu’un type d’équipement pour la voiture de demain, ce serait sûrement la fonction sécurité de l’E-Active Body control, tant il est dangereux de se prendre une bagnole dans les portières.
Bon, je suis loin d’avoir détaillé tous les équipements disponibles sur la Maybach-Classe S, mais tel n’était pas mon propos. Je laisse ça au chef de produit concerné, celui qui n’a pas relu l’intégralité du communiqué (mais à qui j’exprime ma solidarité pour avoir exercé son métier). Ce qui est sûr, c’est que si je disposais de la fortune d’Edward, je me commanderais une Maybach (Rouge Patagonie brillant, jantes 20 pouces, Cuir Nappa Blanc Cristal et Gris Argenté Perle à 16.200 euros, inserts décoratifs en peuplier anthracite à pores ouverts et First Class package à 42.200 euros s’il vous plaît). Après tout, et comme écrivait Jules Renard dans son journal en date du 26 décembre 1905 : "Si l’argent ne fait pas le bonheur, rendez-le".
En attendant de pouvoir signer le chèque, je vous laisse pour retourner jouer avec le configurateur de la Mercothèque. Parce que je suis sûr qu’il y a encore plein de trucs formidables qui m’ont échappé.
[1] Que la lumière soit.
[2] Et la lumière fut.