08/02/2024 - #Daf , #Nissan , #Peugeot , #Porsche
Dak ou pas Dak ?
Par Jean-Philippe Thery
Aujourd’hui, je vous parle du désert. Et de sa traversée…
Il y a une vingtaine d’années, je suis allé au Maroc.
Un pays dont je ne garde que de très beaux souvenirs, qu’il s’agisse du sens de l’hospitalité de ses habitants, de la beauté des paysages ou des saveurs d’une cuisine dont je ne soupçonnais ni la richesse ni la diversité avant d’y être initié. Avec en point d’orgue justement, le meilleur et probablement seul vrai tajine de ma vie, que j’ai dégusté en plein désert avant de passer une nuit à la belle étoile à contempler les constellations accrochées au plafond, dans un lit d’une épaisseur et d’un confort inouïs. Au petit matin, c’est un soleil aux rayons caressants qui m’avait éveillé en douceur, veillant à ce que je ne perde rien du spectacle offert par la centaine de chameaux qui avaient encerclé notre bivouac.
Et comme tout ça se déroulait sous l’égide de Nissan Aventure, j’ai aussi passé pas mal de temps à conduire. A l’époque où le constructeur japonais entretenait à dessein des liens de parenté entre SUV et 4x4 aujourd’hui disparus – sauf dans l’esprit de certains élus parisiens- sa filiale française proposait à ses clients un stage gratuit d’initiation à la conduite tout-terrain dans l’un de ses centres de l’Hexagone, mais aussi la possibilité de passer quelques jours au volant d’un pick-up de l’autre côté de la méditerranée. Et comme responsable de la gamme voitures perchées, il m’a paru normal que je vienne un jour vérifier tout ça personnellement.
C’est comme ça que j’ai parcouru la superbe "vallée des roses" dans le sud de l’Atlas, sur la route menant de Ourzazate à Tinghir. Mais j’ai aussi appris à franchir les dunes en prenant suffisamment d’élan pour ne pas me retrouver "tanqué" au sommet de l’une d’entre elles, tout en dosant savamment l’accélérateur pour ne pas planter le nez de la bestiole dans le sable à la descente. Il faut dire qu’avec Jérôme dans le baquet de droite pour me donner les instructions qui allaient bien, je bénéficiais d’une expérience acquise au cours de 19 participations au Paris-Dakar, dont deux à moto et 17 en voiture.
Mon expédition marocaine reste donc à ce jour ce que j’ai vécu de plus ressemblant au plus célèbre des rallyes-raids. Et ça fera d’autant plus rire les vrais spécialistes qu’en dehors de la nuit en plein air déjà mentionnée, le sommet de l’aventure en ce qui me concerne a constitué en quelques pelletées dans le sable pour dégager notre pick-up enlisé en plein erg, suivies par la rencontre d’un bédouin tout de bleu vêtu au milieu de nulle part, du moins pour moi puisque lui savait évidemment très bien où il se trouvait. Nous l’avions pris en stop dans la benne, avec quelques dattes séchées en guise de remerciement, extraites du grand sac de jute qu’il transportait. A tous ceux qui s’inquiéteraient gentiment des risques insensés assumés lors de cette aimable balade, je puis donc certifier qu’aucune balise Argos n’a été déclenchée durant le parcours, et que la Protection Civile Marocaine n’a jamais entendu parler de nous.
Histoire de porter un coup définitif à ma crédibilité sur le sujet, j’ajouterai encore que ça fait un bail que je ne suis quasiment plus l’épreuve, en gros depuis que tous les chemins du Dakar ne mènent plus à Dakar. Autrement dit à partir de 2009 quand celle-ci s’est déplacée pour une décennie en Amérique du Sud, en raison des menaces terroristes planant sur l’Afrique du Nord-Ouest, lesquelles ont provoqué en 2008 la seule annulation de la course depuis l’édition inaugurale de 1979. Une longue traversée du désert médiatique -du moins en ce qui me concerne- d’autant plus paradoxale qu’elle s’est produite précisément au moment où Internet m’aurait permis de la suivre en ligne sans devoir attendre les reportages de fin de soirée à la téloche.
Autant vous dire que j’avais donc toutes les raisons de ne pas écrire cette chronique. Et puis je me suis ravisé après avoir considéré qu’après tout, les compétitions mécaniques ne doivent leur existence qu’au public qui les suit, aussi distants, ignares et infidèles soient certains de ceux qui le composent. Et surtout, le Paris-Dakar que j’ai connu s’est brutalement rappelé à mon souvenir, même si ce n’était pas de la meilleure façon avec la disparition à quatre semaines d’intervalles de deux de ses figures les plus représentatives.
C’est justement le Dakar qui m’a fait connaître René Metge, lequel vient de nous quitter le 3 janvier dernier à l’âge de 82 ans. Sans doute parce qu’à l’époque, j’étais encore trop jeune pour être au courant de ses succès dans le Championnat de France des voitures de tourisme, et que la catégorie dans laquelle il était engagé à bord de voitures britanniques -dont il représentait les marques comme concessionnaire- ne jouissait pas de la même notoriété que la course africaine. En revanche, je n’ai rien raté de ses trois victoires au général du Dakar, d’autant plus que le parcours de l’homme de Montrouge symbolise l’évolution significative, puisqu’après l’avoir remporté la course en 1981 au volant d’un Range Rover V8, c’est en s’extrayant du baquet d’une Porsche qu’il grimpa sur la plus haute marche du podium en 1984 et 1986.
Les sceptiques n’ont pas dû manquer quand la 953, une 911 à transmission intégrale réhaussée de 270 mm et sérieusement renforcée s’aligna au départ de la 6e édition du Paris-Dakar. Suggérée par Jacky Ickx à Helmuth Bott, alors directeur R&D de la firme de Zuffenhausen, la première voiture de sport à s’imposer devant les traditionnels 4x4 ne fut pourtant pas celle du pilote belge, malgré la superbe remontée qu’il effectua après qu’un incendie du système électrique l’avait fait plonger dans les profondeurs du classement. C’est donc René Metge qui l’emporta avec le numéro 176, avant de remettre le couvert en 1986, mais au volant cette fois de la fabuleuse 959, dont l’incroyable look autant que sa technologie embarquée firent paraitre la 953 bien plus vieille que les deux ans à peine séparant les deux machines.
Aujourd’hui encore, observer sur les vidéos basse def d’alors la Neuf-Cinquante-neuf lancée à pleine vitesse a de quoi filer des "goosebumps" proportionnés aux "bumps" que sa suspension effectuait sans broncher, et qui aurait pu faire passer les pistes défoncées du désert pour un circuit asphalté, si ce n’était l’épais vortex de poussière sablée qui les suivait. Même haute sur pattes, la Porsche n’avait sans doute pas le droit de bousculer la hiérarchie établie des altiers 4x4 avec tant d’insolence, reléguant ces derniers au rang de machines totalement dépassées. Et comme j’avais dans les 16 ans quand elle est apparue, il n’est pas étonnant que la 959 soit la première auto qui me vienne en tête à l’évocation du Paris-Dakar. A tel point que je n’ai pu m’empêcher de googler à l’instant "Porsche 959 RC Tamiya", tant j’ai rêvé à l’époque de m’offrir son incarnation radiocommandée électrique à l’échelle proposée par la firme japonaise, même si celle-ci était malheureusement bien trop onéreuse pour ma maigre dotation en argent de poche. Quelque chose me dit d’ailleurs que je ferais mieux d’éviter de fréquenter les pages d’EBay dans les temps à venir…
En préparant cette chronique, j’ai été surpris de constater que Jan de Rooy n’avait remporté le Dakar qu’une seule fois, tellement le Néerlandais fait partie de sa légende. Parce que l’"Ours" -comme on le surnommait- a tout simplement construit et piloté les camions les plus dingues qui y ont été engagés. Drôle de machine bicéphale dotée d’une cabine à chacune de ses extrémités, le "Tweekoppige Monster" de 1984 disposait ainsi d’un moteur de 400 chevaux sur chaque essieu, alors que le DAF FAV 3600 4x4 TurboTwin II avec lequel il s’imposait en 1987 affichait un bon millier de pur-sang. L’année suivante, ce sont les images du duel qu’il livra avec Ari Vatanen à 200 km/h dans le désert qui marquèrent les esprits, la Peugeot 406 Turbo 16 du Finlandais devant finalement s’incliner devant les 1.220 chevaux et 4.700 Nm de couple combinés des deux 6 cylindres en ligne de 11.6l propulsant l’engin de 10 tonnes. La légende dit qu’Ari en battit plusieurs fois son volant de frustration…
Mais Jan ne réalisera jamais son rêve de remporter le Dakar toutes catégories confondues, et bien que momentanément humiliées, les "bagnoles" restèrent à jamais invaincues. Lors de la 8e spéciale, le deuxième DAF confié à Theo Van de Rijt effectua 6 tonneaux à haute vitesse, tuant son copilote et blessant grièvement les deux autres occupants. La course de Jan s’arrêta là ainsi que celle à la puissance, puisque les camions ne revinrent à la compétition que deux ans plus tard, non sans avoir dû se soumettre à des restrictions de puissance et de vitesse maximale. Reste -toujours sur vidéo- le spectacle incroyable de ces véritables géants du désert naviguant sur le sable à des allures que leur stature ne semble pas devoir autoriser…
Les accidents sont d’ailleurs régulièrement au cœur des nombreuses polémiques qui secouent le Dakar, particulièrement lorsque ce sont des spectateurs -et parmi eux des enfants- qui sont touchés. En des termes parfois particulièrement violents comme en 2010 quand le magazine Dakarois "Kotch" remerciait carrément Ben Laden d’avoir débarrassé l’Afrique du rallye, suite au décès d’une jeune femme en Argentine. Mais il y a aussi le contraste entre la débauche de moyens déployés par les écuries ne lésinant pas sur les investissements pour l’emporter et le dénuement des habitants de certaines des régions traversées, question dont je me souviens que le regretté Jacques Potherat l’avait déjà soulevée en 1982, dans son ouvrage intitulé "Paris-Dakar, les durs de la course". Les association de protection de l’environnement ne sont pas non plus les dernières à critiquer les dégâts qu’elles accusent le rallye de provoquer, alors que son nouveau "déménagement" en Arabie-Saoudite a provoqué les réactions qu’on peut imaginer.
Ces critiques ont-elles joué un rôle, même plus ou moins conscient dans mon éloignement du Dakar ? Honnêtement je ne crois pas, même si plusieurs d’entre elles ne peuvent être balayées d’un simple revers de la main. Disons que si je n’ai plus été très Dak pendant un certain temps, ce n’est pas forcément parce que je n’étais pas d’acc avec ses évolutions, mais peut-être parce qu’il ne correspondait plus tout à fait à l’image que je m’en étais construit durant ses début. Cependant, après la victoire cette année de Carlos Sainz Sr, icône des rallyes-pas-raid du début des années 90, qui sait si je n’y porterai pas à nouveau un regard plus attentif l’année prochaine ?
Quoiqu’il en soit, un truc que je ferais volontiers, c’est de retourner rouler au Maroc. Et tant pis si mon Dakar à moi fait marrer les experts…