21/07/2022
k-Pop Car
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous emmène du sud de la Scandinavie à l’est de l’Asie en passant par le Brésil. Le tout au son de rythmes nouveaux…
Une fois n’est pas coutume, je vais débuter cette chronique par un conseil véritablement utile.
Si vous louez une voiture au Danemark, réservez-là sur le site local de la compagnie. Ça pourrait vous coûter deux fois mon cher, ce qui est particulièrement appréciable dans l’un des pays au niveau de vie les plus élevés d’Europe. Entre le parcours préalablement effectué sur le site français, la voisine de table suédoise qui m’a filé un coup de main dans le café où je me trouvais et Google translator, j’ai testé pour vous, même sans parler le viking couramment.
En plus, j’ai été upgradé. "Sikker !" ai-je répondu à l’hôte d’accueil qui me proposait un modèle avec boîte manuelle, m’expliquant que ses voitures à levier ne roulaient pas assez. Et comme ça veut dire "bien sûr" en danois, c’est comme ça que je me suis retrouvé une dizaine de minutes plus tard devant une superbe coréenne garée devant le trottoir de l’agence.
J’ai bien dit superbe.
Même si la jolie teinte "Infra Red" métallisée n’y était pas pour rien, la Kia XCeed constitue en effet un exemple réussi de métissage automobile, entre berline haute, coupé, break (de chasse ou pas) et SUV. Autrement dit, la vraie définition de ce qui constitue un Crossover, terme habituellement galvaudé pour la promotion de Sport Utes édulcorés. Et bien que d’un style moins original que celui de l’extérieur, l’habitacle ne m’a pas déçu avec des matériaux de bonne facture, une qualité d’assemblage matchant des jeux de carrosserie serrés une spécialité des productions coréennes et un niveau d’équipement qui m’a paru excellent pour la catégorie.
Bien que ce ne soit pas l’objet de cette chronique, laissez-moi jouer aux essayeurs le temps d’un paragraphe, en débutant néanmoins par la "mouche dans la pommade" sous la forme d’un moteur pas très pêchu et mal servi par une transmission longue comme un jour sans smørrebrød (le pain de seigle grillé local). Ne m’en demandez pas plus concernant ses caractéristiques, que j’ai d’autant moins cherché à vérifier que l’ensemble m’a paru tout à fait acceptable pour relier le Danemark à la Suède sans se faire arraisonner par la Politiet ou Polis locale, un excès de vitesse étant vite arrivé sur ces routes-là. Pour le reste, j’ai à peu près tout apprécié, de la commande de boîte d’un maniement très plaisant à la tablette centrale aux menus amicaux et secondée par de vrais boutons pour les fonctions les plus utiles –neutralisation du "lane assist" comprise- en passant par le confort des sièges dans lesquels je me serais presque laissé aller au hygge, ce sentiment de bien-être typiquement nordique pas vraiment traduisible.
Bon, pas sûr que pour sélectionner votre prochaine automobile, vous deviez compter sur un chroniqueur qui divague sans avoir ouvert le capot, consulté les tarifs ou les fiches techniques de la concurrence. Sans compter que si la XCeed semble constituer un objet plutôt rare sur nos routes, c’est qu’il y a probablement une raison. Mais peu importe puisque tel n’est pas le propos de ce papier, et que ma Kia d’un jour m’a non seulement transporté, mais également inspiré plusieurs réflexions que je vous livre ici.
Et je commence par deux ou trois flashbacks
La première voiture coréenne que je me souviens avoir conduite était justement une Kia, ou plutôt un Kia. Ce jour-là, j’ai dû descendre du Besta à bord duquel je me trouvais afin de convaincre le gardien de l’immeuble où je résidais à São-Paulo que c’était bien l’un de ses résidents qui sollicitait l’accès au garage. Il faut dire que le petit utilitaire que je testais pour les besoins de mon job était alors le modèle de prédilection des vendeurs ambulants de hamburgers et "cachorro quente" (le chien chaud à la brésilienne), mais pas forcément prisé des habitants fortunés de "Jardim Paulista". J’ai d’ailleurs récupéré ma Renault de fonction dès le lendemain, le trajet bureau-domicile et retour ayant suffi à me convaincre des "qualités" de l’engin, et notamment qu’en cas de choc frontal la distance entre mon nez et le pare-brise vertical à l’aplomb du pare-chocs ne m’éviterait pas de ressembler à la cargaison qu’il avait coutume d’emmener.
Plus tard, il y eu la Hyundai de ma compagne d’alors, qui bien que travaillant pour l’importateur de la marque ne bénéficiait pas d’une voiture de service des plus reluisantes, même si sa "Pony-car" à la suspension prématurément rincée par l’asphalte à trous locale avait le mérite d’exister, surtout pour nous emmener le weekend à la plage de Guarujá. A bien y réfléchir, elle était d’ailleurs plutôt en meilleur état que l’exemplaire du même modèle loué deux ou trois ans avant à Punta del Este, alors que je passais la fin de l’année en Uruguay , même si mes amis de réveillon et moi étions plutôt contents de l’avoir récupérée après avoir trois jours à se trimbaler sur des scooters anémiques. Au royaume des aveugles…
C’est au Tucson que j’eu à faire plus tard encore, mais cette fois-ci sur Excel (le tableur, pas la voiture). Pour définir le pricing du Nissan X-Trail que je m’apprêtais à lancer, j’avais en effet ciblé le SUV de chez Hyundai dans une version 4x4 mieux équipée que le nôtre, mais à la réputation moins flatteuse. Pionnier du genre, la première génération du modèle japonais constituait alors la référence du marché, ce qui était plutôt confortable pour le Chef de Produit de service qui pouvait se permettre de tarifer un supplément d’image.
Aujourd’hui ce sont les habitants des beaux quartiers qui roulent en Kia à Sampa, l’ex-copine conduit sans doute dans une voiture en meilleur état que celle d’alors et je ne suis pas sûr que le "pricing power" de Nissan soit encore à son avantage comparé à celui des productions de Busan. Quant à la dernière coréenne que j’ai louée et dont je viens de vous parler, non seulement elle était flambante neuve, mais elle pourrait bien figurer dans mon shopping basket personnel si je projetais d’acheter un véhicule de la catégorie, ce que je n’aurais jamais pu imaginer une vingtaine d’années auparavant.
Et je ne suis apparemment pas le seul à en croire le ranking des immatriculations en Europe sur le premier semestre de l’année. Parce que si vous lisez assidûment Autoactu, il ne vous aura pas échappé qu’avec 10% de parts de marché, le Groupe Hyundai-Kia vient de dépasser Renault (qui doit se contenter de 8,7%), auquel il ravit la troisième place derrière Volkswagen (24,2%) et Stellantis (19,2%). Certes, on pourra invoquer la crise des semi-conducteurs, le conflit russo-ukrainien ou l’âge de je ne sais quel capitaine d’industrie, mais ça n’enlèvera rien au résultat des deux marques, qui s’est construit au cours des deux ou trois dernières décennies.
Si au début de cette même période, on avait interrogé l’ado que j’étais sur ses connaissances à propos de la Corée du Sud, il y a fort à parier que j’aurais fait pâle figure par rapport à ce que m’en racontent aujourd’hui Aude et Carolina. Distantes de quelques milliers de kilomètres, autant la fille d’un ami français que la nièce de mon épouse carioca en connaissent en effet un rayon sur celle qui représente aujourd’hui la quatorzième économie du monde avec à peine 52 millions d’habitants. Et que la plupart des ados de leur âge montrent le même intérêt pour un pays autrefois si discret n’est sans doute pas sans rapport avec le succès de la K-Pop.
Puisqu’on en est aux coups de vieux, laissez-moi d’ailleurs vous rappeler que la vidéo de "Gangnam Style" à laquelle vous ne pouvez décemment pas avoir échappé, commémorait le 15 juillet dernier les 10 ans de sa mise en ligne sur YouTube. Et nul doute que le clip parodique moquant les habitudes des nouveaux riches de Séoul a constitué pour nombre d’entre vous leur premier contact avec un style musical qui démarrait à peine sa conquête du monde occidental, après s’être imposé dans l’Asie du Sud-est. Pourtant, le succès massif obtenu par Psy -son instigateur- était selon ses dires, fortuit, et ne répondait pas forcément au cahier des charges habituels de la k-Pop
Il faut dire qu’en Corée sans doute plus qu’ailleurs les hits du cru sont désormais conçus pour être pops mais pas locaux, construits comme des produits destinés à conquérir -littéralement- le monde. Du recrutement des boys ou girls qui composent les "band" au look codifié à l’extrême qu’ils arborent, en passant par les danses chorégraphiées au millimètre ou des textes composés dans un anglais qu’on demande à leurs interprètes de maitriser à la perfection, rien, absolument rien n’est laissé au hasard. On pourra regretter cette conception peu spontanée de l’art musical et vous n’êtes pas obligés d’aimer, mais force est de reconnaître la qualité du travail énorme qu’il suppose, qui fait d’ailleurs débat tant la pression qui pèse sur les épaules de très jeunes employés-artistes est importante. Allez boomer, fais un petit effort et va youtuber les tubes de groupes comme "Noir" ou "Brown Eyed Girls". Inutile de te cacher puisqu’il y a sûrement dans ton entourage des Aude ou autres Carolina qui seront trop contentes de te surprendre à te trémousser sur des rythmes k-Pop.
En fait, tout ça me rappelle la démarche qui a présidé à la conception de la HB20 destinée au Brésil. Pour son entrée dans le segment B, le plus important du pays de la Samba, Hyundai aurait pu comme la plupart des constructeurs se contenter d’adapter la i20 européenne aux conditions du réseau routier local avant de la "dé-contenter" le plus discrètement possible afin d’assurer sa viabilité économique sans fâcher ses clients potentiels. Mais la voiture n’aurait sûrement pas connu le succès qui fut le sien sans la méthode empreinte d’humilité employée par les décideurs de la marque coréenne, au sujet de laquelle je me souviens d’avoir lu le papier publié par un journaliste spécialisé du pays. Celui-ci y expliquait comment lui et plusieurs de ses confrères avaient été conviés 4 ou 5 ans auparavant à participer d’une discussion à bâtons rompus avec des représentants du top management de la marque, dépêchés tout exprès de Corée pour mieux comprendre le marché et ses clients. Et s’il avouait s’être alors posé des questions sur le sens de cette initiative de la part de gens qui parlaient peu mais écoutaient beaucoup, il reconnaissait l’avoir comprise en découvrant le modèle, qui propulsa Hyundai aux premières lignes des charts dans les années qui suivirent.
Les voitures coréennes sont devenues k-Pop, et pas qu’au Brésil. Un succès mondial justifiant la décomplexion totale de marques qui n’hésitent pas à revisiter leur passé, quitte à le réinventer. A regarder les concept-cars Grandeur et Pony mâtinés de resto-mod présentés l’année dernière par Hyundai, on en arrive en effet à oublier que l’image des modèles auxquels il est fait allusion n’était guère brillante en dehors de leur pays d’origine à l’époque où ils étaient commercialisés. Mais comment ne pas apprécier pour autant le coupé sportif N Vision74 à peine révélé, rendant lui aussi hommage dans le style comme dans son appellation à la Pony de 1974 ?
Il n’est d’ailleurs pas question que de nostalgie pour nos ex-constructeurs d’éconobox, qui s’attaquent aussi aux véhicules performants. Kia n’a ainsi pas hésité à débaucher Albert Biermann, ex VP Ingénierie de la division M de BMW, afin de s’assurer que sa Stinger lancée en 2017 bénéficierait des qualités dynamiques suggérées par son patronyme. Et Hyundai est désormais fournisseur officiel des nostalgiques de l’époque GTI avec sa gamme "N" faisant ni plus ni moins référence au circuit du "Nürburgring" où les amateurs du genre peuvent encore tourner en rond en toute légalité. Même le segment du prestige n’est plus à l’abri de leurs convoitises, puisque le prochain Lexus pourrait bien être coréen si la marque Genesis atteint ses objectifs, là où Infiniti et Acura n’ont pas vraiment réussi.
Et puis il y a le futur, zéro émissions comme chacun le sait. Il ne vous aura pas échappé qu’avec les Ioniq 5 et 6, Hyundai a su inventer un véritable langage visuel électrique là où la plupart des constructeurs se contentent de reprendre les codes stylistiques habituels des modèles à combustion, Kia ayant réussi avec l’EV6 à développer sur la même base un modèle montrant une personnalité distincte. Des autos esthétiquement audacieuses qui font aussi joli dans les rankings commerciaux, en Europe ou ailleurs. Bref, à l’heure où le monde automobile européen tremble devant le nouveau "péril jaune" incarné par les constructeurs chinois, quelque chose me dit que les Coréens nous préparent des matins pas tout à fait calmes.
Vous l’aurez vous-même constaté : mon récent voyage en Kia a largement XCeedé les limites des 42 km reliant Copenhague à Malmö, même si je ne me rappelle pas que la radio ait diffusé le moindre morceau de k-pop.
Mais qui si la prochaine fois que je me rendrai dans les pays nordiques, je ne louerai pas une voiture Ioniq…