26/10/2023 - #Citroen , #Jaguar
Deuche de der
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle de la fin d’une icône et de son anniversaire. Une icône du genre accessible, ou du moins qui l’était…
Ce jour-là, je suis passé pour un fayot.
Je l’ai tout de suite compris aux regards de travers suscités par mon empressement, alors que je me portais volontaire pour effectuer le premier exposé de l’année dans le cadre de TD (Travaux Dirigés) de je ne sais plus quelle matière. Pour ma défense, j’aurais pu invoquer des considérations d’ordre pratique puisqu’en me débarrassant au plus tôt de l’exercice de la revue de presse auquel nous devions tous passer au cours de cette première année universitaire, je m’évitais de cumuler le travail de préparation correspondant et la révision de partiels. Mais surtout, je ne voulais surtout pas perdre l’opportunité que représentait l’arrêt définitif de la production de la 2 CV, dont les magazines et quotidiens venaient de se faire l’écho. Et il en fut ainsi, puisque personne n’autre moi ne se risqua à lever le doigt.
J’ai achevé de "soigner" ma réputation la semaine suivante avec une excellente note. Il faut dire que si on ne parlait pas encore de "storytelling" à l’époque, je jouais néanmoins sur du velours avec un sujet bagnole, même si le modèle en question préférait la toile de jute pour ses sièges à structure tubulaire. Pour le reste, ne me demandez pas pourquoi les médias d’alors ont attendu début septembre pour revenir sur un évènement survenu le 27 juillet 1990, même si quelques exemplaires supplémentaires de la "deux pattes" tombèrent semble-t-il encore des chaines de l’usine de Mangualde au Portugal dans les deux à trois jours qui suivirent. Sans doute qu’à l’ère pré-Internet, on mettait volontiers les news au frigo durant le mois d’août pour les resservir à la rentrée.
Je dois d’ailleurs à l’honnêteté d’avouer que je n’étais alors pas plus fan de l’engin que ça. J’avais certes bien compris l’intelligence de conception de la petite Citroën à laquelle rien ne ressemblait à part évidemment la Dyane, laquelle perdit sa place en essayant de chasser des showrooms celle qu’elle était supposée remplacer. Mais quand on débute sa carrière de passionné d’automobile et passé l’âge des Majorette, on s’intéresse plutôt aux modèles qu’on aura vraisemblablement jamais plutôt qu’à ceux qu’on croise fréquemment, comme c’était alors le cas de la Deuche. C’est pourquoi si je me souviens encore aujourd’hui de la représentante de la série limitée "Spot" régulièrement stationnée dans le parking de la résidence d’en face, j’accordais en ce temps-là plus d’importance au coupé Jaguar Type E rouge et même à la 4 CV bleue qui s’y trouvaient également, lesquelles en dehors de leur évidente différence de standing avaient en commun d’arborer une peinture délavée et de servir de "daily" à leur propriétaires respectifs.
Et pour être tout à fait honnête (bis), j’ai bien failli ne pas écrire cette chronique qui à l’instar de celui du TD m’est d’abord apparue comme un exercice imposé. Mais s’il m’a paru difficile de ne pas commémorer dans ces colonnes les 75 ans de celle qui constitue indéniablement l’icône suprême de la production automobile française, cette perspective m’a foutu la pétoche, à moi qui ne suis pas du tout spécialiste du modèle. Nul doute en effet que les experts chevronnés des AZ, AZL, AZAM ou autres versions de la bestiole n’allaient pas me louper à la première incartade technique ou historique ! Et puis je me suis ravisé en me disant qu’après tout, la Deuche représentait pour la grande majorité d’entre nous exactement le contraire d’un débat d’érudits, et que si elle subsiste aussi vivace dans la mémoire collective des Français, c’est plutôt sur la foi d’émotions réminiscentes que sur l’exactitude des informations.
La Deuche pour moi, c’était d’abord celle des profs, à commencer par celle de la maîtresse du CP. Un exemplaire passablement fatigué du gris typique des modèles les plus anciens, que Mademoiselle Rebourgeon garait de l’autre côté de la rue longeant l’école primaire où je sévissais alors. Quant à Monsieur Retailleau, mon premier prof principal quand je passais au collège, je crois bien que lui aussi en avait une. Mais allez savoir, avec les tours que nous jouent régulièrement l’hippocampe cérébral et le néocortex au cumul des années... En revanche, je me souviens avec précision de celle du proviseur du lycée -dont j’ai néanmoins oublié le nom- surtout après qu’un malheureux camarade de classe s’est fait prendre la main dans le sac, ou plutôt le pied dans l’aile arrière qu’il venait d’enfoncer, se coinçant le pied en essayant de la redresser de l’intérieur. Une scène tellement comique qu’elle fit rire tous les protagonistes, tant son propriétaire que l’apprenti carrossier surpris en mauvaise posture. Rien qu’une bonne responsabilité civile et quelques heures de colle n’aient d’ailleurs pu réparer…
La Deuche, c’est aussi bien sûr celle des ecclésiastiques. Celle que conduisait le Père Bernard à tombeau ouvert bénéficiait apparemment d’une protection divine, sans doute en raison de la précieuse cargaison qu’elle embarquait régulièrement entre accessoires du service dominical remplissant le coffre et enfants de cœur ou jeunes scouts entassés dans un habitacle pas vraiment homologué pour autant de passagers. Mais si son conducteur fut épargné des conséquences désastreuses que n’aurait pas manqué d’entrainer la moindre collision, il ne fréquenta pas moins quelques années plus tard les pages de la presse pas que régionale pour des motifs n’ayant rien à voir avec ses aptitudes au volant…
Je dois aussi à la 2 CV l’une de mes premières émotions de conduite, à l’occasion d’un weekend à la campagne. Celle-là était d’une teinte caractéristique, de celles qu’on utilisait alors comme prétexte quand on en croisait pour tromper l’ennui lors de longs trajets en voiture, en pinçant le bras du petit frère ou de la grande sœur sans oublier de hurler "2CV verte" dans l’oreille des parents. Je crois bien que son propriétaire -un gars éternellement souriant et amateur de chemises aux couleurs aussi chatoyantes que celle de son auto- s’appelait Antoine. Suffisamment inconscient pour me filer le volant sur les petites routes environnantes alors que je ne disposais pas encore d’un certain papier rose, il ne réagit guère quand je modifiais quelque peu le profil de de son pare-chocs arrière à la faveur d’une manœuvre qui me vit m’appuyer gentiment contre un arbre, avouant juste sa préoccupation quant à la probable réaction maternelle. Qu’il soit ici remercié de ne pas avoir cafté en assumant la faute…
Il y eut encore celle du gars qui jouait au Tennis de Table dans le même club que moi. Une fourgonnette constellée d’accessoires improvisés comme la boite de sardine fixée par un fil de fer au tableau de bord, supposée servir de cendrier même si la moitié des restes de Gitanes papier maïs qu’il allumait à la chaine finissait dans l’habitacle. En ajoutant les dérivés, je me souviens aussi de la Méhari du gars qui avait installé la roue de secours sur le capot -comme sur les versions 4x4- emballée comme un des fromages de chèvre dont la production lui servait de gagne-pain. En remontant plus loin encore, me revient la 2 CV garée en bas de chez nous, dans laquelle je m’installais plus ou moins secrètement pour m’accrocher tant bien que mal au volant du haut de mes 4 ou 5 ans, en rêvant sans doute de grandes épopées motorisées dans les routes de la Savoie environnante.
Bref, j’ai en tête autant de 2CV que vous en avez sans doute, et quoiqu’il en soit beaucoup moins que toutes celles que nous avons croisées puis oubliées quand elles étaient loin d’être rares sur nos routes et que nous ne songions pas encore à nous retourner sur leur passage (sauf les vertes, évidemment). Le genre d’histoires que les propriétaires actuels qui les bichonnent pour la postérité écoutent vraisemblablement à répétition quand il sortent la leur à l’occasion d’un "rasso", ou tout simplement pour se balader au son du petit bicylindre surmené. Des anecdotes du quotidien auto à la fois banale et pourtant tellement inhabituelle, qu’il s’agisse de son look à nul autre pareil ou de sa drôle de suspension qui faisait se vautrer la caisse dans les virages, sans que ses roues épaisses comme des galettes ne renoncent jamais à s’accrocher à l’asphalte.
C’est à mon ami Jason que je dois d’avoir récemment renouvelé mon intérêt pour celle qui est devenue le symbole motorisé de l’Hexagone. Parce qu’il y a quelque chose de particulièrement émouvant à constater la ferveur que notre Deuche nationale peut susciter dans un pays où elle n’a jamais été produite ni même vendue. Certes ses rares amateurs brésiliens peuvent toujours se servir dans l’Argentine voisine ou l’on produisit pendant des années la "3 CV", patronyme sans doute retenu pour signifier aux Français que la leur était meilleure, même si les différences avec le modèle gaulois se résument tout juste à quelques détails. Mais au prix de ces tracasseries administratives dont le pays a le secret, et d’une chasse constante aux pièces détachées, évidemment beaucoup plus rares que dans nos contrées. Quoiqu’il en soit, les Deuche de Jason et des quelques originaux qui en possèdent une à Rio, Sao Paulo, Belo Horizonte ou Brasilia témoignent aussi de l’influence culturelle que notre pays timbre-poste à l’échelle du globe exerce encore un peu de l’autre côté de l’Atlantique.
Et c’est évidemment à Jason que j’ai récemment pensé en mettant la main sur la 2 CV en plastoc à l´échelle 1/24 de chez Tamiya, dont la boîte est venue compléter une collection débordant depuis longtemps des placards où j’essaie en vain de la contenir. Mais histoire de dire que celle-là, je vais vraiment la monter, j’ai déjà acheté le flacon de peinture "Bleu Céleste" comme celle de Jason et comme le prénom de son adorable petite fille (un hasard, m’a-t-il assuré).
C’était la moindre des choses, non ?