12/01/2023 - #Audi , #Peugeot , #Skoda , #Fiat
Good bye Berlin(e)
Par Jean-Philippe Thery
C’est l’histoire d’une chronique que je n’ai jamais écrite, mais que je vous propose pourtant de lire aujourd’hui…
Après dix mois de vie sur place, je me suis fait la malle de Berlin à la fin du beau mois de mai, avec Karl et bagages (Karl, c’est la superbe Mercedes C200 mit Kompressor que j’ai achetée sur place à Frau Doris, charmante dame qui l’avait acquise neuve en 2006). Ayant fait mes adieux à la capitale allemande, je m’étais promis de vous livrer par écrit quelques tranches de vie automobile locales. Mais voilà, je suis passé à autre chose, et je ne l’ai pas fait. Alors ce que vous êtes en train de lire, c’est la chronique que je n’ai pas rédigée.
Et on commence par l’habituelle séance paléontologique puisque Berlin, c’est la ville des berlines. Des coupés, breaks et cabriolets aussi me rétorquera-t-on sans doute. Sauf que ceux-là n’y ont pas été inventés, contrairement à la voiture hippomobile suspendue et munie de glaces latérales construite vers 1670 à l’intention du Prince électeur de Brandebourg, et qu’on dénomma d’après sa ville d’origine. Mais si le terme est resté chez nous, il n’a néanmoins plus cours à Berlin (bien que les avenues y soient fort larges). En revanche, on y donne dans la limousine à tout va, bien que le mot trouve son origine -vous m’avez vu arriver avec de gros sabots- dans le limousin, où on l’emploie plutôt vachement mais pas forcément pour les autos. Il faut dire que pour une raison dont je n’ai pu trouver l’origine, les berlines ont fini par désigner les voitures (à cheval, puis à cheval-vapeur) pourvues de deux ouvrants vitrés latéraux, la limousine en comptant trois. Et comme les Allemands sont du genre carré, le moindre bout de vitre triangulaire est pris en compte, suffisant à qualifier de limousine toute auto qui en est pourvue (soit un peu près toutes), ou de "Kombo-limousine" dans le cas de bicorps comme la Golf. Rien de tout cela chez nous où l’on réserve son usage à de rares modèles allonges façon teckel, ce dernier n’étant autre que la version à empattement long du basset…Allemand. Avec tout ce savoir, vous voilà sérieusement équipé(e) pour le prochain dîner en ville.
Il n’empêche qu’à Berlin, on n’a pas forcément besoin de berline. D’ailleurs, et quitte à être accusé d’être passé du côté obscur de la force, force m’est de reconnaître que durant mon séjour, j’y ai largement pratiqué les transports en commun, et la micromobilité façon bicycle ou même trottinette. Mais avant d’être envoyé sur la planète Tataouine pour haute trahison à la cause motorisé, laissez-moi vous rappeler qu’avec 4.200 habitants au km², la densité de la ville allemande pourtant la plus peuplée est presque cinq fois moindre que celle de Paris, qui en compte 20.545. Il faut dire que celle-ci accueille 3,5 millions de citoyens à peine sur 892 km², surface 10% supérieure à celle de la métropole du Grand Paris qui abrite 7 millions d'âmes. Quant à la région métropolitaine de Berlin-Brandebourg, ses quelques 6,2 millions d’habitants disposent de plus de 30.000 km² pour s’ébattre, correspondant à une densité de 195 individus par km². Pour le dîner en ville, je vous conseille de prendre des notes.
Voilà pourtant le genre de données qu’oublient systématiquement d’évoquer ceux qui prennent exemple sur un certain nombre de cités du nord de l’Europe quand ils proposent de mettre en place une voie pour chaque mode de transport dans la capitale parisienne. En comparaison, il y a donc de la place pour tout le monde à Berlin, même si les cyclistes râlent après les automobilistes qui pestent contre les cyclistes à l’encontre desquels vitupèrent les piétons. Moi, j’enverrais volontiers un certain nombre d’entre eux en stage à São Paulo, histoire qu’ils prennent conscience du bonheur qui est le leur. Particulièrement certains vélocipédistes qui n’hésitaient pas à me frôler ou m’haranguer bruyamment quand par manque d’habitude, je m’oubliais un peu sur les pistes cyclables empruntant les trottoirs, matérialisées par un simple marquage au sol. Ceux-là même qui infligent au piéton le type de traitement qu’ils se plaignent de recevoir des automobilistes.
Quoi qu’il en soit, à Berlin, on roule à 30. Heureusement, pas partout et plutôt la nuit. On appelle ça "Lärmschuttz", autrement dit "protection sonore", et ça fait bizarre à l’automobiliste nouvellement arrivé, qui se voit contraint de se trainer aux heures où les rues sont désertes, afin de protéger le sommeil des berlinois. L’histoire ne dit pas si la limitation sera relevée quand le parc sera totalement électrifié, quelque part après 2060. Cela dit, les radars -fixes ou mobiles- y sont beaucoup moins nombreux qu’à Lutèce, et quelque chose me dit que le tachymètre des limousines locales n’est pas tout à fait calibré comme les nôtres. Moi, je me contentais de suivre le flux…
A Berlin, ça "youngtimer" à donf, et pas seulement dans les « rassos », puisque nombre d’autos des années 80 et 90 sont encore en activité, pratiquant le navettage au quotient. Bien zur, les Benz et Bimmer se taillent la part de l’ours (sympathique symbole de la ville), et les E30 ou W123 sont légion (que le lecteur non-initié se reporte aux photos de bas de page, puisque dans le milieu, on parle en code). Je me souviens également d’un break W124 encore vert -c’était d’ailleurs sa couleur- régulièrement stationné dans mon quartier, avec un moteur de hors-bord stocké dans le coffre, alors que je ne manquais jamais de jeter un œil à l’Audi 200 Turbo que je croisai régulièrement en allant faire mes courses. Mais se trouvaient également dans le coin une Peugeot 306 Cab dans un état tout à fait respectable, ainsi qu’un break Volvo 740 rouge brique (ça tombe bien). Et c’est à Berlin que j’ai croisé la plus belle Fiat Panda 4x4 qu’il m’ait été donné d’admirer depuis les années 80. Pourtant, une ZFE a bien été mise en place, mais qui vise plutôt les véhicules à particules les moins nobles, autrement dit ceux mus par un diesel sans FAP. A Berlin, on n’achève pas bien les vieux chevaux, et c’est tant mieux.
A Berlin, les roues sont moches l’hiver. C’est la faute des pneus neige que nombre d’automobilistes s’empressent de chausser dès l’apparition des premiers frimas hivernaux (vers fin août début septembre diront les mauvaises langues). C’est donc jantes tôle noire pour tout le monde, comme une façon de réaffirmer l’austérité qui convient à la saison et à l’air du temps. Mais si c’est cohérent sur une vieille Polo de base, ça fait tout de même moche sur des Audi, Benz et Béhème rutilantes.
A Berlin, ça caille, mais y’a des cabs partout. Non, pas les taxis, mais les "kabrio". Parce que lorsque le soleil est plus rare, on a forcément envie d’en profiter, ce qui explique le succès des carrosseries découvrable dans le nord de l’Europe, alors que dans le sud de l’Espagne en plein été, on rêve plutôt d’habitacle climatisé. Allez, je vous donne un truc : si vous visitez Berlin une belle journée d’hiver ensoleillée, faites comme moi en louant l’une de ces Mini à capote disponible en car-sharing, et sortez découvert, sans oublier toutefois de remonter les vitres et le chauffage à fond. Peu importe que vous passiez pour un original, puisque vous profiterez de vues imprenables sur les monuments de la ville. Ne ratez d’ailleurs surtout pas la fameuse « Siegessaüle », de préférence sur la "Strasse des 17 Juni" en arrivant par la Porte de Brandebourg, belle colonne dont vous oublierez le temps d’un instant qu’elle célèbre les campagnes prussiennes victorieuses contre le Danemark, l’Autriche et la France…
A Berlin, on se gare plutôt mieux qu’à Paris. Et quand on met l’Audi en sous-sol, on la gare dans un « tiefgarage », vocable dont la construction illustre bien la systématique toute germanique qui préside à la construction des mots, puisque "tief" signifie "profond". A l’inverse de ce paragraphe, qui ne concerne d’ailleurs pas que la "ville grise" (graue Stadt), surnom attribué à leur ville par les Berlinois eux-mêmes. Mais que voulez-vous, je résiste difficilement aux jeux de mots…
A Berlin, les véhicules d’urgence font un potin du diable, du genre à réveiller les morts. Ça s’assortit plutôt bien avec leurs couleurs fluos, et ça peut se montrer particulièrement utile, surtout pour les passagers des ambulances…
A Berlin, les taxis sont beigeasses, comme partout en Allemagne. Et je demande qui a pu bien choisir cette drôle de couleur, qui remplaça le noir en 1971. En Goethe dans le texte, on appelle ça "Elfenbein" ou ivoire, et nombre de professionnels semblent y tenir puisqu’ils continuent de l’arborer alors qu’elle n’est théoriquement plus obligatoire depuis 2005. Mais peu importe puisque même avec une teinte bizarre, une Classe E reste une Classe E pour ses passagers.
A Berlin, il y’a des feuilles partout. On en trouve encore trace bien après que l’automne a dégarni les nombreux arbres de la ville. Elles se logent notamment dans les interstices des ouvrants d’autos qui stationnent dans la rue, et se décomposent en une espèce de boue noirâtre qui maintient sournoisement l’humidité. Coton-tige obligatoire à l’arrivée du Printemps pour les plus maniaques...
A Berlin, c’est plein de Skoda. Certes, la frontière de la République tchèque n’est qu’à environ 250 km, mais je me demande si en dehors de leur contrée natale, les véhicules frappés de la flèche ailée ne s’y concentrent pas plus qu’ailleurs. Si quelqu’un dispose de stats de vente par Länder confirmant mes dires, je suis preneur (dans le cas contraire gardez-les pour vous).
A Berlin, on ne voit guère plus de Trabant, en dehors de celles destinées à la location pour les touristes, qui ont pour certaines abandonnées leur pétaradant bicylindres deux-temps au profit d’un moteur électrique, sans doute pour que leurs passagers profitent pleinement des bruits de carrosserie. Je crois d’ailleurs y avoir croisé plus d’exemplaire de la 2 CV, que les Allemands ont surnommé "Ente" (canard), alors que la Trabi est du dernier chic à Louveciennes, où mon ami Jidé en maintient un exemplaire en parfait état.
A Berlin, ça show-off plutôt moins qu’ailleurs. Certes, on ne manquera pas d’observer d’onéreuses italiennes rouges ou quelques Lambo ostensiblement adhésivées SV le samedi sur le "Ku’damm", diminutif - bienvenu pour les étrangers- du Kurfürstendamm, équivalent berlinois des Champs-Elysées. Et le très chic quartier de Charlottenburg doit absorber à lui seul la moitié de la production des Classe G AMG noires destinées à l’ensemble de l’Allemagne. Mais pour le reste, on y est plutôt plus discret que dans les riches Länder du sud, où la belle bagnole est sans doute mieux vue.
Voilà : la s’arrête la liste de mes observations, forcément partielles, voir erronées ou même complètement fausses. Mais si j’ai soudainement décidé de vous reparler de Berlin, c’est que j’aurai largement le temps de les peaufiner, puisque j’y suis revenu depuis le 1er janvier. Sans Karl resté en France, dans l’attente d’un nouveau foyer à la recherche d’une W203 à l’intérieur et au contrôle technique immaculés. Si ça vous dit, merci d’écrire à la rédaction qui transmettra…
PS : Les aléas de l’actualité pourraient laisser à penser que le titre fait allusion à la ridicule affaire de Pantin/Pantine, mais il n’en n’est rien. C’est juste que si Berlin(e) n’est pas prononcé à l’allemande, le jeu de mots allusif perd de sa force. Bravo à ceux qui l’auront repéré tout seul : ça prouve qu’ils sont complètement à l’Est…