02/03/2023 - #Man , #Porsche , #Skoda , #Fiat
Houses of Cars
Par Jean-Philippe Thery
C’est de béton dont je vous cause aujourd’hui. Mais aussi de métal, plastique et tout ce qui sert à faire une voiture. Sans oublier Jean-Paul.
Quand j’étais grand, je voulais être architecte.
Pour de vrai, puisque mon dossier a été accepté à l’ENSAL, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon pour les intimes. Mais ayant finalement préféré un établissement dont l’évocation provoque l’admiration chez certains et des poussées d’urticaire chez d’autres, j’ai dû renoncer à mes rêves d’incarner le nouveau Jean Nouvel. En même temps, c’est probablement dans l’édition française d’Architectural Digest plutôt que sur Autoactu que je publierais mes chroniques du jeudi si j’avais choisi cette voie-là. Je vous laisse juge de savoir si vous avez gagné au change.
Quoi qu’il en soit, et à défaut d’une vraie culture en la matière, j’ai tout de même gardé le goût des bâtiments, et du béton. Peut-être ne devrais-je pas l’avouer publiquement en ces temps de chasse au CO2, mais le fait est que je suis adepte de réalisation faisant appel à la deuxième substance la plus consommée au monde après l’eau, comme de styles qui ne sont pas forcément du goût de tout le monde.
C’est ainsi qu’on trouve au milieu des bouquins de bagnole de ma bibliothèque un ouvrage intitulé "CCCP" pour "Cosmic Communist Constructions Photographed". Si comme moi, vous aimez les édifices qui font dans le brutal(isme), au pied desquels stationnaient les camarades en Lada, Skoda ou Tatra, je ne puis que vous le recommander. Quant aux autres, inutile de me voir en rouge, puisque tout ça reste purement architectural.
Au fait, pas mal le titre de cette chronique, non ? Mais avant que vous ne pensiez que je donne dans l’autocongratulation, sachez qu’il n’est malheureusement pas de moi puisqu’il s’agit de l’intitulé d’une de mes pages Facebook préférées. Il faut dire que son auteur a eu le bon goût de la mettre en ligne un 19 septembre, date qui comme chacun le sait correspond à l’anniversaire de Ferry Porsche (et accessoirement le mien). Mais surtout, notre homme a le sens de la formule, qui consiste à publier conjointement un bâtiment et une automobile (on s’en serait douté), mais aussi d’y ajouter des références cinématographiques et musicales pour une année considérée. De quoi nous rappeler que les réseaux sociaux peuvent aussi se montrer intéressants et vecteurs de culture.
C’est d’ailleurs l’une des publications de Houses of Cars qui m’a donné l’opportunité de revoir il y a quelque temps la superbe Villa Savoye, véritable manifeste en ciment armé des cinq principes de l’architecture moderne édictés en 1927 par Le Corbusier -qui en est évidemment l’auteur- entre pilotis, toit-jardin, plan libre, fenêtres bandeau et façade libre.
Une proclamation magnifique mais pas vraiment habitable puisqu’en l’absence à l’époque de matériaux appropriés, sa conception la rendait sujette aux fissures et fuites d’eau, difficile à chauffer, et plutôt sonore. A tel point que Madame Savoye mit en demeure le Corbusier de faire le nécessaire sous peine de poursuites légales, mais j’avoue ignorer si elle mit sa menaces à exécution.
Pourtant, celle qui fut occupée par les Allemands puis les Américains pendant la guerre, avant de servir de réserve à grains puis de MJC, fut classée monument historique dès 1964, alors que -fait rien moins qu’exceptionnel - le célèbre architecte franco-suisse était encore vivant. Et puisque je suis aujourd’hui enclin aux recommandations, je ne puis que vous inciter à vous rendre au 82 rue de Villiers à Poissy, en évitant néanmoins le lundi. Et si vous suivez mon conseil, n’oubliez pas d’observer le rez-de-chaussée, formant un socle situé en net retrait par rapport aux façade en étage, et dont le dessin partiellement cylindrique contrastant avec le reste de la construction a été pensé pour qu’une auto puisse en effectuer le tour en évitant toute manœuvre inutile. Il se dit en effet que Monsieur Savoye n’appréciait guère de faire marche arrière.
Parmi les différentes automobiles apparaissant sur la publication de Houses Of Cars consacrée à celle que ses propriétaires avaient baptisé "Les heures claires", on note une paire de Voisin, modèles C11 et C14. Un choix on ne peut plus approprié, puisque non seulement ces autos sont contemporaines de la Villa, mais aussi parce que la deuxième d’entre elles fut la voiture personnelle de Le Corbusier.
Et si le choix d’une représentante des productions avant-gardistes de Gabriel Voisin -pionnier de l’aviation avant de devenir constructeur automobile- ne surprendra pas, on ne peut s’empêcher de remarquer sur les superbes photos réalisées par Xavier de Nombel à quel point celle-ci paraît surannée en comparaison du bâtiment.
Voilà qui m’a toujours surpris. L’automobile, cet objet ô combien moderne qui a sans doute défini avec l’avion ce que fut le XXe siècle parait pourtant souvent décalée par rapport aux réalisations architecturales de son temps. Pour ne pas rester que sur un exemple unique, comparez donc la résidence "Westhope" construite en 1929 à Tulsa (Oklahoma) sous l’égide de Frank Lloyd Wright avec la sublime Cord L-29 sortie la même année dont il se rendit acquéreur. Je ne sais pas ce que vous en penserez en regardant les photos en bas de page, mais ces deux-là me donnent le sentiment de ne pas appartenir à la même époque.
Mais puisqu’il est question d’architecture et d’automobiles, il faut que je vous parle de l’ami Jean-Paul. Un gars que j’ai rencontré à la fin du siècle dernier alors que j’habitais à Curitiba dans un appartement tout en longueur affichant tout de même 220 m² de superficie (sans doute moins s’il avait été mesuré par Monsieur Carrez), et dont on pouvait légitimement se demander si le plan était vaguement passé dans les mains d’un architecte diplômé d’Etat. Avec la salle de bain située à une extrémité et le chauffe-eau à l’opposé, je gaspillais des quantités indécentes de flotte en hiver (durant lequel il peut faire véritablement froid dans le sud du Brésil), en attendant que celle-ci ne me parvienne enfin chaude. En revanche, la seule douche située à proximité de ce qui constituait une véritable citerne était électrique, sous prétexte qu’il s’agissait de celle destinée à l’employée de maison.
Jean-Paul n’aurait évidemment jamais laissé passer un truc pareil, même si c’est évidemment d’architecture automobile dont il s’occupait, et non point de bâtiment. Moi qui sortait de l’activité très spécifique des études clientèle, je découvrais alors avec l’expatriation un monde nouveau. Et je ne parle pas que du pays, mais aussi de l’ensemble des activités et professions impliquées dans la conception d’une automobile, et dont j’ignorais pour certaines d’entre elles jusqu’à l’existence. Pourtant, si je m’étais alors intéressé à la définition de l’architecture, j’aurais découvert que celle-ci ne constitue pas uniquement l’art de dessiner les bâtiments, mais qu’elle concerne de façon générique l’organisation de l’espace à toute échelle, principalement de celui ou vit l’être humain. Ce qui comprend bien sûr l’automobile.
J’ai d’autant plus apprécié de collaborer avec Jean-Paul qu’il parait difficile d’imaginer collègue plus affable. Jamais je n’ai vu celui-ci mettre en avant les années dont il disposait dans son métier autrement que par la transmission à la fois patiente et passionnante de son expérience. C’était un régal que de l’écouter, s’exprimant d’une voie posée mais pas moins empreinte d’enthousiasme, avec cette pointe d’accent du sud qui transformait en musique la plus technique des démonstrations.
Dommage que le projet sur lequel nous avons travaillé ensemble n’ait pas abouti. La Clio Pickup aurait été le premier modèle à disposer d’une cabine allongée dans le segment B, architecture ayant permis ultérieurement à la Fiat Strada d’en occuper un leadership qu’elle n’a jamais lâché jusqu’à aujourd’hui. Jean-Paul avait même réussi à y loger deux strapontins pour des passagers occasionnels et recroquevillés. Et comme il n’était pas à cours d’imagination, une petite trappe localisée sur la cloison arrière permettait d’emporter un objet plus long que la benne en le laissant pénétrer l’habitacle.
Tel que je le connais, et si Jean-Paul est aujourd’hui rangé des voitures, l’architecte n’est pas du genre à rester à la maison sous prétexte de retraite. Et comme il suit évidemment de près l’actualité de l’automobile, il n’ignore pas qu’on parle également communément d’architecture dans un domaine qui a récemment envahi l’automobile, à tel point qu’il est désormais question de véhicule définit par logiciel, ou "SDV" ("Software Defined Vehicle" pour reprendre l’anglicisme plus communément utilisé).
Durant la dernière édition du CES à Las Vegas (le "Consumer Electronic Show", bien qu’il s’adresse depuis cette année exclusivement aux professionnels), on ne parlait que de ça. Equivalent sur quatre roues du "SDN" ("Software Defined Network" et non pas Société des Nations), le SDV substitue à la conception traditionnelle de l’automobile associant un logiciel et un calculateur pour chacune de ses fonctions, une architecture électronique centralisée. Ça permet d’effectuer des actualisations à distance ou "OTA" (over the Air), et c’est particulièrement adapté aux véhicules électriques au système de gestion de batteries ou "BMS" ("Battery Management System") particulièrement gourmands en lignes de programme et puissance de calcul.
Tous ces anglicismes acronymés vous échappent ? Alors retenez surtout que ça secoue sérieusement le landernau des constructeurs automobiles plutôt habitué à travailler dans le "hard" et dont ce n’est pas le métier d’origine. Tous s’interrogent aujourd’hui sur ce qu’il convient de concevoir en interne, ou de confier à des partenaires issus des secteurs de la technologie, lesquels voient dans la bagnole un marché juteux qu’il convient de ne pas laisser échapper. Pour les constructeurs, il s’agit à la fois de gérer au mieux les investissements conséquents qu’impose le SDV, mais aussi de maximiser les recettes attendues des différents services embarqués pour lesquels on espère que l’automobiliste du XXIe siècle est prêt à bourse délier sur la base d’abonnements mensuels.
Bref, on n’a pas fini de parler architecture en matière d’automobile. Mais si vous la préférez en version analogique, allez donc jeter un coup d’œil sur Houses Of Cars.