31/08/2023 - #Tesla , #Mg , #Ford
La balade de Jim
Par Jean-Philippe Thery
Pour cette semaine de (re)prise, c’est un voyage au long cour(ant) pour gens câblés que je vous propose.
En période de vacances, on aligne les bornes.
Certains plus que d’autres, quand non contents d’opter pour une destination lointaine, ils ont choisi ce qu’on désigne désormais comme "électromobilité" dans les dîners en ville, ou plus souvent devant un sandwich cellophané dégusté à la table haute d’une station-service. Et quand même après avoir consciencieusement mastiqué une golden à 2 euros pièce en guise de dessert, il reste souvent un peu de temps avant que le pack de batteries n’atteigne 80% de charge, les automobilistes branchés uploadent volontiers leur ennui sur réseaux éclectiques à haute tension -sociale évidemment- pendant que Titine tète l’électron à haut débit.
Ça nous vaut un nombre croissant de publications semblables à celle placardée sur le mur de ma page LinkedIn le 4 août dernier. Intitulée "retour d’expérience", celle-ci avait pour théâtre l’aire autoroutière de Mâcon Saint-Albain, avec pour illustration la photo de quatre "elektroautos (autrement dit, de fabrication allemande), le fil à la patte, dont il était indiqué qu’elles rechargeaient "paisiblement". Sans doute faut-il voir dans cette ultime précision un peu curieuse une allusion à l’horaire tardif (ou tôtif selon vos références), puisque le cliché avait été saisi à une heure du mat. A moins qu’il n’ait été question de tacler gentiment des "thermistes" contraints de supporter le bruit assourdissant d’une pompe à combustible au moment d’administrer son shoot carboné à leur auto accro à l’hydrocarbure.
Mais l’essentiel résidait dans le petit laïus un brin pontifiant par lequel l’autrice précisait qu’"en 2023, faire de longs trajets en voiture électrique n'effraie plus", assertion justifiée par "l’expérience d’une connexion facile et sans badge". Une aventure d’autant plus électrisante qu’elle annonce un futur radieux dans lequel il sera possible de payer par carte bancaire (un truc inventé en 1974), et -tenez-vous bien- de connaître les tarifs à l’avance. S’y ajoutaient les inévitables commentaires de bas de page, donnant lieu à une véritable surenchère sur le thème de celui qui possède la plus longue (autonomie bien sûr), entre les salutations d’un vacancier "à mille kilomètres de chez lui" et le discours un brin philosophique du conducteur de Zoé II, rappelant pêle-mêle que le voyage importe plus que la destination, que la vie est belle à 110 km/h sur autoroute, et que le premier arrêt recharge à Nevers après le départ de Paris lui avait permis de découvrir les charmes de la préfecture nivernaise.
Nul doute que si vous avez une existence online (ce que vous ne pouvez nier puisque vous lisez cette chronique), vous aussi avez vu défiler des publication du même type. Un genre auquel souscrivent également certains médias spécialisés, comme celui qui a récemment relaté les 3.400 km de vacances estivales de Kevin, lequel a -ça tombe bien- photographié sa MG4 à toutes les stations de recharge visitées lors de son périple (en même temps, faut bien s’occuper). Un voyage entrepris autant pour rejoindre son lieu de villégiature que pour prouver à la face du monde thermique qu’il est possible de voyager loin avec des batteries.
Au stade où nous en sommes, je ne vois pas pourquoi je ne placerais pas moi aussi mon anecdote personnelle, ou plutôt celle d’un sympathique collègue de travail qui à l’heure du plateau repas à la cantoche, m’a fait part de la facilité déconcertante -y compris pour lui- avec laquelle il a rejoint sa Roumanie natale au volant d’une Ford Mustang Mach-E. Un étonnement doublé d’un certain soulagement, puisque son trajet empruntait la célèbre "Transfăgărășan", qualifiée ni plus ni moins que de "meilleure route au monde" par Jeremy Clarkson lors du tournage d’un épisode de "Top Gear" en 2009, mais d’autant moins favorable aux voitures à électrons qu’elle culmine à 2.042 mètres d’altitude. Et même s’il a reconnu fort honnêtement avoir expérimenté les symptômes typiques de la "range anxiety", celui-ci a tout de même démontré que nul n’était besoin d’être un génie des Carpathes pour en parcourir les 150 km, puisqu’il est parvenu à rejoindre le sommet sans encombre, avant d’entamer une descente favorable à la recharge spontanée, par la grâce du freinage régénératif.
Evidemment, je n’ai aucune raison de mettre en doute le témoignage de l’homme à la Mustang que je croise suffisamment au quotidien pour en garantir la probité intellectuelle. Mais à bien y réfléchir, je ne dispose pas non plus d’éléments me permettant de contester le récit des conducteurs de MG, Tesla, Zoé ou autres modèles à électrons qui s’épanchent en ligne. Et ça tombe bien, puisque je ne doute pas un seul instant qu’avec les plus de 100.000 bornes de recharge publiques disséminées sur l’Hexagone, ou le demi-million d’entre elles disponibles au sein de l’UE, il soit possible de traverser sans drame de vastes territoires à bord d’une auto à batteries. Sans doute parce que je n’attribue pas à ma courte expérience personnelle en la matière - racontée dans "une Chinoise très cathodique"- plus de portée qu’elle n’en mérite.
Avec probablement une certaine dose d’ingénuité, j’apprécierais d’ailleurs que certains en fassent autant. Il s’agit évidemment d’un vœu pieux à l’heure où l’érection de l’histoire individuelle en règle générale est semble-t-il précisément devenue la règle. Avec si possible un rien de commisération à l’égard des représentants de la tribu des obsolètes qui n’ont pas encore opéré leur transition et qui n’ont décidément rien compris à la vie, puisque "si je peux le faire, ils doivent forcément s’y mettre". Notez au passage qu’en la matière, je renvoie volontiers dos à dos les EV-angélistes comme les anti-VE, partageant plus qu’ils ne veulent bien le croire quand il font preuve du même ostracisme.
Mais qu’on le veuille on non, l’usage d’un VE impose des contraintes auxquelles ne sont pas soumis les thermiques, que les publications en faveur du premier n’occultent d’ailleurs pas forcément, entre les 110 km/h de l’homme à la Zoé, les 7 cartes de réseau de chargement que trimballe Kévin, et la nécessaire planification dont tous les fans d’électro font état. Un changement de paradigme à l’usage que chacun est libre d’apprécier à sa façon entre asservissement rédhibitoire pour les uns ou nouvelle donne ludique pour les autres, mais qu’il est vain de nier si on veut précisément convaincre le plus grand nombre d’y adhérer. Et c’est justement le défi auquel sont confrontés les constructeurs automobiles -dont on rappellera qu’ils ont massivement investi dans l’électrification- que de mettre des consommateurs "mainstream" au jus, afin de faire décoller la part des VEB au-dessus des 15% auxquels elle semble scotchée depuis l’année dernière en Europe.
Un qui l’a bien compris, c’est Jim.
Parce qu’il est confronté à la même réalité de l’autre côté de l’Atlantique -avec une "market share" de 7% plus faible encore, nul doute que Monsieur Farley -vous aurez reconnu le CEO de Ford- connait les chiffres dans le détail, entre nombre de points de recharge disponible, taux de panne des chargeurs -semble-t-il pas négligeable- temps moyen de recharge à haute puissance ou pas, et autres "KPI" du même acabit. Et c’est pourquoi Jim a décidé de toucher la réalité du doigt en prenant le volant d’un F-150 Lightning pour effectuer un périple électrique en "chauffant" la mythique Route 66.
Je ne suis évidemment pas assez naïf pour ignorer ce que l’opération comporte de communication, mais il n’empêche : Jim a lui-même reconnu avoir subi un "reality check" (ou "reality shock" ?) après avoir expérimenté les déboires auxquels sont parfois confrontés les pionniers de l’électrification en proie à des chargeurs bornés. Et il est semble-t-il rentré à Dearborn avec pas mal de notes sur les modifications que devra subir le pick-up à batteries maison pour améliorer l’expérience client.
C’est d’ailleurs moi aussi ce que je retiendrai : tant qu’à lire des historiettes à charge, la balade de Jim est sans doute ma préférée. Parce que non seulement son auteur en connait la valeur illustrative, mais aussi parce qu’il en fera certainement quelque chose.